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Le gouvernement Trudeau et l’objectif d’une nouvelle relation

CHAPITRE III : Réconciliation et politique au Canada

2. Principales politiques de réconciliation entre 2004 et 2018

2.3 Le gouvernement Trudeau et l’objectif d’une nouvelle relation

Le nouveau gouvernement promet des changements dans la gestion des affaires autochtones. Une partie de la campagne électorale de Trudeau était par ailleurs axée sur les promesses d’agir en partenariat avec les nations autochtones et de restaurer ce que le gouvernement Harper a aboli41. Le nouveau gouvernement promet la mise en place d’une commission d’enquête sur la disparition des femmes autochtones42, un plus grand investissement dans l’éducation et dans la création d’une nouvelle relation. Lors de la cérémonie de clôture de la CVR, le 15 décembre 2015, le premier ministre annonce que le gouvernement appliquerait chacune des recommandations de la commission (Radio-Canada, 2015). Dans la lignée de son affirmation d’engagement vis-à-vis des autochtones, la ministre des Affaires autochtones

41 Lors d’un discours prononcé par Justin Trudeau à la 36e assemblée de l’APN le 7 juillet 2015 il déclare

« Harper a entre autres légué des lois imposées par le gouvernement qui font preuve d’un manque choquant de compréhension des éléments nécessaires pour aller au-delà de la Loi sur les Indiens et l’approche de la gouvernance paternaliste qui est devenue la marque de fabrique d’Ottawa » (Trudeau, 2015).

42 L’enquête a débuté le 1er septembre 2016 et était prévue jusqu’au 31 décembre 2018, mais étendue jusqu’au 30

avril 2019. Elle est présidée par le juge autochtone Marion Buller et le gouvernement a octroyé un budget de 53,8 millions de dollars pour son application (Canada, 2018).

annonce en mai 2016 l’appui total et sans réserve de la DNUDPA43 (AADNC, 2017). Ces déclarations n’échappent pas aux critiques de conservateurs, alors dans l’opposition, qui considèrent que ces promesses sont irresponsables et peu viables financièrement (Radio- Canada, 2015). Trudeau réitère son engagement un an plus tard, en promettant l’établissement de mécanismes bilatéraux avec les représentants autochtones et des réunions annuelles pour étudier les progrès en matière de réconciliation (Trudeau, 2016).

La réconciliation est devenue l’objectif, ou l’image, au cœur de la politique de Trudeau en matière d’affaires autochtones. Le site officiel des Affaires autochtones et du Nord Canada (AADNC) possède même un onglet « réconciliation » contenant une large description des projets et investissements développés par le gouvernement à cet effet (RCAANC, 2018). Le budget du gouvernement canadien de 2018 promet de faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones. Les investissements sont axés sur l’accès à l’eau potable, la protection des enfants, les logements, des communautés plus saines, les compétences en emploi, la reconnaissance des droits, l’aide à une reconstitution des nations, la création de mécanismes bilatéraux permanents, et une nouvelle relation financière (Canada, 2018). Dans le but de décoloniser les institutions, l’ancien ministère des AADNC est divisé en deux factions. La première devient le ministère de la Relation Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC). Les objectifs de celui-ci visent à la reconstruction des nations, la reconnaissance des droits, l’accroissement de l’autodétermination et le développement d’une approche pangouvernementale et de partenariat (Budget Canada, 2018). Le deuxième ministère créé par le gouvernement Trudeau est le Service aux Autochtones Canada (SAC). Celui-ci a pour mandat de travailler sur la réduction des écarts entre les autochtones et le reste de la population, d’améliorer les services fournis aux communautés et de travailler avec RCAANC pour que ces services soient progressivement repris par les communautés (Budget Canada, 2018). La SAC travaille donc sur la transition vers une nouvelle relation financière qui consiste en « l’attribution d'un financement adéquat, prévisible et durable aux collectivités des Premières Nations » (Gouvernement Canada, 2017).

Ce vaste programme prévoit donc que la réconciliation soit assurée par trois piliers : la transformation de la relation, le redressement des écarts socio-économiques et l’autodétermination progressive44. L’envergure du projet marque un nouveau tournant dans les affaires autochtones du Canada et a l’ambition de toucher un vaste panel de secteurs touchant tant la relation que l’identité ou les réalités socio-économiques. Toutefois, le projet du premier ministre a quelques déficiences dans son application. Premièrement, celui-ci donne une réponse nationale et globale aux multiples réalités des nations autochtones d’un océan à l’autre. Elles risquent donc d’être déconnectées des besoins spécifiques de chaque communauté et pourraient manquer leurs objectifs sur le long terne. Ensuite, les vastes projets développés disposent de budgets restreints par rapport à la tâche qu’ils doivent accomplir. Cela pourrait mettre à l’épreuve l’application concrète des mesures prévues. Au-delà des difficultés pratiques et économiques auxquelles le nouveau gouvernement va devoir faire face, un autre enjeu important rend la réalisation des idéaux politiques promis par Trudeau complexe. En effet, bien que celui-ci se soit affiché comme défenseur de l’environnement et des droits des communautés sur leurs terres, les conflits autour des ressources naturelles et projets de financement d’oléoducs en Alberta et Colombie-Britannique ont suscité de vastes débats au sein de la Chambre et de la population. Une motion de l’opposition posée à la Chambre le 5 juin 2018 par un député du NPD stipule :

Que la Chambre : a) réaffirme son appui à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), y compris à l'article 32(2), lequel garantit « leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources »; b) reconnaisse que l'avancement de la réconciliation constitutionnelle par une approche fondée sur une relation de nation à nation signifie le respect du droit à l’autodétermination des peuples autochtones et la volonté de leurs institutions représentatives, telles que l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, qui a déclaré au sujet de l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan que « Non, c’est non – le projet n’a pas le consentement nécessaire », ce respect étant une position de principe propice à l'atteinte des objectifs de la DNUDPA (Saganash, Chambre des communes, 4 juin 2018 : 20133).

Celle-ci a été refusée à 245 voix contre 40 « pour » (Vote n°724 Chambre des communes : 2018). Seuls les députés néo-démocrates, bloquistes et le parti vert ont voté en faveur de la

motion. Aucun député libéral ou conservateur n’a voté pour la motion. Les promesses de Trudeau de défendre des minorités autochtones et de garantir la protection de l’environnement sont alors rudement mises à l’épreuve. Les intérêts économiques de l’état sont valorisés au détriment de la désapprobation de représentants autochtones. Deux chefs se sont mobilisés pour demander l’arrêt du projet de Trans-Mountain et ont affirmé : « Quelle blague cruelle ce serait si, en cette ère de « réconciliation », le Canada répétait les erreurs du passé » (Stewart Phillip et Serge Simon, Radio-Canada, 2018). Le premier ministre défend que dans l’intérêt national du pays : « I can tell you that my government is doing and will continue to do everything necessary to defend federal jurisdiction and mostly to get this pipeline built » (The Globe and Mail, 15 mai 2018). Sans approfondir davantage les aspects du conflit, nous notons que les contradictions observées dans les déclarations du premier ministre impactent indéniablement la confiance dans celui-ci et de fait, le processus de réconciliation. De surcroît, ces démonstrations de force ne font qu’envenimer la relation avec les communautés autochtones. Notons également que ce cas illustre le fait que la réconciliation ne touche pas uniquement aux affaires internes d’un pays, mais bien qu’elle soulève des questions contemporaines fortement politisées telles que l’écologie, le droit international ou encore la mondialisation. Son application réelle implique donc de revoir les fondements sur lesquels les sociétés occidentales se sont construites au cours du dernier siècle. Nous reviendrons sur cette réflexion au cours de notre conclusion.

Le travail de réconciliation prend indéniablement du recul lorsque l’état réaffirme son autorité et met les intérêts économiques nationaux au premier plan. Lors d’une conférence de presse à l’occasion de la journée nationale des autochtones, le premier ministre déclare : « We have always been very clear that protecting the environment and growing the economy need to go together (...) We are going to listen to all Indigenous voices and continue to work with them, listen to all Canadians and work with them, to allay concerns they may have » (Trudeau dans Zussman, 2018). Le premier ministre tente à travers son discours de contenter toutes les parties, mais dans les faits la croissance économique prévaut. Sans nier pour autant les avancées du gouvernement Trudeau en matière d’investissements et de mesures de réconciliation, la confiance qu’il pouvait susciter en début de mandat prend du recul lorsque les intérêts autochtones sont niés.

Nous pouvons donc conclure que d’un point de vue de la réconciliation, le gouvernement Trudeau a voulu marquer un changement avec les politiques de son prédécesseur et affirmer son engagement à transformer l’ancienne relation. Non seulement en reconnaissant l’autonomie politique des nations, en investissant dans de nombreux secteurs pour diminuer les écarts socio-économiques, mais également en matière de reconnaissance des droits, le gouvernement Trudeau a voulu changer l’image paternaliste que les conservateurs avaient préservée. Toutefois, lorsqu’il s’agit de croissance économique, ce dernier assure que les intérêts du pays seront préservés. L’approche libérale est donc avant tout marquée par une volonté de changement de l’image de l’état qui valorise les nations et le patrimoine autochtone du Canada, leur donne une voix et une importance dans l’identité nationale. Pour ce faire, ils ont démontré une plus grande ouverture à l’investissement dans des projets socio- économiques que leurs opposants politiques. Cette approche de la réconciliation reste toutefois fragile quand il s’agit de respecter les engagements promis qui ne s’alignent pas avec les intérêts économiques de l’état.

Les politiques étudiées ci-dessus nous ont montré leurs avancées et contradictions dans leur approche de la réconciliation avec les communautés autochtones au Canada. Bien que nous fassions une description plutôt rapide à ce stade des approches des libéraux et conservateurs en matière de politique de réconciliation, les informations traitées seront approfondies au cours du dernier chapitre. Nous y développerons, en comparaison avec le cas australien, les observations et réflexions que nous pouvons tirer des impacts de ces approches sur le processus de réconciliation. Voyons désormais à ce sujet, les discours des députés sur la réconciliation.