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La question des « fonds juifs » suite à l’audition du Sénat états-unien en avril 1996

Jusqu’ici l’analyse a profondément invalidé les périodisations voulant que la question des biens des victimes du nazisme soit apparue en 1996. Pourtant, nous allons maintenant voir que c’est effectivement cette année-là que la définition des avoirs des victimes de l’Holocauste a progressivement été stabilisée. Elle s’est alors élargie à une réévaluation du rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui lui a fait acquérir une ampleur médiatique et politique qu’elle n’avait jamais connue jusqu’alors. Pourtant, nous verrons que ce n’est pas mécaniquement qu’elle a acquis une telle visibilité. Il a fallu que de nombreux intervenants s’engagent dans de longues négociations avant de parvenir à la faire sortir de l’ombre.

1.3.1 L’entrée en scène du Sénat états-unien

Au printemps 1996, la relecture du rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale restait marginale. Elle était présentée comme une polémique opposant le Congrès juif mondial et l’Association suisse des banquiers au sujet du montant de fonds dont la définition restait confuse. Par ailleurs, les médias ne consacraient à ces échanges qu’un traitement épisodique, essentiellement sous la forme de brèves et de dépêches d’agence, publiées en rubrique économique.

La Commission des affaires juridiques du Conseil national s’est inquiétée la première du manque de clarté entourant la recherche des fortunes des victimes du nazisme tombées en déshérence. Le 27 février 1996, elle a exigé que toute la lumière soit faite sur leur sort. Selon la Commission, il faudrait qu’une enquête clarifie de manière définitive et indépendante la question, afin de renforcer la crédibilité de la Suisse et la confiance à l’égard de sa place financièrexvi.

Cependant, cette intervention déplorant le flou entourant la discussion n’a pas mis fin au débat. Le 6 mars, le président du Crédit Suisse Holding, Rainer Gut a regretté la polémique entre les banques suisses et les organisations juives et s’est dit « surpris que la

bonne foi des banques helvétiques soit mise en question ». Ne démordant pas de sa version,

il a affirmé que « nos recherches ont été sérieuses et nous devons maintenant convaincre

les intéressés »xvii. Loin de se laisser persuader, le Congrès juif mondial a envisagé, une semaine plus tard, de lancer un mot d’ordre de boycott contre les banques suisses, de telle sorte que les fonds de pension des municipalités états-uniennes renoncent à toute affaire avec ces établissementsxviii. Puis, il a annoncé, le 28 février, avoir découvert des documents des services secrets états-uniens, établis dans le cadre de l’opération Safehaven, démontrant que les avoirs juifs sur des comptes suisses étaient infiniment supérieurs aux estimations des banquesxix.

Pourtant, une nouvelle passée presque inaperçue jusqu’alors va profondément transformer le débat. Tandis que les banquiers suisses et les représentants d’organisations juives se disputaient sur la validité de leurs estimations respectives, le président de la Commission bancaire du Sénat états-unien13, le new-yorkais Alfonse D’Amato était intervenu dans l’indifférence quasi générale. Il avait annoncé, le 22 février, qu’il allait lancer une enquête pour savoir ce que les banques suisses avaient fait des avoirs des victimes du nazisme.

Ce n’est qu’aux mois d’avril et mai que les médias suisses ont saisi l’importance de cette nouvelle, et qu’ils ont mis en scène le rôle déterminant que le Sénateur new-yorkais

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Plus précisément, Alfonse D’Amato était président du « Committee on Banking, Housing and Urban

Affairs » des 104ème et 105ème Congrès. Pour des raisons de commodité, je reprendrai la dénomination « Commission bancaire », qui s’est imposée au cours des discussions.

s’apprêtait à jouer dans cette affaire, en lien avec le Congrès juif mondial (Le Nouveau

Quotidien, 1.4.96) :

[L]e Congrès juif mondial a transmis l’affaire au sénateur de New York Alfonse D’Amato [au début du mois de février] et c’est ce dernier qui s’est mis sur la piste des archives nationales américaines [de l’opération Safehaven qui venaient d’être déclassées]. […] Et tant le Congrès juif mondial que le sénateur affirment « qu’ils rendront publiques des nouvelles informations dans les semaines à venir ». Elles concerneraient les liens des banques suisses avec le régime nazi ainsi que le refus « contestable dans certains cas » de rendre leur argent aux héritiers des victimes de l’Holocauste. […] Président du comité des affaires bancaires du Sénat, Alfonse D’Amato songe aussi à lancer des auditions de témoins au Capitole, auditions qui aux Etats-Unis sont souvent télévisées. Même s’il ne s’avérait pas solide, le dossier de l’organisation juive pourrait donc faire beaucoup de tort à l’image de la Suisse aux Etats- Unis ».

Au mois de mars 1996, le sénateur new-yorkais récoltait des informations auprès de six ambassades européennes. Par ailleurs, il exigeait, dans une lettre datée du 27 mars 1996, que les avocats de l’Association suisse des banquiers apportent, avant le 10 avril suivant, des éclaircissement sur une liste de quinze questionsxx.

Pendant ce temps, le corps diplomatique helvétique et l’Association suisse des banquiers continuaient de faire part de leur désarroi face à la confusion régnant sur la question. Ainsi, un représentant suisse aux Etats-Unis estimait qu’il « [était] extrêmement

difficile de prouver quoi que ce soit dans cette affaire, mais il [fallait] absolument les convaincre de notre bonne foi ». Pour sa part, le secrétaire général adjoint de l’Association

suisse des banquiers annonçait que son employeur ne se saisirait pas de l’affaire révélée par les nouveaux documents d’archives, étant donné qu’elle concernait « la Société

Générale de surveillance [qui n’est] pas une banque »xxi. Même son de cloche du côté de la Société générale de surveillance, faisant part de sa « surprise d’avoir été mentionnée par

le Congrès juif mondial […]. La SGS a parfois joué un rôle de fiduciaire dans certaines transactions effectuées pour ses clients, « mais elle n’est pas une banque et ne l’a jamais été » a fait remarquer son porte-parole »xxii. Manifestement, la question était alors à ce point mal définie que les parties prenantes continuaient à ne pas s’entendre sur ce qui était recouvert par la notion des « avoirs des victimes du nazisme ». D’un côté, les banquiers s’étaient mis en quête les fonds déposés dans les banques avant 1945 et sans nouvelles depuis 1985. De l’autre, le Congrès juif mondial et le Sénateur D’Amato recherchaient les traces de tous fonds appartenant à des juifs et confiés durant la guerre à des établissements helvétiques, bancaires ou autres.

Alors que l’Association suisse des banquiers, soucieuse de faire preuve de sa bonne foi dans une situation trouble, manifestait son désarroi, le Sénateur D’Amato poursuivait sur sa lancée, imposant une définition de la situation qui allait progressivement apporter de la clarté au débat. Suite à son intervention, la « commission bancaire du Sénat a annoncé

l’ouverture d’une enquête parlementaire pour récupérer les fonds des victimes du génocide nazi ». Dès lors, il n’a plus été question d’un conflit d’évaluations entre

l’Association suisse des banquiers et le Congrès juif mondial (Journal de Genève, 10.4.96) xxiii

:

Le Sénat américain est décidé à faire la lumière sur les fonds juifs en Suisse » : Désormais, la « guerre des chiffres » se joue entre « les Etats-Unis et la Suisse ». Longtemps restée marginale, la question a donc pris de l’ampleur. « En tant que président de la commission bancaire du Sénat, M. D’Amato a décidé de procéder à une première audition de témoins le 23 avril prochain dans la grande salle qui résonne encore des fureurs du Watergate ». Pour lui, la question est sans équivoque : « D’énormes sommes d’argent se sont évanouies […] et il se pourrait qu’une partie d’entre elles se trouvent toujours dans les banques

suisses. Ce que nous réclamons, c’est la justice pour les survivants du génocide et pour les familles des victimes.

Quatre jours plus tard, plusieurs quotidiens ont repris une information de la

SonntagsZeitung affirmant que « les assurances-vie suisses pourraient disposer d’avoirs déposés par des Juifs avent le génocide nazi, ajoutant un nouveau chapitre au dossier qui a déjà mis en cause les banques suisses »xxiv. Parallèlement, Le Nouveau Quotidien a poursuivi sur sa lancée en reprenant intégralement un article du même hebdomadaire alémanique pour titrer sans détour le 15 avril 1996: « Des banquiers suisses auraient aidé

la Gestapo » (Le Nouveau Quotidien, 15.4.96) :

La « SonntagsZeitung » affirme détenir des preuves que des banques helvétiques ont prêté main-forte aux services secrets du IIIe Reich pour accaparer une part de la fortune juive déposée en Suisse ». L’accusation portée par cet article était extrêmement grave : « La police secrète du IIIe Reich a torturé des juifs et obtenu d’eux des procurations pour accéder à leurs comptes en Suisse, explique Peter K. […] ancien employé d’une grande banque helvétique ». Munis de ces procurations les agents de la Gestapo ont souvent franchi le Rhin pour faire transférer de l’argent vers l’Allemagne. « Les responsables bancaires de l’époque étaient au courant mais se sont laissés impressionner par les agents allemands », révèle Peter K., qui dit se souvenir de retraits en espèces de 30’000, 70’000 ou 80’000 francs, ou de transferts scripturaux.

Quatre jours plus tard, ce soupçon a été aggravé. Le 19 avril 1996, l’ensemble de la presse suisse a diffusé un communiqué du Congrès juif mondial accusant les banques suisses de « collaboration avec les Nazis » (Kollaboration mit den Nazisxxv). Se fondant sur des documents d’archives américains déclassifiés, il affirmait que « [d]es banques suisses

ont directement travaillé avec l’Allemagne nazie et le régime de collaboration installé à Vichy […] ».

Malgré ces révélations et l’entrée en scène du Sénat états-uniens, les autorités et les banques suisses ont maintenu leur ligne de conduite. Les premières n’ont cessé de rappeler que la question « concerne le Congrès juif mondial et les banques suisses et ne touche en

rien le gouvernement de Berne [et que] la commission spéciale du Sénat américain n’a pas sollicité […] le témoignage des autorités gouvernementales suisses »xxvi. En la matière, la palme de la constance revient sans doute au Conseiller fédéral Kaspar Villiger, qui a repris, le 22 avril 1996, la position inaugurée par le Conseil fédéral au printemps 1995. A la veille des premières auditions menées par la Commission bancaire du Sénat états-unien, il affirmait encore que « l’affaire des fonds juifs [était] privée et concerne les banques et les

associations juives », et qu’en conséquence elle « n’a[vait] pas une dimension qui for[çait] le gouvernement (suisse) à s’en occuper »14. Pour sa part, l’Association suisse des banquiers a adopté une position plus nuancée. Dans un premier temps, elle a « refusé de

commenter les démarches du Sénat américain pour ne pas entraver de futurs contacts directs avec le Congrès juif mondial ». Cependant, elle se ravisa rapidement. Quelque peu

inquiété par la tournure des événements, son secrétaire général a tout d’abord affirmé « [n]ous voulons la clarté » (cf. Journal de Genève, 10.4.96). Puis, l’Association suisse des banquiers a promis de créer une commission indépendante pour rechercher l’argent des

14

cf. Journal de Genève, 24 avril 1996 : « […] Kaspar Villiger ne rencontrera aucun membre du

Gouvernement américain pour débattre des avoirs des victimes du nazisme non réclamés en Suisse. Cette affaire ne concerne pour l’heure ni le Gouvernement suisse, ni celui des Etats-Unis, a dit le conseiller fédéral. Jusqu’ici, « l’affaire n’a pas une dimension qui force le gouvernement (suisse) à s’en occuper » a

déclaré le chef du Département fédéral des finances » ; et Tages-Anzeiger, 24 avril 1996 : « Gespanntes

Hearing zu Holocaust-Geldern », « […] Bundesrat Kaspar Villiger [sagte] am Montag an einer Pressekonferenz in Washington, es gebe für die Schweizer Regierung im Moment keinen Grund sich einzuschalten […] ».

victimes du nazisme, dans une lettre adressée le 9 avril au Congrès juif mondial, et rendue publique par ce dernier huit jours plus tardxxvii. Enfin, elle a décidé de prendre part à la première audition de la commission bancaire. Elle y a envoyé le banquier juif zurichois Hans Bär, à la tête d’une délégation de sept représentants de la place bancaire chargée de répondre aux questions du Sénat états-unien.

1.3.2 La première audition et la question des « fonds juifs »

Cette audition du 23 avril 1996 a marqué un tournant pour la définition de la question. En effet, pour la première fois, toutes les parties impliquées se sont mises d’accord sur les fonds concernés et sur les modalités de leur recherche. A tel point que le

Journal de Genève (25.4.96) a titré : « Les banques suisses ont réussi à désamorcer la bombe des fonds juifs, Hans Baer, le représentant de l’Association suisse des banquiers, a calmé la polémique par sa déposition devant le Sénat américain ». Comme l’a remarqué la

correspondante à Washington du Nouveau Quotidien (24.4.96), « [à] l’issue de la première

séance d’audition au Sénat, tous semblaient […] d’accord sur la marche à suivre ». De

leur côté, le Sénateur D’Amato, le président du Congrès juif mondial Edgar Bronfman et le sous-secrétaire d’État Stuart Eizenstat* ont affirmé leur volonté d’établir la justice et la vérité de manière à régler une fois pour toute cette question. En conséquence, ils ont exigé la conduite d’un audit objectif et indépendant, aussi large que possible, « qui prenne en

compte non seulement les banques mais aussi les bureaux d’avocats et d’assurances ; qui passe au peigne fin non seulement les comptes étrangers mais aussi les dépôts helvétiques puisque pendant la guerre nombre d’Helvètes auraient prêté leurs signatures à des juifs. Et que cette enquête inclue les avoirs nazis, puisque ceux-ci ont dérobé des fortunes dans toute l’Europe ». Pour sa part, Hans Bär a exprimé « la ferme volonté des banques suisses de retourner à leurs ayants droit tous les fonds des victimes de l’Holocauste ». Puis, il a

annoncé la création d’une « commission indépendante composée pour moitié de personnalités choisies par l’ASB et pour l’autre de personnes choisies par le Congrès juif mondial »xxviii.

La définition de la situation ne s’est pas uniquement clarifiée pour les acteurs directement impliqués. Dès le mois d’avril, la presse de Suisse romande a sensiblement modifié son traitement des « fonds en déshérence ». Elle leur a accordé plus d’importance, a renoncé à les considérer comme un problème strictement économique pour les présenter comme un enjeu politique, clairement identifiable par un lexique stable. Ainsi, Le Nouveau

Quotidien et le Journal de Genève ont renoncé aux seules brèves confinées en rubrique

économique. Dès lors, ils ont consacré de pleines pages en rubrique nationale – souvent illustrées de photographies – à ce qu’ils ont commencé à appeler l’« affaire des fonds

juifs ».

Tout d’abord, c’est à partir du mois d’avril 1996 que les « fonds en déshérence » ont acquis une place privilégiée dans l’arène médiatique. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer la nette augmentation du volume d’articles publiés à ce sujet15, et surtout leur apparition en première page des quotidiens16. Sur ce point, la pratique du Nouveau

Quotidien est particulièrement éclairante. Ses trois premières « une » composent un

crescendo qui a progressivement dessiné les contours de la première audition du Sénat. C’est le 29 mars qu’il a pour la première fois placé une dépêche en « une ». Sous le titre « Fonds juifs en Suisse », elle annonçait que le Congrès juif mondial venait de mettre la

15

A titre indicatif, les services francophone et germanophone de l’Agence télégraphique suisse ont diffusé 93 dépêches de janvier 1995 à mars 1996 (soit une moyenne de 6,2 par mois), alors qu’ils en ont publié 51 aux seuls mois d’avril et mai 1996 (soit une moyenne mensuelle de 25,5).

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En 1996, la première « une » du Tages-Anzeiger remonte au 24 avril, au 3 mai pour le Journal de Genève et la Liberté.

main sur des documents « prouvant que les avoirs juifs sur des comptes suisses étaient

infiniment supérieurs à ce qu’avanç[aient] les banques ». Cette information a été

prolongée dans l’édition suivante, datée du 1er avril. C’est à nouveau en première page que paraissait un long article intitulé « Fonds juifs : nouvelles accusations contre les banques

suisses ». Il annonçait que le Congrès juif mondial venait de rendre publics des documents

inédits concernant la Société Générale de surveillance, qu’il s’apprêtait à dévoiler les liens entre les banquiers suisses et le régime nazi, et qu’il avait transmis l’affaire au sénateur Alfonse D’Amato. Ces deux premières mises en évidence ont été prolongées par la « une » du 11 avril intitulée « Greta Beer face aux banques suisses ». Elle s’ouvrait sur un long article retraçant la veine quête de la première femme à témoigner « devant la Commission

pour les affaires bancaires du Sénat, chargée du dossier ». L’article racontait que cette

femme, états-unienne d’origine roumaine, avait tenté des décennies durant de retrouver la fortune de son père. Mais elle s’était systématiquement heurtée au silence des banquiers suisses. La présentation de cette situation particulière introduisait à la première audition du Sénat, annoncée comme le point d’orgue des révélations antérieures. Le même jour, l’éditorial du Nouveau Quotidien ne s’embarrassait pas de fioritures lexicales. Son titre « Fonds juifs : les banquiers à l’épreuve », annonçait une prise de position sans ambages (Le Nouveau Quotidien, 11.4.96) :

La recherche de la vérité et la restitution des biens ainsi retrouvés ne concernent pas que les banques. C’est tout un pays qui est mis en cause. […] Les juifs nous demandent aujourd’hui des comptes, de la manière la plus concrète qui soit. Les sommes articulées par eux sont peut- être exagérées. […] Mais les autres ont droit à des explications, à une réparation, à des excuses. Toutes choses que l’honneur commande et que les banquiers, pour l’heure, refusent.

Ensuite, c’est également au mois d’avril 1996 que tous les quotidiens latins ont définitivement fait passer les articles consacrés aux « fonds en déshérence » de la rubrique économique à la rubrique nationale. Dans le Journal de Genève, ce passage s’est stabilisé après le 2 avril 1996, dans le Matin après le 15 avril à deux exceptions près. Dans Le

Nouveau Quotidien cette transition s’est réalisée en douceur. En effet, ce journal a

exclusivement tiré en rubrique économique jusqu’au 10 avril 1996. Il a inséré un premier article en rubrique « politique » le 11 avril, puis il a indifféremment utilisé les deux sections jusqu’au 6 mai avant d’opter presque exclusivement pour la seconde.

Enfin, le mois d’avril 1996 a surtout été marqué par le développement et la stabilisation d’un lexique journalistique spécifique. C’est au moment des auditions sénatoriales que la plupart des quotidiens ont commencé à indiquer que les biens des victimes du nazisme constituaient un phénomène identifiable, susceptible de relever d’une sous-rubrique ad hoc. Ainsi, le 24 avril 1996 Le Matin a introduit une sous-rubrique « Avoirs juifs en Suisse », remplacée dès le 29 avril par la formulation « Avoirs juifs », qui a dès lors introduit tous ses articles à ce sujet. C’est à la même date que le Journal de

Genève a relaté les auditions de la commission bancaire sous le titre « Fonds juifs : un sénateur américain critique les banques suisses ». Dès lors, ce n’est qu’occasionnellement

qu’il s’est départi de la routine consistant à composer tous les titres de ses articles consacrés à la question sous la forme « Fonds juifs : … ». De son côté, La Liberté avait quelque peu anticipé le mouvement, étant donné que c’est le 18 avril 1996 qu’elle avait étrenné sa sous-rubrique « Fonds juifs » pour relater l’annonce de l’Association suisse des banquiers concernant la création d’une commission indépendante. Cependant, c’est à partir du 24 avril que le quotidien fribourgeois a systématiquement inscrit les articles qui lui étaient consacrés sous les termes « Fonds juifs » ou « Avoirs juifs ». En la matière, le quotidien le plus précoce a été Le Nouveau Quotidien : c’est dès ses éditions des 16 et 17 avril qu’il a introduit une sous-rubrique « Fonds juifs », pour annoncer respectivement

l’élargissement de la question aux assurances et la nomination de Hans Bär pour représenter l’Association suisse des banquiers devant le Sénat des Etats-Unis. Enfin, le

Corriere del Ticino a pour sa part commencé dès le mois d’avril à régulièrement introduire