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CHAPITRE III : Réconciliation et politique au Canada

3. Excuses officielles, réparation et réconciliation

3.3 Débats sur le financement de la FADG

Le 30 mars 2010, deux ans après les excuses officielles du premier ministre, un important débat d’urgence à lieu sur le financement de la Fondation Autochtone de Guérison (FADG). Sous l’initiative de la députée néo-démocrate Niki Ashton, la motion a pour but de convaincre le gouvernement conservateur de la nécessité de poursuivre le financement de la fondation. Prévu comme service de guérison dans la Convention de 2007, un budget de « $125 million for five years to continue healing programs » (CRRPI, 2007 : 14). La majeure partie du budget était prévue jusqu’à la fin du mois de mars 2010. Les deux années suivantes, un nombre réduit de programmes dans le pays devaient continuer avant la fin définitive du financement de la fondation.

Durant le débat, 19 députés se sont exprimés sur la question62. Une fois de plus, l’opposition partageait des opinions similaires, argumentant en faveur du renouvellement du financement de la FADG. Les conservateurs défendaient quant à eux le projet initial de financement et son non-renouvellement. Nous avons analysé les raisons annoncées de ce refus ainsi que les arguments développés par l’opposition afin de voir quelle vision de la guérison et de la réparation y est véhiculée. La première et principale raison annoncée par Chuck Strahl, ministre des Affaires autochtones, est clairement explicitée dans son discours :

Comme nous le savons tous, nous devons quand même aborder toutes ces initiatives dans le contexte de notre situation financière actuelle. Le budget de 2010 est une étape importante vers l'équilibre budgétaire. Nous y mettons l'accent sur la

réduction des dépenses gouvernementales. Pendant la récente récession, un grand nombre de familles et d'entreprises canadiennes n'ont elles-mêmes pas eu d'autre choix que de faire preuve de retenue (Chuck Strahl, Chambre des communes, 30 mars 2010 : 1163).

Le gouvernement choisit donc d’adopter une politique de restriction budgétaire et opère à des coupes qui justifient la cessation de la fondation. Les députés de l’opposition argumentent que cette décision interrompra non seulement un grand nombre de projets de guérison en cours qui ont prouvé leur efficacité, mais également que les bénéficiaires n’auront plus le soutien qu’ils requièrent. L’opposition partage une fois de plus de nombreux témoignages dans leurs discours, demandant au gouvernement d’assurer la continuité des programmes.

Chuck Strahl rappelle toutefois que le gouvernement n’abandonne pas les communautés autochtones et que les services seront repris en main par Santé Canada. Grâce à cette transition, ils seront désormais accessibles dans tout le pays et pourront toucher un nombre bien plus élevé de communautés. L’efficacité et la rentabilité des services justifient donc la position du gouvernement conservateur. Le député Colin Carrie annonce à ce propos :

Nous comprenons que les services offerts doivent être efficaces. Selon l'évaluation de mi-parcours du cadre national de règlement des questions des pensionnats indiens, réalisée en 2006, 90 p. 100 des demandeurs qui ont répondu à un sondage ont eu recours à au moins un des services de soutien en santé financés par Santé Canada, et 93 p. 100 d'entre eux ont dit se sentir plus en sécurité et mieux soutenus grâce aux services offerts. Mais surtout, 89 p. 100 des demandeurs qui ont fait appel à un conseiller ont affirmé que le processus de résolution constituait une expérience positive (Colin Carrie, Chambre des communes, 30 mars 2010 : 1180).

Ces points sont totalement contestés par l’opposition. Ils argumentent que la transition des services à Santé Canada remet la guérison entre les mains de l’état. La FADG ne peut être remplacée, car son travail est complémentaire à Santé Canada. Ils critiquent la centralisation des services de guérison et la réduction des coûts, ce qui empêche toute autonomie des autochtones vis-à-vis de leur propre processus de guérison.

Les messages des libéraux et des conservateurs s’opposent concernant les budgets. Les conservateurs affirment par exemple :

La mise en œuvre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens se poursuit sans interruption, et tous les Canadiens peuvent être fiers des progrès accomplis. Des payements d'expérience commune totalisant plus de 1,5 milliard de

dollars ont été versés, et plus de 99 000 demandes ont été reçues. Des progrès du même ordre ont été enregistrés dans le cadre du processus d'évaluation indépendant. Ce processus extrajudiciaire vise à régler les réclamations pour sévices physiques et sexuels subis dans les pensionnats indiens. Jusqu'ici, plus de 15 000 demandes ont été reçues, et des victimes ont reçu des indemnités totalisant plus de 270 millions de dollars (John Duncan, Chambre des communes, 30 mars 2010 : 1173).

L’accomplissement de la réconciliation est alors évalué en termes d’investissement ou bien de dépenses faites par le gouvernement. Les libéraux rétorquent quant à eux :

Pourtant, le ministre prétend que le gouvernement a transféré́ à Santé Canada, pour la prestation de services, une grande partie des fonds destinés à la fondation. Il s'agit de 199 millions de dollars sur deux ans, dont 130 millions de dollars sont destinés au règlement des revendications. Seulement 66 millions de dollars sur deux ans, soit 33 millions de dollars par année, serviront en fait à offrir des services de soutien affectif. La somme destinée à ces services était de 39 millions de dollars l'an dernier. Cela signifie donc que le gouvernement a aussi réduit le financement pour ces services, vu qu'il prévoit maintenant n'y consacrer que 33 millions de dollars par année (Hedy Fry, Chambre des communes, 30 mars 2010 : 1168).

Il est évident que deux après les excuses, la guérison collective est à peine entamée et le gouvernement évalue le processus en termes de rentabilité. Bien qu’ils affirment que le processus n’est en rien abandonné, car Santé Canada prendra la responsabilité des services de santé mentale et d’accompagnement des survivants, le principe d’autodétermination n’est aucunement considéré dans ce genre de décision. Certains discours de conservateurs sont même empreints d’une vision interventionniste en matière de santé autochtone :

Le gouvernement prend au sérieux ses responsabilités selon lesquelles il doit aider les collectivités autochtones à répondre à leurs priorités en matière de santé mentale et de lutte contre les dépendances. Qu'il s'agisse de financer des projets importants de prévention du suicide auprès des jeunes Autochtones dans l'ensemble des provinces et des territoires ou de faire des investissements pour que des services en place depuis longtemps répondent mieux aux besoins actuels et soient plus conformes aux données les plus probantes, le gouvernement est conscient qu'il doit continuer d'agir (Cathy McLeod, Chambre des communes, 30 mars 2010 : 1183). La même députée ajoute ensuite :

Malgré l'excellent travail de la Fondation autochtone de guérison, elle ne pouvait rejoindre toutes les collectivités. Cependant, nous avons des intervenants en matière de toxicomanie et d'alcoolisme dans toutes ces collectivités. Nous avons des conseillers en santé mentale. Nous avons mis en place des programmes de médecine à distance. Les choses s'améliorent de plus en plus (Cathy McLeod,

Chambre des communes, 30 mars 2010 : 1183).

Le gouvernement Harper, en plus d’opérer à des coupes budgétaires, décide de reprendre en main les services de guérison et les met sous la tutelle des programmes fédéraux de santé. Sans prendre en considération l’efficacité de la fondation sur le terrain, il répond selon une vision unilatérale et logique. Malgré la logique de ces décisions, elles empêchent toute forme de conciliation dans l’application des mesures de réparation.

Sans approfondir davantage les détails du débat, nous avons vu que deux grandes interprétations de la guérison ressortent à la Chambre et influencent inévitablement la réconciliation. Une fois de plus, l’opposition se place en défenseur des communautés autochtones et met en avant les aspects culturels et leur besoin de guérison. Les conservateurs, de leur côté, prennent le rôle de « père » devant prendre des décisions pragmatiques pour le bon fonctionnement du pays. Le ministre déclare également : « Pour être équitable envers les générations futures, le gouvernement doit faire tout ce qu'il peut pour contenir les coûts dès aujourd'hui » (Chuck Strahl, 2010 : 1163). Les principes d’égalité, mais aussi de « sacrifice » budgétaire, sont avancés pour justifier leur décision. Cependant, il semble y avoir un décalage important entre les besoins sur le terrain et les décisions du gouvernement. Selon les nombreux témoignages cités par l’opposition, il y a une forte demande de continuité du travail de la fondation. Comme mentionné ci-dessus, la rentabilité et l’efficacité sont privilégiés par les conservateurs alors que l’opposition se présente en garant de la justice et de l’inclusion de tous dans la société. Le futur premier ministre déclare à ce sujet :

Je continue d'être sidéré par ce gouvernement qui tente constamment de diminuer le rôle du gouvernement canadien par son attitude de laisser-faire ou du « débrouillez- vous tout seuls », un gouvernement qui nous divise en tant que peuple, un gouvernement de petites politiques, de petite vision (Justin Trudeau, Chambre des communes, 30 mars 2010 : 1178).

Leurs discours des libéraux tendent à défendre le besoin culturel de guérison des autochtones et présentent l’état, et eux-mêmes, comme garants de cette guérison. En dépeignant l’insensibilité des conservateurs, ils se présentent comme potentiel espoir pour les communautés autochtones, indignés par les actions de leurs opposants politiques. Ils n’ont toutefois pas remis sur pied la fondation lors de leur arrivée au pouvoir en 2015.

Afin de conclure notre analyse de discours, le débat sur le financement de la FADG nous donne un aperçu de ce que les mesures du gouvernement Harper ont impliqué sur le processus de réconciliation. Le débat nous permet d’entrevoir les grandes approches politiques de la question de réparation en 2010. Pour ce qui est de la guérison, le gouvernement Harper montre son ignorance des multiples demandes et réalités des communautés. Malgré les témoignages des survivants et la déclaration d’excuses faite deux ans plus tôt, l’engagement prend soudainement un autre tournant. Il donne une réponse rationnelle, unilatérale et centralisée aux problèmes de santé tout en remerciant la fondation pour son travail. Le projet de guérison entamé douze ans plus tôt prend alors fin, et ce, deux ans après que la CVR ait commencé ses travaux63. Peu de considération de la volonté des communautés a été faite dans le processus de décision. Cette vision cartésienne est difficilement conciliable avec l’idée même de guérison qui n’est ni logique ni prévisible. Le gouvernement Harper évalue donc l’efficacité de la réconciliation en termes de dépenses et investissements dans des services fédéraux, censés donner des résultats positifs pour répondre aux difficultés et traumatismes des communautés autochtones. Cette vision descendante et paternaliste ne peut faire avancer la réconciliation dans son sens de pacification de la relation entre l’état et les communautés autochtones. Non seulement le manque de consultation nuit à la relation, car la reconnaissance de toute forme d’autodétermination est ignorée, mais elle réduit les autochtones au silence. La démarche manque d’empathie, de considération et ne peut que générer de la frustration et méfiance vis- à-vis de l’état, ce qui fait considérablement reculer toute possibilité de réconciliation.