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QUELQUES IDéES

Dans le document Décrypter la différence (Page 141-144)

Les trois exemples commentés plus haut et ceux rapportés par d’autres travaux relatifs à des représentations sculptées de prothèses et donc d’individus amputés procèdent de choix volontai- res de la part de leurs auteurs sans que ce détail ne semble être déterminant quant au sens de la scène décrite (GóMEz GóMEz, 1993, p. 9-27). En effet, le chapiteau dit « de la dispute » pourrait tout aussi bien être composé d’individus valides à l’instar de ceux de Saintes ou de Colombiers sans pour autant perdre toute signification. Cette remarque pourrait d’ailleurs être étendue à d’autres champs iconogra- phiques, à l’instar de l’exemple de Lescar. Située à proximité de l’autel établi dans l’abside principale, cette mosaïque montre un chasseur amputé d’une jambe et appareillé en conséquence, armé d’un arc et poursuivant des animaux (fig. 16). Sa réalisation est attribuable au XIIème siècle époque de construction

de la cathédrale qui l’accueille (ALLèGRE, 1978, p. 239-246). Certaines enluminures accompagnant des manuscrits de différentes époques comportent également des personnages amputés ne concourant pas spécifiquement au sens des textes ou des thé- matiques iconographiques envisagées augmentent encore le nombre de ces figurations historiées.

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«Décrypter la différence : lecture archéologique et historique de la place des personnes handicapées dans les communautés du passé» DELATTRE V. et SALLEM R. (dir) - CQFD/ 2009

Pour autant, le poids de cette volonté des sculpteurs et constructeurs d’une représentation d’individus portant un membre diminués ne peut échapper à la dialectique générale de l’art roman qui instaure un lien si profond entre l’architecture, la sculpture ou les autres décors magnifiant l’église (BONNE, 1987, p. 186-187). Cette intimité où dia-

fig. 16 : Chasseur amputé de la mosaïque romane de l’ancienne cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Lescar (Pyrénées- Atlantiques) (cliché J.-P. Aguer, ville de Lescar)

Résumé

De récentes recherches traitant de certains exemples de représentations humaines amputées et appareillées intégrant des compositions sculptées romanes soulèvent la question du sens de cette présence inhabituelle dans des contextes usuellement dévolus à des scènes à caractères symbolique et/ou religieux. Par ailleurs, les réflexions désormais abouties relatives à la dialectique entre l’église/édifice et l’Église/institution définissent le cadre prometteur de nouvelles recherches portant sur des sujets jusqu’alors considérés comme marginaux. Participant pleinement de cette démarche, l’interrogation légitime à l’égard de ces personnages amputés dont la présence plus récurrente qu’on ne le pense pourrait souligner, au-delà d’une sèche analyse iconographique, l’intégration à la communauté chrétienne de ceux dont l’apparence corporelle apparaît comme altérée.

logues et contraintes architectoniques soumettent le signifiant à la statique monumentale s’inscrivent également et indubitablement dans une volonté de représentation du monde, des hommes et d’une fa- çon plus générale de la Création (PASTOUREAU, 2007, p. 43-45). Ainsi, l’église romane avant de deve- nir à l’époque gothique l’emblème des pouvoirs spi- rituels et temporels porte et rapporte par ses décors et dans son rôle d’édifice chrétien, médiateur et ob- jet surnaturel, un ensemble d’attitudes diverses et de comportements relatifs à des réalités terrestres (SCHMITT 2001, p. 338-339 ; IOGNA-PRAT 2006, p. 484). En effet, la codification progressive des re- lations entre l’au-delà chrétien et le monde terrestre suppose la mise en place de canaux spécifiques qui sont encore à l’époque romane issus d’une expres- sion communautaire, ce véhicule reflétant de ce fait un instant où les thématiques purement religieuses n’occupent pas encore la totalité des espaces dis- ponibles. La présence d’individus amputés, comme l’ont soulignés d’autres auteurs, n’est sans doute pas à classifier parmi un poncif iconographique banal, mais il pourrait à l’inverse signifier l’intégration au sein du dialogue avec le sacré de toutes les catégo- ries existantes d’hommes, de plantes ou d’animaux, la parcelle divine que contient chacun d’eux justi- fiant pleinement leur présence au sein de l’édifice communautaire par excellence.

Abstract

Recent research into images of amputees and of people with artificial limbs in Romanesque sculpture raises the question of the unusual presence of these images in such symbolic or religious scenes. Also, reflections on the exchanges between the Church and its places of worship and the Church and religious institutions provide a promising framework for new research into what used to be considered as marginal subjects. On the subject of amputees, the presence of which is more common than has been led to believe, this paper not only considers the iconographic evidence, but also their integration into a Christian community, even though their appearance was considered different from the norm.

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