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L’analyse définitionnelle a permis de repérer les terminologies qui ont pris forme au cours du débat sur le rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale. Partant des premières demandes formulées à l’hiver 1994, elle a montré comment le lexique des « fonds en déshérence » a dominé les débats entre l’hiver 1994 et avril 1996 (1.2, supra). Cette terminologie a structuré des activités de revendication au cours desquelles a été débattu et traité un problème de droit privé, confrontant des clients à leurs banquiers (2.3.2,

supra). Cette analyse mérite cependant d’être affinée. Avant que le terme de « fonds en déshérence » – promu à l’origine par les seuls banquiers suisses – s’impose dans le cadre

des procédures coordonnées par la centrale de recherche, il a été opposé à la notion de « biens des victimes de l’Holocauste ». Par le recours à ces terminologies, deux groupes antagonistes se sont constitués. Au fil de leurs confrontations, ils se sont dotés d’identités distinctes, s’attribuant mutuellement des motifs, des intérêts, des valeurs et des responsabilités, par le recours à des lexiques diamétralement opposés.

Pour retracer ce processus, il convient de revenir aux premières requêtes, formulées au printemps 1995. A l’époque, les parlementaires et les médias israéliens – relayés par quelques députés et journaux suisses – ne parlaient pas d’une situation de « déshérence », c’est-à-dire d’avoirs qui n’auraient été recueillis par aucun héritier. Ils évoquaient de nombreux dépôts qui auraient été volés par des banquiers suisses, alors que leurs titulaires étaient dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits. Cette logique animait déjà la petite

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Ce lien indissociable entre les lexiques, les objets et les identités des acteurs est un phénomène général. Il pose des problèmes considérables pour toute analyse des situations politiquement sensibles. En témoigne un petit ouvrage dans lequel deux journalistes français font part des difficultés qu’ils rencontrent pour rendre compte de la guerre israélo-palestinienne (Dray et Sieffert, 2002). A ce sujet, la situation est tellement polarisée que tout article ou commentaire peut être soupçonné d’accréditer en bloc telle ou telle version de l’histoire en fonction du seul lexique qu’il emploie. Ainsi, parler de « territoires occupés » revient à endosser le point de vue des résolutions des Nations Unies, et du même coup à faire preuve d’antisionisme aux yeux de la droite israélienne. De même, employer les termes de « colonies », d’« implantations » ou de « bourgades » (le terme recommandé par le gouvernement israélien) revient également à choisir son camp.

question posée par Otto Piller le 6 décembre 1994 : selon lui, il était probable que des clients soient « escroqués » (geprellt) par leurs banquiers. Cette définition a été reprise par Jean Ziegler dans sa petite question du 7 mars 1995 concernant des « fonds de victimes de l’Holocauste, retenus […] dans les banques suisses ». Ce point de vue a été radicalisé avec l’intervention de parlementaires et de médias israéliens, accusant les banques suisses d’avoir « volé les victimes de l’Holocauste » (cf. 1.2.1, supra).

En un seul mouvement, cette terminologie a défini des avoirs volés, des victimes de

l’Holocauste escroquées et des banquiers malveillants. Du même coup, elle a institué une perspective morale, à partir de laquelle il était possible de percevoir et de dénoncer un scandale. Elle a fondé la mise en cause des banquiers suisses, accusés d’avoir profité de la

disparition tragique de certains de leurs clients pour faire main basse sur leurs biens. Autrement dit, les interventions articulées autour de la notion « biens des victimes de l’Holocauste » désignaient de manière particulière un objet spécifique, tout en identifiant les sujets qui l’ont adoptée. En recourant à ce lexique, ces acteurs se sont présentés comme des défenseurs de la justice, soucieux que soit préservée la propriété individuelle, et prêts à s’engager pour que ces biens soient restitués à leurs titulaires légitimes. Leurs prises de position ont dessiné un portrait peu reluisant des banquiers suisses, identifiés sous les traits de voleurs ou d’escrocs, motivés par le seul appât du gain, prêts à s’attaquer aux plus faibles, en l’occurrence aux victimes des abominations nazies.

3.2.1 Un justicier dénonce le scandale des « biens des victimes de l’Holocauste »

Les premières activités de revendication ont ainsi construit un monde cohérent, articulant, autour d’une notion, la désignation d’un objet, et les identités des acteurs qui lui étaient associés. Elles ont donné forme à la terminologie des « biens des victimes de l’Holocauste » qui a défini trois identités indissociables, articulant le dénuement des clients auxquels ils avaient été dérobés, la cupidité des banquiers qui les avaient volés et la vertu des justiciers qui en exigeaient la restitution. Cette dernière position a durablement été occupée par Jean Ziegler. Ce dernier n’a cessé d’affirmer que le destin des biens des victimes de l’Holocauste révélait « l’hypocrisie, le cynisme et le banditisme bancaires »i :

Comme député, je souhaite utiliser cette crise pour mettre fin à ce système qui continue de nuire au Tiers monde.

A ses yeux, le problème n’était donc pas circonstanciel. Au contraire, il dévoilait les coulisses d’une place financière véreuse, et le vrai visage de banquiers dénués de scrupules et de tout sens moral, confirmant du même coup la pertinence d’un combat mené de longue date par Jean Ziegler. Député socialiste genevois et sociologue, il a défendu cette thèse à différents titres. Mais il ne s’est jamais départi de cette problématique morale dont la logique lui permettait d’exprimer son indignation devant le Parlement suisse, dans l’ouvrage qu’il a consacré à la question, lors de ses nombreuses interventions médiatiques, ou face à la commission bancaire du Sénat états-unien.

Les prises de position de Jean Ziegler me permettront donc d’éclairer cette logique de l’indignation adossée à la terminologie des « biens des victimes de l’Holocauste ». Deux ans après sa première intervention devant le Conseil national, il l’a déployée de manière particulièrement explicite dans son ouvrage intitulé La Suisse, l’or et les morts (Ziegler, 1997 [1997]). Pour résumer son propos, j’en retiendrai la thèse centrale. Elle consiste à affirmer qu’en entretenant des relations financières avec l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse lui avait fourni les ressources nécessaires pour mener sa guerre d’agression et résister deux ans de plus aux offensives alliées. Se faisant receleuse de Hitler en acceptant l’or volé par les nazis, la Suisse se serait donc rendue coresponsable d’actes relevant d’une « collaboration comparable à celle du régime

de Vichy », causant des centaines de milliers de victimes. Pour leur part, les banques

suisses auraient largement bénéficié de ces trafics, auxquels elles devraient leur prospérité et leur puissance financièresii.

Il n’est pas question d’entreprendre une analyse fine ni de ce texte controversé, ni des nombreuses discussions auxquelles il a donné lieu. Seule m’intéresse ici la dynamique

identitaire qui l’anime. Nul besoin de se lancer dans une lecture approfondie de cet

ouvrage pour déceler sa forte composante normative. Au fil des pages, Jean Ziegler présente le rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale comme un scandale. Les chapitres s’égrainent des « innocents coupables » au « butin de l’Holocauste » en passant par « Les receleurs de Hitler », « Les assassins », « La guerre économique » et « La

victoire sur les vainqueurs ». Au fil des pages, se déploie ainsi un monde dans lequel la

« lumière » portée par l’auteur s’oppose à la « tromperie », à « l’amnésie », à

« l’ignorance » et aux « détournements » qu’il dénonce. Autour de ce lexique normatif, il définit de manière cohérente un problème moral et les identités d’acteurs auxquels il attribue des responsabilités, des motifs et des intérêts, qui appellent un jugement.

Pour Jean Ziegler, la situation de « l’or volé nazi et l’argent de l’Holocauste » constitue un cas exemplaire, qui révèle les structures d’un univers injuste, dans lequel s’opposent la misère des populations démunies et la tyrannie de dirigeants politiques, associée à l’appât du gain des milieux financiers (idem : 52) :

L’or volé par Adolf Hitler et ses sbires, qui demeure encore en majeure partie en Suisse, n’est pas fondamentalement différent de l’argent que le tyran zaïrois Joseph Désiré Mobutu place sur des comptes privés dans les grandes banques suisses. Des millions de femmes, d’enfants et d’hommes ont été conduits à la mort par les troupes de Hitler. Des centaines de milliers d’enfants meurent tous les ans au Zaïre et dans d’autres pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine par suite d’épidémies et de sous-alimentation, uniquement parce que Mobutu et les autres dictateurs du même genre pillent leur pays avec l’aide des requins de la finance suisse.

Dans cette perspective, Jean Ziegler ne parle ni d’un litige privé entre des clients et leurs banquiers, ni d’une question historique liée aux circonstances particulières de la Seconde Guerre mondiale, ni d’un enjeu juridique. Il présente plutôt un tableau dans lequel s’opposent des victimes désemparées et des oppresseurs sans scrupules. De la sorte, il rend compte d’une situation qui requiert une évaluation normative, c’est-à-dire face à laquelle chacun est appelé à prendre position. Confronté à ce problème de conscience, Jean Ziegler a clairement choisi son camp. Il se présente comme un justicier prenant fait et partie au côté des victimes, pour dénoncer les despotes et les banquiers, responsables d’une situation qu’il juge inacceptable. Invoquant son exaspération et sa subjectivité, il affirme son indignation et son incapacité de se taire face à l’horreur et l’intolérable d’une situation monstrueuse.

Dans la première partie de son ouvrage, il construit sa propre identité autour de cette

nécessité de parler. Significativement, les premières pages de l’ouvrage sont consacrée au

récit d’un incident, dans lequel il rapporte comment le président du Conseil national a décidé d’annuler un débat sur « les ‘comptes suisses vacants’ et sur l’or nazi déposé dans

les caves des banques helvétiques » (idem : 16) :

M. Bigler, huissier fédéral en uniforme vert à chaîne d’or, vient vers moi. Nous nous aimons bien, et Bigler a l’air gêné : « Je suis désolé, mais vous ne pourrez pas parler aujourd’hui : il n’y a pas de débat. »

Je n’en crois pas mes oreilles. Au cours du week-end, le président, soutenu par le bureau du Conseil, a décidé d’interdire qu’il y ait débat général. Seuls pourront prendre la parole le ministre des Affaires étrangères, Flavio Cotti, et un porte-parole préalablement

désigné de chaque groupe parlementaire. Tous les autres élus du peuple seront réduits au silence.

Je me précipite à la tribune présidentielle et je proteste violemment. Le président, Jean- François Leuba, ne comprend pas mon indignation. Sur un ton de reproche, il me dit : « vous ne voudriez quand même pas que nous nous donnions en spectacle devant ces étrangers [la presse internationale] ? »

Privé de parole au sujet des biens des victimes de l’Holocauste, Jean Ziegler ne se contente pas de se démener pour se faire entendre. Face à ses opposants qui voudraient le faire taire, il invoque des principes supérieurs qui légitiment sa prise de position (La

Liberté, 19.3.97) iii :

« En tant que député », proclame-t-il d’entrée, j’ai violé le devoir de confidentialité. » C’est un acte répréhensible selon le droit concède-t-il, mais il existe une autre loi, celle de l’élémentaire morale.

Ce faisant, Jean Ziegler invoque un motif, expliquant rétrospectivement son entorse à la loi. Dans le même mouvement, il définit un problème, il identifie les acteurs qui l’ont créé, il évalue leurs manquements moraux et il s’attribue des raisons d’agir. Il se dote ainsi d’une identité qu’il présente comme exemplaire, au double sens de ce terme. Dans sa perspective, son expérience est loin d’être anecdotique. Au contraire, il la présente comme un révélateur, mettant au jour une véritable conspiration du silence érigée autour du passé de la Suisse. Les autorités helvétiques n’auraient pas attendu ce débat parlementaire pour réduire au silence les critiques émises au sujet du rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale. Au contraire, elles auraient de tout temps fait taire les voix discordantes (idem : 25-28). Ainsi, Jean Ziegler rappelle que, dans les années 1980 déjà, le rapport de Urs Vogler sur les transactions sur l’or avec la Reichsbank avait été censuré et que le débat au Parlement avait été étouffé (cf. 1.4.3, supra). Puis, il évoque le cas de l’historien Hans Ulrich Jost, qui avait osé écrire que « Notre pays fut intégré de facto à l’espace

économique allemand » (cité in idem : 26). En conséquence, ce chercheur fut injurié,

diffamé, attaqué, mis sous surveillance et sous écoute téléphonique par la police fédérale qui le considérait comme un ennemi de l’État.

En prenant position avec virulence au sujet de « l’or volé nazi et l’argent de

l’Holocauste », Jean Ziegler s’est présenté comme un justicier face à un monde divisé

entre des oppresseurs et leurs victimes. Ces dernières sont d’abord les victimes de l’Holocauste spoliées et assassinées par les nazis et volées par les banquiers suisses. Mais c’est également la population suisse, trompée durant des décennies par ses autorités (Tribune de Genève, 18.3.97 et Journal de Genève, 19.3.97)iv :

Mon père est mort il y a quelques années. Il avait 85 ans, était colonel, président de tribunal à Thoune. Jusqu’à son dernier jour, il a cru avoir défendu l’arme à la main, sa famille, le peuple, l’Helvétie. Or, il a été effroyablement trompé. Il n’a fait que garder le coffre-fort d’Hitler. Maintenant, j’ai un fils, je ne veux pas que ce mensonge continue.

[S]i j’ai écrit ce livre, c’est beaucoup pour venger la génération de mon père à laquelle on a menti en lui faisant croire que seule l’armée avait tenu Hitler en respect […].

Ainsi, Jean Ziegler distingue au moins trois acteurs collectifs à l’intérieur des frontières helvétiques. Les « puissants » – les autorités politiques et bancaires – se voient attribuer une cupidité et un cynisme sans bornes. Non contents d’avoir collaboré avec les nazis, ces oppresseurs ont fait deux catégories de victimes en Suisse. D’une part, ils ont trompé et trahi la population. D’autre part, ils ont réprimé sans ménagement les

intellectuels critiques qui se sont élevés pour dénoncer leurs pratiques (Journal de Genève,

Je veux que les responsables de cette politique de collaboration soient enfin nommés. […] La Suisse doit, elle aussi, entreprendre un processus de dénazification, ne serait-ce que pour éviter ce climat de culpabilité collective qui se répand. Ca me révulse, il n’y a jamais de culpabilité collective. Il faut cesser de dire : c’est la faute de la Suisse, c’est la faute de tous les Suisses. C’est faux et c’est injuste. […] Il faut tirer les leçons du passé : cela veut dire notamment s’engager pour la suppression du secret bancaire, empêcher l’afflux des capitaux que des dictateurs comme Mobutu cachent en Suisse

Cette distinction est décisive dans le discours de Jean Ziegler. Elle lui permet à la fois de s’élever au nom de la population suisse contre ses dirigeants et de démarquer son intervention des revendications formulées au nom des victimes de l’Holocauste (Tribune

de Genève, 18.3.97) vi :

Ce livre est celui de ma colère. […] Je ne voulais pas uniquement relire le passé de mon pays. Je voulais désigner les responsables. Je déteste quand des gens comme D’Amato accusent la Suisse en général. Non, le temps est enfin venu de nommer ceux qui ont agi avec tant de cupidité, qui ont causé cet immense scandale que sont l’or nazi et les comptes en déshérence.

Jean Ziegler se présente alors comme celui qui veut rompre le silence imposé à la population suisse. Il entend dénoncer nommément les responsables de cette situation intolérable : « Pour ce que la Confédération a fait dans les années 1933-1945 – ou n’a pas

fait, s’agissant d’accueillir les réfugiés juifs – il y a des coupables. Je veux les nommer par leurs noms » (idem : 51). Ce faisant, il prétend faire œuvre d’intellectuel engagé.

S’insurgeant contre le sort réservé aux victimes de l’Holocauste, il entend parler au nom de la population suisse, provoquer sa prise de conscience et contribuer à sa révolte : « Mon

livre est un « essai d’intervention » au sens sartrien, une arme ! » (idem : 52). En tant

qu’appel à la rébellion, cette arme n’est pas pointée dans le vide : elle est dirigée contre « le cynisme des gnomes, contre l’innocence constitutive des citoyens de la Confédération,

contre leur incapacité au deuil » (idem : 53).

Ce détour par l’ouvrage de Jean Ziegler a permis de cerner l’organisation identitaire qu’il a constituée autour de la notion des « biens des victimes de l’Holocauste ». Cette dénonciation d’un scandale n’a pas été portée par le seul Jean Ziegler. Un raisonnement similaire, à quelques nuances près, a animé la plupart des exigences de restitution formulées, en Suisse, par des parlementaires et des médias entre l’hiver 1994 et le printemps 1996. Ainsi, alors que les soupçons s’accumulaient contre de nombreuses entreprises helvétiques – suite à la première audition du Sénat états-unien qui avait donné forme à la question des « fonds juifs » – l’historien bâlois Mario König a demandé que « les archives des banques soient enfin ouvertes ». Pour justifier cette requête, il a adopté une argumentation que n’aurait pas renié Jean Ziegler, affirmant que « les banquiers

suisses de l’époque avaient un sens moral sous-développé » et que « [l]a neutralité a de nouveau été utilisée comme camouflage pour des commerces douteux »vii.

Plus encore, cette problématique morale – constituée dès les premières demandes de restitution des biens des victimes de l’Holocauste – n’a pas été uniquement anecdotique. Elle a été déployée par de nombreux acteurs et Jean Ziegler l’a reprise et spécifiée tout au long de la controverse. Bien que nettement marginalisée par les définitions successives du problème, elle a été invoquée tout au long de la discussion. Pour autant, il ne faudrait pas non plus en surestimer l’importance. En effet, les premières demandes de restitution sont pour l’essentiel restées sans réponse, et leur définition de la situation a rapidement été supplantée par la logique développée par les banquiers suisses sous la notion de « fonds en déshérence ». Emporté par la dynamique de la controverse sur « les fonds juifs et l’or

nazi », l’ouvrage de Jean Ziegler a été controversé avant que toutes ses prises de position soient irrémédiablement délégitimées.

3.2.2 Les réceptions fluctuantes d’une indignation durable

Pour retracer cette dynamique de délégitimation, il convient de ne pas se laisser aveugler par la seule cohérence interne des revendications qui ont continûment fait référence au problème moral posé par les biens des victimes de l’Holocauste. Ce raisonnement pratique a été déployé tout au long de la controverse pour formuler des

requêtes et pour manifester de l’indignation. Cependant, ces interventions ont acquis des

significations extrêmement variées, en fonction des diverses réponses qui leur ont été apportées à différents moments du débat. En analysant ces dernières, l’analyse s’infléchira vers une herméneutique de la discussion publique et s’ouvrira sur une problématique de la réception7. Cette démarche mènera en effet à considérer que les réactions contribuent à la détermination des actions auxquelles elles répondent.

A ce titre, l’examen de la trajectoire identitaire de Jean Ziegler sera particulièrement instructif. A différentes occasions, il a repris une argumentation similaire, affirmant régulièrement son indignation face au scandale d’une problématique morale. Cependant, ses prises de position ont suscité des réactions diversifiées, par lesquelles ses opposants lui ont attribué des identités nettement distinctes à différents moments de la controverse.

Un acteur marginal, un historien dilettante et un essayiste politique

Dans un premier temps, Jean Ziegler s’est signalé par la petite question qu’il a posée au Gouvernement, en séance du Conseil national du 7 mars 1995. A l’époque, cette requête est restée presque inaperçue. Prise dans la série des revendications portées par des