• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III : Réconciliation et politique au Canada

4. Conclusion pour le cas du Canada

Au cours de ce chapitre, nous avons étudié les grandes politiques ainsi que les discours et débats à la Chambre de communes autour des questions de réconciliation au Canada. Nous avons commencé notre recherche en nous penchant sur les politiques mises en place par les différents gouvernements au pouvoir depuis 2005. En passant par l’Accord Kelowna de 2006, la Convention de Règlement Relative aux Pensionnats de 2007 et enfin par les politiques du gouvernement Trudeau depuis 2015, nous avons étudié les grandes approches des libéraux et conservateurs en matière de réconciliation. Le changement de politique lors de l’arrivée de Harper au pouvoir a marqué une rupture avec les avancées de son prédécesseur. L’Accord de Kelowna est abandonné et la CRRPI est appliquée en guise de réconciliation. Cette transition a réduit les avancées faites par le gouvernement libéral en termes de conciliation et reconnaissance politique et est passée à une approche descendante et peu propice à la consultation. Les conservateurs ont toutefois permis de régler la question épineuse des pensionnats en établissant un vaste système de compensations financières en guise de redressement des injustices. Enfin, le gouvernement Trudeau a marqué une nette transition dans la gestion des affaires autochtones et de leur relation avec l’état. Ses politiques ont voulu œuvrer à une « décolonisation » des institutions, une reconnaissance de droits spécifiques et une accentuation de l’autodétermination. De ce fait, et en plus de vouloir combler les écarts socio-économiques, le gouvernement libéral a montré son engagement à changer la relation entre l’état et les populations autochtones. Cette apparente harmonie avec l’objectif de réconciliation a toutefois révélé ses failles lorsque des enjeux économiques nationaux ont été à l’ordre du jour. Un conflit entre le droit de veto des nations autochtones et les intérêts nationaux a alors révélé le décalage entre discours et application des promesses du gouvernement. Ces contradictions influencent inévitablement le processus de réconciliation et ne peuvent que générer de la colère, frustration et méfiance vis-à-vis de l’état canadien. L’étude de ces politiques nous a montré que la réconciliation canadienne était fragile et subissait les changements de gouvernements. Les mesures entamées pour ouvrir la voie de la réconciliation encaissent difficilement ces changements et ont peu de chance d’assurer leur durabilité. Le manque d’unanimité sur ces questions au sein des instances politiques fédérales

impacte lourdement le processus. Le manque de définition claire du terme « réconciliation » au Canada laisse chaque dirigeant interpréter le concept selon ses intérêts.

En ce qui concerne notre analyse de discours, nous avons d’abord étudié les débats à la Chambre des communes concernant les excuses nationales en réponse au drame des pensionnats autochtones. Notre lecture des discours selon les orientations politiques nous a montré deux grandes approches des excuses et de la réconciliation à la Chambre. D’un côté, les conservateurs se sont montrés réfractaires aux excuses et ont valorisé à la place le projet national de règlement de ce dossier avec des compensations financières qui l’accompagnent. Premièrement fermés à l’option de présenter des excuses, ils finiront par s’y appliquer en 2008. Malgré les quelques nuances concernant les expériences vécues, ils reconnaissent officiellement les injustices vécues par les victimes de ce système et les conséquences qui en ont découlé. Cette déclaration a marqué une étape primordiale du processus de réconciliation au Canada. Toutefois, le manque de reconnaissance des conservateurs sur l’importance de travailler sur la relation entre l’état et les communautés autochtones a empêché toute remise en question des rapports de force qui ont entraîné ces conflits. L’opposition s’est quant à elle montrée très favorable à la présentation d’excuses nationales et en a même fait son combat face au gouvernement Harper. Présentant des discours émouvants avec des témoignages de victimes, ils ont affiché une image de proximité avec les communautés et une empathie vis-à- vis des souffrances endurées. Se positionnant en défenseurs des droits de la personne, témoins des souffrances et des injustices vécues, ils ont toutefois dressé un portrait manichéen de la relation. En maintenant les autochtones à un statut de victimes perpétuelles, ces discours sclérosent le débat en empêchant de leur donner une place en tant qu’acteurs de leur propre avenir et les maintiennent dépendants du bon vouloir de l’état. Enfin, l’analyse du débat d’urgence du 30 mars 2010 sur le financement de la FADG, nous a permis de clôturer notre analyse de discours. Les perceptions de la guérison qui en sont sorties nous ont démontré deux choses. Premièrement, les conservateurs ont montré leur préférence à la centralisation des services et une vision restrictive de la guérison. En appliquant leurs décisions de manière ferme et en évitant toute forme de consultation, ils rendent les possibilités de réconciliation presque impossibles. L’opposition, quant à elle, urge le gouvernement de renouveler les financements et reprend son profil de justicier face à un état insensible. Elle maintient par ce

biais, l’image d’impuissance des communautés et celle d’un état injuste. Les conservateurs et libéraux ont donc pris des rôles distincts au cours des débats. Les uns se positionnent en tant que fonctionnaires d’un état, portant un regard rationnel sur les dépenses et actions et les autres prennent le rôle du sauveur, véhiculant un message d’espoir pour les communautés autochtones en reconnaissance de leurs souffrances et promettant des améliorations.

D’importantes réalisations ont été effectuées au cours du processus de réconciliation canadienne, dont la reconnaissance des souffrances infligées par les pensionnats, l’établissement d’un large programme de réparation avec une CVR et des programmes assurant une plus grande collaboration et autodétermination. Pour autant, il semblerait que les mentalités n’aient pas totalement changé au cours du procédé. Bien que la réconciliation soit au cœur des discours et de l’actualité politique, elle reste facultative ou coincée au stade symbolique lorsqu’il s’agit de mettre de côté les intérêts économiques du pays. Cela rappelle les rapports de force structurels, encore bien présents, et la difficulté d’adapter les modes de fonctionnement de la société dominante aux demandes des minorités, malgré les efforts de changement. Libéraux et conservateurs continuent de préserver les pouvoirs de l’état et ne s’engagent pas totalement à un changement institutionnel de fond pour accommoder les Premières Nations, Inuits et Métis. Un important travail doit donc être entrepris pour entrevoir des changements positifs dans la relation entre l’état canadien et les communautés autochtones. Notons qu’au cours de ce chapitre, nous avons dressé le portrait de la réconciliation canadienne sans approfondir la réflexion sur la question. Nous allons désormais traiter du cœur de notre recherche et analyse en comparant les cas de réconciliation en Australie et au Canada.

CHAPITRE IV : Étude comparative des tentatives de