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QUELLE FONCTION POUR L’éTABLISSE MENT HOSPITALIER ?

Dans le document Décrypter la différence (Page 163-167)

Les résultats obtenus n’ont donc permis de mettre en évidence aucun recrutement particu- lier lié à l’âge ou au sexe des individus, ni aucune

fig. 6 : Détail du coxal droit de l’individu de la tombe T7024. La cavité acétabulaire, de profondeur réduite, présente une déformation en trian- gle caractéristique d’une dislocation congénitale de la hanche (cliché S. Kacki, Inrap)

concentration exceptionnellement élevée d’attein- tes pathologiques. Du fait d’importantes limites méthodologiques, liées en grande partie à la faible capacité du tissu osseux à exprimer des modifica- tions pathologiques spécifiques, le panel des af- fections dont souffraient les individus ne peut être que partiellement appréhendé. De plus, l’absence de signe d’intervention thérapeutique sur les restes osseux ne permet pas d’envisager si des soins médi- caux étaient apportés aux malades par le personnel de l’hôpital. L’essai d’identification de particulari- tés propres à une population d’hôpital résulte donc en un constat négatif. Les résultats de l’étude per- mettent toutefois de dégager certaines spécificités du groupe populationnel inhumé dans le cimetière. Ainsi, le profil de mortalité de l’échantillon, la fai- ble fréquence des lésions dégénératives, ainsi que l’absence quasi-totale de handicaps physiques sé- vères, permettent d’exclure une fonction principale d’accueil sur le long terme de personnes âgées et/ou handicapées.

Du fait de la rareté des sites contemporains de même fonction susceptibles de fournir des éléments de comparaison, plusieurs questions peuvent être émises : cette population présentait-elle des parti- cularités que les outils à notre disposition sont dans l’incapacité de mettre en évidence ? La population d’un cimetière lié à un établissement hospitalier diverge-t-elle nécessairement de celle d’un autre ensemble funéraire ? Et enfin, qu’en est-il de la fonction exacte de l’établissement lié à ce cimetière ? Les domaines historique, topographique et étymo- logique sont peut être susceptibles d’apporter des éléments de réponse à cette dernière question. En effet, la localisation du site, hors les murs de la ville,

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le long d’un axe routier très fréquenté et à faible distance d’un fleuve qui correspond à cette époque à un axe commercial majeur, est probablement un élément à prendre en compte. Selon de nombreux historiens, cette localisation serait assez typique des établissements d’assistance et de charité du Moyen-Âge (TOUATI, 2004 ; SAUNIER, 1993, p. 3), dont plusieurs exemples sont reconnus, comme à Avignon (GIRARD, 2004, p. 189) ou entre Rhin et Meuse (PAULy, 2004, p. 195-198). De plus le terme même d’« Hospitalis », qui définit l’établissement de

la Madeleine dans le texte de 1025, se rapporte à celui d’« Hospitium ». Ce dernier renvoi à un concept

large qui regroupe les notions d’accueil, d’aumônes, de soins, d’hospice, d’hospitalité et même d’hôtel- lerie.

Au regard des résultats de l’étude anthropologique, il est possible d’envisager que la fonction princi- pale de l’établissement était celle d’hospitalité et d’accueil des voyageurs de passage et non celle d’un hôpital selon l’acception actuelle de ce terme. Sans préjuger des éventuels soins qui pouvaient être ap- portés à ces « pèlerins », le caractère mobile des in- dividus pourrait expliquer l’absence de handicap au sein de ce groupe d’inhumés.

De plus, on ne peut pas totalement exclure que l’es- pace funéraire mis au jour à proximité de cet éta-

blissement ait été ouvert à d’autres individus que les seuls pensionnaires de l’hôpital. L’hypothèse du cimetière des étrangers à la ville peut ainsi être évoquée, comme celle d’une population pauvre ou défavorisée ne pouvant payer le droit d’être inhumé dans le cimetière de sa paroisse. Les individus appar- tenant à ces catégories de populations, ne pouvant avoir accès au cimetière intra muros, auraient été « re-

jetées » à l’extérieur des remparts. Le texte de 1025 précise par ailleurs que l’établissement est destiné à accueillir les « pauvres filles étrangères », ce qui pourrait renforcer l’idée d’un espace funéraire mix- te accueillant à la fois les malades de l’« Hospitium »

et ceux n’appartenant pas à la ville d’Orléans, mais décédés dans celle-ci ou dans son environnement proche. Cette hypothèse d’aire funéraire par défaut avec un recrutement mixte (malades, pauvres, juifs, etc.) est déjà soupçonné ou mise en évidence en pé- riphérie de certaines villes comme Toulouse (PAyA et al., 2004) ou Reims (PAyA et al., 2008) pour des

sites qui s’inscrivent dans ce que Jean Catalo et Di- dier Paya qualifie de « pôles de charité ». Ceux-ci re- grouperaient des structures d’assistance destinées aux populations défavorisées et seraient à l’origine de ce qui se définirait plus comme des cimetières d’exclus que comme ceux des malades d’un hôpi- tal.

Résumé

La fouille d’une occupation des Xème-XIème siècles, qualifiée dans les textes anciens d’« Hospitalis », et du cimetière attenant permet d’apporter

un regard nouveau sur les malades qui ont été inhumés en son sein. L’objectif principal de l’étude était de caractériser la population d’un établissement hospitalier à partir des données biologiques (âge, sexe et pathologies), afin d’appréhender l’état sanitaire de ces individus et de mettre en évidence la présence d’éventuelles atteintes invalidantes. Les résultats obtenus sur un échantillon de 255 individus vont à l’encontre de ce que nous pourrions imaginer d’une population dite « hospitalière ». Ils permettent d’envisager de nouvelles hypothèses sur la fonction précise de cette structure d’assistance.

Abstract

The excavation of a 10-11th century site, named in written sources as a « Hospitalis » and an adjacent cemetery has shed new light on the patients buried there. The population of the cemetery has been biologically identified (age, gender and pathologies) in order to evaluate their state of health and to identify any pathologies relating to disability. The results from a 255 strong sample are in opposition to what one would expect from the population of a so called “hospital”. New hypotheses can thus be drawn on to explain the precise function of this welfare establishment.

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La LèPre Hier eT aUJoUrD’HUi eT Sa PriSe eN CHarGe

CommUNaUTaire.

Mark GUILLON 1

1 - Inrap et UMR 5199, Université Bordeaux 1 - mark.guillon@inrap.fr

L

a lèpre est une maladie infectieuse due à la présence d’une bactérie, Mycobacterium leprae,

découverte par A. Hansen en 1873. Le genre Myco- bacterium comporte plusieurs dizaines d’espèces, leprae étant caractérisée par une multiplication très

lente (temps de génération 3 jours) et une culture

in vitro encore impossible aujourd’hui (PATTyN et al. 1981 ; MONOT et al., 2005). L’étude du bacille

en laboratoire est donc difficile mais d’importants progrès ont été faits récemment.

Le séquençage du génome de M. leprae a été effectué

en 2000 par une équipe de l’Institut Pasteur (COLE et al., 2001). La génétique a récemment permis

d’établir, avec une certaine fiabilité, que le berceau de la lèpre serait l’Afrique de l’Est, où elle est re- présentée par la souche la plus ancienne du bacille qui pourrait avoir accompagné l’Homme moderne depuis plus de 00 000 ans (MONOT et al., 2005).

La diffusion vers le proche Orient, l’Asie et l’Europe aurait accompagné le peuplement de ces régions par l’Homme moderne. Il a donc pu exister des foyers de lèpre dès 60 000 ans avant J.-C. en Asie et 40 000 ans en Europe. L’étude des quatre prin- cipales souches du bacille a montré que l’arrivée de la maladie en Afrique de l’Ouest ne serait pas liée au peuplement préhistorique de cette région il y a 50 000 ans mais à l’arrivée de migrants d’Europe et du Maghreb au XVIIIème et XIXème siècles.

La souche présentant les mutations les plus récen- tes est installée en Europe et sur le continent amé- ricain ; l’introduction de la lèpre dans le Nouveau Monde serait donc liée à la colonisation. En effet, de nombreux cas de lèpre ont été rapportés dans l’Ouest de l’Amérique du Nord où s’étaient instal- lées des communautés scandinaves, en même temps que sévissait une vaste épidémie en Norvège aux XVIIIème et XIXème siècles. Une autre piste génétique

montre que le bacille a été introduit aux Caraïbes et en Amérique du Sud à partir de l’Afrique de l’Ouest avec le développement de l’esclavage.

 C’est le temps nécessaire au doublement du nombre de bactéries.

Le vecteur de la maladie est l’homme ; pour être infecté, un sujet doit être au contact du bacille de manière répétée. Ce qui explique que l’on puisse imputer le développement de la lèpre à la généra- lisation des regroupements humains à partir de la sédentarisation au Néolithique puis à l’urbanisa- tion croissante et à la « révolution commerciale » et probablement à la malnutrition des populations, mais les vecteurs de la maladie sont encore un ob- jet de discussion (BOITEAU et al, 1968 ; JOB, 1981 ;

MANCHESTER, 1983). C’est en fait une maladie peu contagieuse qui est transmise lors de contacts étroits et répétés avec des sujets atteints et non traités.

L’incubation est très variable, de 18 mois à 5 ans, mais les symptômes peuvent mettre 20 ans à ap- paraître. La maladie se manifeste tout d’abord par des lésions cutanées non spécifiques (léprides). Cette première forme, dite indéterminée, peut gué- rir spontanément, ou évoluer suivant le degré de résistance de l’individu, ce qui suppose des varia- tions de la pathocénose, qui est l’ensemble des états pathologiques partagé par une population à un mo- ment donné (GRMEK, 1969). La lèpre peut ensuite évoluer vers deux formes : la forme tuberculoïde ou lépromateuse. Cette dernière est la plus grave et la seule qui soit contagieuse, elle entraîne des lésions cutanées qui commencent par la naissance de lépro- mes aux oreilles. L’élargissement du fossé nasal, la sécheresse de la peau, la chute des sourcils et de la barbe surviennent ensuite. L’atteinte des muqueu- ses se manifeste par une rhinite atrophique muti- lante qui provoque la disparition de plusieurs os de la paroi nasale et l’effondrement du nez. Le malade souffre alors d’amaigrissement, d’asthénie, d’ané- mie et de poussées de fièvre. À ce stade, les lépreux meurent en 5 à 10 ans d’infection, de maladie comme la tuberculose ou par des streptocoques. On remar- que de nombreuses atteintes par des pathologies « opportunistes » qui peuvent affaiblir, voire tuer

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elle-même le malade. Non traitée, la lèpre tubercu- loïde devient donc mutilante. Elle se caractérise par des atteintes nerveuses systématisées qui génèrent des paralysies (dans la région cervicale, aux coudes, aux avant-bras et aux jambes) et donc des troubles sensitifs. L’atteinte musculaire est responsable de la « main de singe ». Elle provoque souvent des os- téoarthrites et des lésions osseuses. La cécité arrive parfois.

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