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LoUiS BraiLLe (1809-1852)

Dans le document Décrypter la différence (Page 194-196)

De L’HUmaNiTé D’UN iNDiViDU À La DéCoUVerTe De L’UNiVerS.

Bachir KERROUMI 1

1 - Economiste, chercheur et écrivain - bachir.Kerroumi@paris.fr

L

ouis Braille est un grand homme qui a marqué l’humanité en sauvant des centaines de mil- lions de gens de l’ignorance à travers le monde. Il n’a pas seulement inventé un système de lecture et d’écriture pour les personnes aveugles, mais il leur a apporté la découverte de l’univers en permettant l’accès aux livres.

Lorsqu’en 1749 Denis Diderot imaginait, dans « La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient » (DIDEROT, 1749, fig. 1) les capacités du toucher qui se surpassent par la perception corpo- relle et extrasensorielle, il avait inconsciemment tracé le chemin pour l’adolescent Louis.

C’est Denis Di- derot le premier qui, en dépit de la bonne conscience de l’époque (com- passion charitable qui reposait sur un statut d’être infé- rieur), a subjugué par sa poésie la pratique des ma- thématiques par des aveugles. Il fut suivi de Va- lentin Haüy dont l’œuvre éducative profita directement à Louis Braille. Il s’agissait d’ap- prendre la lecture avec des lettres en relief. Cette méthode fut probablement laborieuse, mais il est certain qu’elle a changé la vision du monde pour les personnes privées de la vue (fig. 2).

Lire avec les doigts est un acte qui exige une concen- tration maximale, car cette lecture linéaire demande un effort supplémentaire au cerveau, afin qu’il resti- tue le mot et la phrase globalement. Cette gymnas-

tique intellectuelle permet peu à peu à la personne de développer un mécanisme de décomposition et de recomposition quasi naturellement lors d’une activité de l’écriture ou de la lecture.

D’ailleurs, les œuvres littéraires transcendent l’ima- ginaire de ce toucher, en lui donnant une dimension charnelle.

Dans le roman : « Le voile rouge » (kERROUMI, 2009), le personnage principal provoque un dialo- gue avec son amie sur les richesses insoupçonnées que véhicule cette écriture magique !

L’extrait suivant tiré du roman souligne la force du lien humain produit par cette manière de lire avec la finesse du bout des doigts.

« Charline se rendit compte que je ruminais des pensées noires et, pour m’en détourner, elle m’inter- rogea sur l’écriture en braille. Pour elle, c’était une sorte de mystère.

- Je ne comprends pas comment on peut créer des lettres avec des trous ! - Ce n’est pas le trou qui forme la lettre, lui expliquai- je, mais les points en relief qu’on obtient au verso d’une feuille de papier. Ce sont eux qui composent les caractères équiva- lents à des chiffres ou à des lettres. Tout se fait à partir d’une case de six points en relief, qui sont combinés autant que de besoin. C’est une sorte de code. «Lorsqu’on écrit manuellement, il faut un double effort, puisque dans ce cas, le braille s’écrit à l’envers et se lit à l’endroit, ainsi l’imaginaire qui crée la phrase se dédouble.

- Ce ne doit pas être facile d’écrire sans voir. Cela me fait penser aux grands joueurs d’échecs, qui mémo- risent si bien l’emplacement des pièces qu’ils sont capables de jouer plusieurs parties simultanément. Je comprends mieux pourquoi on appelle ça : jouer à l’aveugle.

Elle me prit les mains.

- J’aimerais que tu m’apprennes cette écriture mys- térieuse ! J’en ai très envie, ne serait-ce que pour es-

fig. 1 : édition originale de « La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient » (DIDEROT, 1749)

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sayer d’acquérir cette sensibilité que tu as au bout des doigts. Elle posa son front sur mon épaule et murmura d’une voix tendre :

- Tu sais, depuis que je suis avec toi et que je te découvre, mon regard sur les aveugles n’est plus triste. J’étais confus, heureux et un peu chagriné à la fois. Toujours cette am-

bivalence ! Ses mots me faisaient du bien, mais je ne trouvais pas normal, je trouvais bizarre même, qu’elle apprécie la vie des aveugles. Pour qu’elle ne devine pas ces pensées, je l’étreignis tout en collant ma joue contre la sienne. Alors que nous étions en- lacés, il me vint soudain une idée que je trouvais originale pour commen- cer à apprendre le braille à Charline. Je lui proposai de se placer face à moi et de fermer les yeux. Puis je

pris ses mains et les posai sur mon front.

- Ta première leçon de braille consistera à découvrir par le toucher les traits de mon visage en étant dans le noir. Inutile d’appuyer, au contraire la légèreté de tes caresses t’en dira plus que si tu mets de la force.

fig. 2 : Alphabet Braille

Tu dois à peine effleurer la peau. Il faut que le bout de tes doigts soit sans cesse en mouvement et qu’en même temps ton cerveau enregistre les signaux que tu perçois par ton toucher. Elle se mit à passer et repasser ses doigts sur mes yeux, mes pommettes, mon nez avec une douceur qui me faisait frissonner. Je ne savais si c’étaient ses doigts ou sa présence qui me procuraient ces sensations. Je vivais un bonheur merveilleux. C’est la première et la dernière fois de ma vie que j’ai ressenti une telle envie de vivre de toute la force de mon être. Lorsqu’elle découvrit mes lèvres avec ses doigts, je ne pus résister au désir de lui donner de petits baisers. Ce fut un moment de plaisir magi- que pour nous deux. Du jour de cette ex- périence, notre manière de provoquer le désir de l’autre changea. Nous nous mîmes à jouer dans le noir à explorer nos corps du bout des doigts. Nous éprouvions tellement de plaisir à ces caresses que nous nous y adonnions pendant des heures. »

OrientatiOns bibliOgraphiques

1

«Décrypter la différence : lecture archéologique et historique de la place des personnes handicapées dans les communautés du passé» DELATTRE V. et SALLEM R. (dir) - CQFD/2009

aU ToUrNaNT De L’aGe CLaSSiQUe :

UN CHaNGemeNT aNTHroPoLoGiQUe.

Henri-Jacques STIKER 1

1 - Université Denis-Diderot, Paris VII - Président de ALTER - mosmetral@gmail.com

L

’âge classique est une dénomination bien vague. Je n’aurai pas la prétention de trancher le débat, qui peut-être est sans fin, de savoir quand exacte- ment commence la modernité et quand on entre dans l’âge classique. Du reste si j’ai bien compris ce que Michel Foucault voulait désigner par cette expression de l’âge classique c’était moins une pé- riode historique précise qu’un état d’esprit et un type de représentation du monde et de l’homme qui se manifeste pleinement au XVIIème siècle. Le tour-

nant de l’âge classique veut signifier ici que la ligne sur laquelle a vécu l’âge médiéval a manifestement changé de direction et que ceci est du à une série de facteurs, intervenus pour les uns dès le XIVème siè-

cle, pour les autres au XVème ou XVIème siècles.

Ce sont ces facteurs qui m’intéressent ici et qui expliquent le tournant. On ne souligne pas assez combien ces facteurs rendent compte du change- ment d’attitude envers les personnes infirmes, mal conformées, contrefaites ou abîmées d’une manière ou d’une autre. Il s’agit à l’évidence d’un change- ment anthropologique majeur. Les questions tou- chant ce que nous nommons désormais le handicap s’éclairent de leur rapport avec les données cultu- relles d’un ensemble social.

Dans le document Décrypter la différence (Page 194-196)