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Les activités de revendication qui ont défini la question « des fonds juifs et de l’or nazi » ont composé un système d’action déconcertant, qui a fondé l’émergence d’alliances improbables. Des politiciens que tout opposait se sont alliés autour de cette cause, des personnes qui ne s’étaient jamais rencontrées ont pris part à la même plainte collective, les avocats saisis des dossiers de ces plaignants se sont entre-déchirés, le Parlement suisse a adopté à l’unanimité – gauche et droite confondues – une levée partielle du secret bancaire, etc.

Dès 1994, des représentants politiques se sont engagés aux côtés des personnes directement concernées, pour faire valoir leur droit à disposer des biens qu’eux-mêmes ou leurs parents avaient déposés auprès d’établissements bancaires suisses. Or, cette coalition avait ceci de curieux que son découpage ne recouvrait aucun clivage partisan. Ainsi, lors de la première audition de la commission bancaire du Sénat états-unien, Alfonse D’Amato, Edgar Bronfman et Stuart Eizenstat ont été identifiés comme une coalition, unie pour défendre d’une seule voix « la vérité et la justice ». Transcendant leurs divergences, ces trois acteurs, que tout opposait jusqu’alors, ont fait cause commune autour de ce dossier. Certes, il n’était pas trop étonnant de retrouver Edgar Bronfman, un important bailleur de fonds du parti démocrate, aux côtés d’un représentant de l’administration Clinton. En revanche, il était plus surprenant qu’il ait sollicité le soutien d’un sénateur réputé pour son ancrage dans la droite conservatrice du parti républicain1. Plus encore, il est étrange que, malgré cette démarche du Congrès juif mondial, le président Clinton ait tenu à lui exprimer personnellement son soutien. En effet, il avait alors toutes les raisons de nourrir quelques rancœurs personnelles à l’endroit du sénateur D’Amato, lequel menait alors une violente campagne contre le couple présidentiel devant la commission d’enquête sur l’affaire Whitewater.

Nous voici plongés au cœur de l’énigme : Aux États-Unis, les biens des victimes de l’Holocauste ont réuni des personnages qui étaient jusqu’alors de farouches adversaires. Isolée, cette observation pourrait être considérée comme purement anecdotique. Cependant, bien d’autres clivages politiques ont été comblés au fil de cette discussion. En Israël, les premières interventions ont été lancées par des parlementaires du Likoud, alors dans l’opposition. Puis, le gouvernement travailliste a repris ces revendications à son compte et a chargé le Congrès juif mondial de représenter les intérêts israéliens sur ce dossier. En Angleterre, il n’est guère étonnant que Greville Janner ait soulevé la question de « l’or nazi » en tant que vice-président du Congrès juif mondial. En revanche, il est plus surprenant de voir ce turbulent député travailliste collaborer avec Malcom Rifkind – alors ministre des affaires étrangères du Gouvernement de John Major – sur le dossier de « l’or nazi » conservé à la Banque nationale suisse. En Suisse, il était possible de s’attendre à ce que Jean Ziegler, en bouillant détracteur des pratiques bancaires helvétiques, s’empare de ce dossier. En revanche, il est plus curieux que ce pourfendeur des révolutions conservatrices et de l’impérialisme états-unien2 ait tenu à témoigner devant la commission sénatoriale présidée par le sénateur D’Amato.

Pour expliquer la formation de ces alliances curieuses – voire mal assorties – il serait envisageable de considérer que la grille de lecture politique est inappropriée. Cependant, les associations et les clivages qui ont pris forme autour de la question des « fonds juifs et de l’or nazi » ne recoupent aucune délimitation institutionnelle. Les coopérations se sont nouées par-delà les frontières nationales, et des confrontations ont déchiré des

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Le conservatisme d’Alfonse D’Amato pourrait être illustré par de nombreux exemples. Ainsi, en matière de politique culturelle, il a été le premier à dénoncer le caractère blasphématoire de La dernière tentation

du Christ de Martin Scorsese, s’embrigadant ainsi dans la campagne de censure morale et religieuse des

œuvres artistiques menée notamment par le sénateur Helms et l’American Family Association (cf. Bourdieu & Haacke, 1994 : 11-23).

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Au cours de son mandat de député, le socialiste genevois Jean Ziegler a fait preuve d’une verve politique peu commune. Au fil de ces années, il a également exprimé ses vues sous sa plume de sociologue. Il a sévèrement attaqué les banquiers suisses dans son essai La Suisse lave plus blanc (Paris, Seuil, 1990). Il a exposé ses vues anti-impérialistes dans de nombreux ouvrages aux titres évocateurs, tels que Retournez

les fusils ! Manuel de sociologie d’opposition (Paris, Seuil, 1980), Contre l’ordre du monde, les Rebelles ; mouvements armés de libération nationale du Tiers-Monde (Paris, Seuil, 1983) ou La Victoire des vaincus, oppression et résistance culturelle (Paris, Seuil, 1988).

compatriotes. Des historiens et des juristes ont collaboré alors même qu’ils s’opposaient fermement à certains de leurs collègues.

La démarche interactionniste ouvre une brèche face à de telles impasses analytiques. Au lieu d’identifier et de mentionner les différents acteurs impliqués dans un problème, elle interroge les identifications de ces acteurs, c’est-à-dire la manière dont des identités leur ont été attribuées au fil d’activités de revendication particulières. Cette démarche a été popularisée sous le terme des théories de l’étiquetage, principalement appliquées à l’analyse de la déviance. Malheureusement ces analyses, leurs usages et leurs réceptions ont donné lieu à de nombreux malentendus. C’est pourquoi je commencerai par une rapide mise au point théorique.

3.1.1 Une problématique pragmatiste des identifications

L’analyse de la controverse sur « les fonds juifs et l’or nazi » révèle les limites des analyses qui considèrent la structure sociale comme un système intégré de positions, définies indépendamment d’activités particulières3. Plusieurs auteurs ont proposé d’amender la théorie fonctionnaliste, en assouplissant les concepts de rôle et de statut, de manière à considérer l’ajustement des comportements aux situations, et donc à prendre en compte le changement social. Ainsi, Robert K. Merton a proposé de distinguer les motivations subjectives d’une attitude et ses conséquences objectives (Merton, 1953). Erving Goffman a mis en évidence les interférences de rôles susceptibles de se produire lors d’interactions particulières. Ainsi, il a montré que les acteurs ne font pas qu’endosser un rôle prédéfini. Ils peuvent prendre distance à son égard, voire même l’abandonner, ce qui introduit une part d’incertitude quant au déroulement de l’action, et implique que les partenaires soient prêts à s’adapter à ces changements (p.ex. Goffman, 1968 : 241-243). Cependant, comme le souligne Joshua Meyrowitz, la perspective goffmanienne n’est dynamique qu’en surface. Elle décrit la vie sociale comme un drame complexe, composé d’une pluralité de scènes, sur lesquelles les acteurs jouent une diversité de rôles. Elle rend donc compte des activités nécessaires à l’ajustement à un ordre social relativement stable, constitué de règles, de rôles, d’occasions sociales et d’institutions déterminées (Meyrowitz, 1984 : 2) :

In Goffman’s social world, the dynamism is mostly in the projection of figures against a static ground. Behavior may change from place to place, but the ways in which it changes, as well as the situations for which it changes, are usually constant.

(Dans le monde de Goffman, le dynamisme réside principalement dans la projection de figures sur un fond statique. Les comportements peuvent changer de place en place, mais les manières dont ils changent, ainsi que les situations pour lesquelles ils changent, restent habituellement constantes.)

Plus radicalement, une approche interactionniste renverse la logique fonctionnaliste. Elle considère en effet que la contingence et la relative indétermination des situations n’ont pas à être traitées comme les variations d’une norme. Elle propose au contraire de les aborder comme des circonstances ordinaires, susceptibles d’être appréhendées du point de vue des acteurs qui s’y sont engagés. Dans cette perspective, l’énigme à prendre en considération dans le cas des « fonds juifs et de l’or nazi » n’est pas celle du sociologue, incapable de ramener un système d’action particulier à un ordre institutionnel, c’est-à-dire aux rôles et aux statuts qu’il détermine et qu’il assigne aux acteurs. Il s’agit au contraire d’observer comment les protagonistes de la controverse ont défini les événements auxquels ils ont pris part, comment, ce faisant, ils se sont mutuellement attribué des

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Les approches fonctionnalistes de ces notions sont présentées notamment par Lucchini et Ridoré (1983 : 26-32) et Durand et Weil (1990 : 92-95).

identités, des intérêts, des motifs ou des responsabilités de manière à expliquer leurs actions.

Rompant avec les notions de structure sociale, de rôle et de statut, cette approche privilégie une problématique des identités et des identifications empruntée à la philosophie pragmatiste de l’action (p.ex. Strauss, 1992 [1959])4. Plaçant la négociation au fondement de l’ordre social, cette analyse s’oppose à ses interprétations en termes de règles et de règlements, ignorant comment ces derniers « sont promulgués, maintenus, manipulés,

enfreints, modifiés et même entièrement abolis puis supplantés. Tout ceci suppose que l’on conçoive les humains comme des êtres qui façonnent leurs mondes dans une certaine mesure – malgré les contraintes qu’ils rencontrent inévitablement » (idem : 14). Un tel

mouvement suppose de placer le langage au cœur de l’identité, dans la mesure où cette dernière implique nécessairement des termes par lesquels des personnes sont désignées. En soulignant ce point, les interactionnistes ne suggèrent ni que le langage serait doté de quelconques propriétés magiques, ni qu’il faille s’intéresser pour eux-mêmes aux noms utilisés, dans l’action, pour identifier des personnes. Ils indiquent en revanche que l’acte de

nommer forme un système duel, impliquant au moins une relation entre un donneur et un receveur. Ce lien étant indissociable des formes langagières qui le constituent, leur analyse

permet notamment d’identifier l’orientation mutuelle des acteurs et les identités qu’ils s’attribuent réciproquement.

Cette problématique peut être élargie à l’identification des objets. Au même titre que pour les acteurs sociaux, « [l]a nature ou l’essence d’un objet ne réside pas en lui-même,

mais dépend de la façon dont il est défini par celui qui le nomme » (idem : 22). Autrement

dit, l’acte de nommer est indissociable de la connaissance : « nommer revient à connaître,

et […] l’on connaît dans la mesure où l’on nomme » (Dewey et Bentley cités in idem : 21).

Ce serait faire fausse route que de réduire ces formules à un nominalisme simpliste, affirmant que la réalité réside dans les mots utilisés par les acteurs sociaux pour construire leurs mondes en les nommant. Bien plus profondément, elles invitent à considérer que toute dénomination est avant tout une action de connaissance qui définit ses objets et identifie ses sujets. Cette problématique pragmatiste des activités de nomination met en évidence les relations constitutives entre les terminologies, les objets qu’elles désignent et les sujets qui les mettent en œuvre.

Cette perspective est lourde de conséquences épistémologiques, théoriques et méthodologiques. Tout d’abord, elle dessine les contours d’une épistémologie

radicalement anti-positiviste, rendant problématique toute tentative visant à produire une

connaissance d’une dimension – la terminologie, les acteurs sociaux ou les objets – indépendamment des deux autres. Ensuite, considérant que ce sont des activités qui établissent les liens entre des acteurs sociaux, des objets et des lexiques, elle place au fondement de toute recherche une théorie du langage et de l’action. Enfin, elle ouvre la voie à un programme de recherche visant à produire et à traiter des données de manière à élucider les relations singulières, établies par des activités particulières, entre leurs sujets, leurs objets, et leurs lexiques5.

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Dans son travail, Anselm Strauss fait en particulier référence aux travaux de John Dewey et de George Herbert Mead.

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Peu de chercheurs sont parvenus à mettre en œuvre ce programme extrêmement exigeant. A mon sens, ce sont la production et le traitement des données qui soulèvent les problèmes les plus épineux. Sur ce point, nombre d’enquêtes interactionnistes sont insatisfaisantes, notamment parce qu’elles sous-estiment les enjeux de la transformation des observations en données, et de l’utilisation de ces dernières pour formuler une connaissance sociologique. Cette difficulté est particulièrement patente dans l’enquête, largement inspirée des méthodes interactionnistes, que j’avait consacrée aux trajectoires d’anciens alcooliques en me fondant sur les récits de vie qu’ils m’avaient confiés (Terzi, 1996). Je n’avais alors pas suffisamment élucidé les relations entre les carrières identitaires que je prétendais étudier, les narrations que j’avais

3.1.2 Activités de revendication, désignation des protagonistes et trajectoires identitaires

Ce rapide détour jette un nouvel éclairage sur l’énigme posée par le système d’action « des fonds juifs et de l’or nazi ». Pour une conception fonctionnaliste de l’intégration de l’ordre social en termes de statuts et de rôles sociaux, il apparaît pétri de paradoxes ou d’anomalies. Ce paradigme peine à envisager que des actions ne soient pas déterminées par des systèmes institutionnels préexistants, c’est-à-dire que leur développement puisse, par exemple, créer des alliances par-delà des clivages politiques, ou qu’elles fassent surgir des confrontations entre des avocats défendant des causes similaires. Il permet tout au plus de laisser entrevoir les stratégies déployées par des acteurs profitant des interstices creusés par des conflits de rôles, ou prenant distance à l’égard de ces derniers. La problématique des identifications et des identités en revanche renverse complètement la question. Elle permet en effet de saisir que ces acteurs n’étaient pas dotés d’identités prédéfinies en amont de leurs activités communes. Au contraire, leurs identifications ont pris forme au fil de leurs confrontations mutuelles et des démarches qu’ils ont entreprises pour revendiquer la restitution « des fonds juifs et de l’or nazi ». Elles ne peuvent donc être analysées indépendamment des différentes définitions du problème (chapitre 1, supra) et des diverses arènes constituées pour le résoudre (chapitre 2, supra).

Dès lors, ce qui se présentait comme une énigme insoluble devient une question cruciale pour l’avancement de la recherche. En effet, il n’y a rien d’intrigant à ce que les acteurs sociaux soient dotés d’identités multiples et variables, fluctuant au gré du déploiement des activités de revendications auxquelles ils ont pris part. En conséquence, il n’est pas possible de statuer sur leurs identités indépendamment de leurs engagements dans la résolution de problèmes, impliquant notamment des objets à rechercher (de l’argent, de l’or, etc.), identifiés sous des lexiques (« fonds en déshérence », « fonds juifs », « fonds juifs et or nazi ») qui ont considérablement évolué avant de se stabiliser. Autrement dit, il n’est pas question ici de se demander pourquoi un sénateur républicain a pu s’allier avec le président démocrate contre lequel il menait campagne. Il s’agit plutôt de se demander comment leurs engagements respectifs dans le traitement d’un problème particulier leur ont fait acquérir des identités telles qu’il est devenu envisageable, non problématique – voire même éventuellement évident – qu’ils collaborent afin de le résoudre.

Cette manière d’appréhender les dynamiques d’identification est décisive pour une analyse qui s’efforce de retracer la constitution d’un problème public, telle qu’elle s’est déployée du point de vue de ses protagonistes. Dans la démarche définitionnelle, ce mode d’analyse se manifeste par une acception extensive de la « neutralité axiologique », excluant de l’analyse non seulement les jugements de valeur, mais également les jugements de fait. Cette option esquive la question de la réalité des problèmes invoqués, pour fonder une démarche qui place au centre de son attention les processus d’imputation. Dans cette perspective, le sociologue doit renoncer à déceler les causes d’un problème, de manière à se concentrer sur les suppositions manifestées à leur sujet par les personnes qui agissent de manière à le rendre visible et pour le résoudre. Cette optique se prolonge jusque dans l’analyse des identités individuelles et collectives (Cefaï, 1996, 50) :

Les acteurs collectifs se constituent eux-mêmes dans des « agencements d’action » (agencies), à travers leur confrontation les uns aux autres, en relation à des objets et à des institutions, à des discours et à des pratiques. Les acteurs collectifs ne pré-existent pas tels

récoltées, et leurs transcriptions que j’analysais. En conséquence, je tendais à confondre les opérations d’identification que je réalisais à la lecture de ces versions écrites, la négociation des identités d’interviewer et d’interviewé lors des entretiens, et les stratégies identitaires déployées par les personnes interrogées au fil de leur parcours de vie.

quels aux configurations dramatiques et narratives de l’activité collective, mais sont configurés par ce qu’ils configurent.

L’approche interactionniste appréhende donc les acteurs et leurs identités comme des produits plus ou moins stables d’activités, au cours desquelles se donne à voir une collectivité en train de se faire. Au lieu de considérer que les acteurs seraient dotés d’identités avant d’entrer en interaction, elle propose d’étudier les activités qu’ils

développent en tant que processus d’identification. Du même coup, cette perspective

dissout l’énigme des alliances et des conflits qui ont émergé autour « des fonds juifs et de l’or nazi ». Les analystes ont été troublés d’observer que Edgar Bronfman, William Clinton, Alfonse D’Amato, Greville Janner ou Jean Ziegler aient fait cause commune. Cependant, leur surprise tenait largement à leur manière d’identifier ces acteurs en référence à leurs orientations politiques, leurs fonctions, leurs mandats ou leurs nationalités, c’est-à-dire indépendamment de leurs activités communes.

Cet étonnement se dissipe dès lors que l’on considère les identifications comme des

activités à analyser. Il est alors possible d’envisager que les acteurs ne sont pas dotés

d’identités en amont des activités de revendication auxquelles ils prennent part. Au contraire, c’est au fil de ces interactions qu’ils s’identifient et se voient attribuer des intentions, des motifs ou des rôles supposés expliquer et justifier leurs actions. En conséquence, cette approche recommande de ne pas identifier a priori Jean Ziegler en tant que sociologue, suisse et socialiste, ou Alfonse D’Amato en tant que sénateur, états-unien et républicain. Elle suggère au contraire d’étudier quelles identités ont été imputées à ces acteurs au fil des activités de revendication auxquelles ils ont participé, des requêtes et des réponses qu’ils ont formulées.

Nous touchons ici à une ouverture méthodologique. Le raisonnement déployé jusqu’ici implique que toute dénomination ou toute désignation est solidaire du point de vue à partir duquel elle est formulée. Elle fonde l’identité de celui qui la fait sienne et elle dirige son action (Strauss, 1992 [1959] : 24) :

Lorsqu’on change le nom d’un objet on réajuste sa relation avec lui et, ipso facto, on modifie son comportement en fonction de ce réajustement ; dans tous les cas, c’est la définition de ce qu’« est » l’objet et de ce pour quoi on le prend, qui permet à l’action de se produire.

L’identité des acteurs peut donc être explorée en prenant appui sur les résultats de l’analyse définitionnelle. Il s’agit alors d’élucider comment les lexiques adoptés pour parler des problèmes relatifs à la Seconde Guerre mondiale ont permis aux acteurs de se doter d’identités, et de s’attribuer mutuellement des intérêts, des motifs ou des responsabilités.

Concrètement, je vais maintenant reprendre l’étude des lexiques utilisés pour désigner la question des biens des victimes de l’Holocauste. Cependant, cette fois il ne s’agira plus seulement d’élucider les définitions d’un problème et d’identifier les objets qu’elles ont recouvertes. Je tâcherai d’observer les terminologies utilisées par les acteurs à différents moments de la discussion, de manière à repérer les positions et les identités qu’ils ont adoptées, leurs éventuelles transformations, et les relations qu’ils ont ainsi tissées entre eux. Il apparaîtra alors à quel point le terrain lexical de la question est miné. Chaque terme utilisé pour désigner le problème est en effet solidement associé à un point de vue partisan et aux intervenants qui l’ont adopté et aux protagonistes qui se sont engagés pour