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Ethologie des principales espèces

5. Quantification et interprétation de la représentation squelettique différentielle

Dans la majorité des assemblages osseux, les différences observées dans les représentations squelettiques reflètent soit le transport sélectif (apport ou enlèvement préférentiel de certains os), soit la destruction différentielle des éléments, voire les deux ; l’important étant de déterminer la part relative de chacun de ces facteurs (Gifford 1981 ; Klein 1989 ; Lupo 2006). Si le modèle résulte du transport sélectif, il faut définir ce qu’il signifie en terme de stratégies d’acquisition.

Pourcentage de parties observées

Le pourcentage des parties observées repose sur la comparaison des fréquences relatives des éléments squelettiques d’un assemblage faunique (fréquences observées) avec un modèle de squelette complet (fréquences attendues) afin de repérer quelles parties du squelette sont sur- ou sous-représentées (Poplin 1976, 1977 ; Lyman 1994b ; Munro et Bar-Oz 2004). Cette unité sert à pondérer la représentation des éléments squelettiques étant donné que dans un squelette les différents os ne sont pas présents dans les mêmes proportions). Cet indice se calcule à l’aide du QsP (Nombre d’ossements que fournit un squelette) (Ducos 1988 ; Brugal et al. 1994) et du Nombre Minimal d’Individus qui donne le nombre d’éléments total fourni à l’origine par ces individus. La formule du pourcentage des parties observées est : le nombre d’éléments présents dans le gisement, divisé par le QsP multiplié par le NMI, et le tout multiplié par 100. Cet indice n’est pas réalisable sur les espèces animales représentées par moins de 100 restes. Dans ce cas, la sous-représentation ou la sur-représentation des éléments est uniquement déterminée par la comparaison des NMPS.

Différences intertaxanomiques de la représentation squelettique

Il a été montré à partir de plusieurs gisements africains (Klein 1989), que par rapport aux petits bovinés, les grands bovinés sont plus faiblement représentés par la scapula et les os longs proximaux (humérus, radius, ulna, fémur, tibia) et mieux représentés par les extrémités distales (carpes, tarses, métapodes, phalanges) et le crâne (dents, mandibules). Ce contraste tend aussi à caractériser de nombreux sites archéologiques, dans différentes régions du monde et de différentes périodes chronologiques, dans lesquels des petits et grands Ongulés sont présents. Cette représentation squelettique différentielle est principalement due aux différences de taille des carcasses, qui affecte le transport et le potentiel de conservation des différents éléments squelettiques (Binford et Bertram 1977). Les éléments qui dominent la représentation squelettique des grands bovinés (crâne et bas de patte) sont les plus robustes. Les os des petits ongulés maintiennent mieux leur intégrité pendant la boucherie, la préparation alimentaire ou face aux processus taphonomiques.

Estimation du transport différentiel à partir des courbes d’utilité

R.-L. Binford (1978b) a créé plusieurs indices d’utilité (Meat Utility Index, Marrow Utility Index,

Grease Index, General Utility Index et Modified General Utility Index) pour tenter d’expliquer

l’abondance de certaines parties squelettiques retrouvées dans les gisements. Le principe sous-jacent est que la distribution des éléments squelettiques est directement liée à la quantité de viande, de moelle et de graisse qui y est associée. Le modèle interprétatif prend la forme d’un ensemble de courbes (fig. 21) permettant notamment de distinguer :

- une stratégie d’utilité inversée (reverse utility strategy) qui est définie par la faible représentation des parties squelettiques de forte valeur alimentaire et par une forte représentation des parties à faible utilité (tête et bas de pattes). Cependant pour plusieurs auteurs (Marean et Frey 1997 ; Marean et al. 2004), ce modèle de représentation squelettique peut être un artéfact méthodologique engendré par une combinaison de facteurs taphonomiques qui détruisent préférentiellement certaines portions (principalement les extrémités des os longs) et par des procédures analytiques qui par la suite biaisent la représentation de ces même portions anatomiques.

- une stratégie d’utilité gourmet « gourmet utility strategy » qui est définie par une forte représentation des parties squelettiques de forte valeur alimentaire et une faible représentation des parties de faible utilité. Des éléments de faible utilité peuvent toutefois être présents lorsqu’ils sont transportés attachés ou articulés à l’élément sélectionné (riding), ou lorsqu’ils servent de prises pour équilibrer les membres sur les épaules des porteurs (Oliver 1993).

Figure 21: Ensemble de courbes créé par la relation NMI et MGUI (Binford 1978b)

Les courbes sont basées sur le Modified General Utility Index (MGUI) et le MAU. Le MGUI est une mesure quantitative de la valeur alimentaire des parties squelettiques (viande, moelle, graisse) dérivées de deux taxons, le mouton et le renne. Les parties squelettiques avec des fortes valeurs de MGUI ont une plus grande valeur alimentaire que les parties avec des valeurs faibles de MGUI.

Depuis l’ouvrage de R.-L. Binford des indices d’utilité ont été calculé pour d’autres espèces, notamment pour le cheval (Outram et Rowley-Conwy 1998). De plus, des efforts ont été faits pour affiner et simplifier les méthodes utilisées dans les calculs et les interprétations des indices. C’est notamment le cas de D. Metcalfe et K.-T. Jones (1988) qui ont défini un « food utility index » (FUI) à partir des données de R.-L. Binford (1978b) sur le renne.

Estimation de la conservation différentielle à travers l’étude de la densité osseuse

Tous les processus taphonomiques pré- et post-enfouissements vus précédemment peuvent affecter la représentation des parties squelettiques (Behrensmeyer 1993). Ainsi, avant d’interpréter les représentations squelettiques en terme de comportement humain, il faut caractériser l’impact de ces processus.

Les recherches taphonomiques (Leroi-Gourhan An. 1953 ; Binford et Bertram 1977 ; Poplin 1977 ; Bouchud 1977 ; Brain 1981 ; Lyman 1982, 1984a ; Marean et Spencer 1991 ; Marean et al. 1992 ; Hudson 1993 ; Auguste 1994b ; Lam et Pearson 2004) ont montré que les os et les portions d’os résistent différemment aux forces destructives en fonction de :

- leur taille, la vitesse de disparition des os étant inversement proportionnelle au carré de la taille, - leur forme,

- du type d’élément squelettique, la différence de minéralisation des tissus explique la meilleure préservation des dents par rapport aux os ainsi que celle des dents définitives par rapport aux dents de lait,

- du rapport spongiosa/compacta, - de la fragmentation initiale,

- de l’âge de l’animal (degré d’épiphysation), les os dont l’épiphyse est soudée se conservent mieux que ceux dont la croissance n’est pas achevée.

- et de leur exploitation par l’Homme, les restes osseux dépouillés de leur chair et de leur graisse ont des chances de conservation accrues, à la fois parce qu’ils perdent leur intérêt alimentaire pour les animaux et aussi parce qu’ils sont débarrassés d’une partie importante des produits concourant à la formation des acides organiques.

La conservation différentielle est en grande partie liée à la densité de chaque os et de chaque partie de l’os. La densité est le ratio de la masse d’une substance par rapport à son volume (Lyman 1982,

1984a, 1994b). Face aux différents phénomènes taphonomiques (piétinement, compaction du

sédiment, destruction chimique, charognage des carnivores) les parties squelettiques les plus denses tendent à résister plus significativement que les parties les moins denses. Deux méthodes ont été utilisées pour déterminer la densité osseuse : la photon densitometry (PD) puis plus récemment la

computed tomography (CT). La comparaison entre ces deux méthodes (Stiner 2004a ; Lam et al. 1998,

2003 ; Lam et Pearson 2004) montre que la seconde fournit des estimations plus précises ; la première ayant tendance à sous-estimer considérablement la densité des diaphyses d’os longs.

Les vertèbres sont les éléments les moins denses dans le squelette, alors que la scapula, le pelvis, les os compacts et la mandibule sont beaucoup plus denses. La variation de la densité des os longs est principalement intra-os avec les extrémités plus faibles en densité que la diaphyse médiane.

La densité osseuse des différents éléments squelettiques varie selon l’âge, le sexe et l’état nutritionnel de l’individu (Binford et Bertram 1977 ; Ioannidou 2003 ; Symmons 2004). En particulier, elle augmente de façon considérable entre la naissance et l’âge adulte mais de façon non allométrique (Binford et Bertram 1977 ; Munson et Garniewicz 2003). Par exemple, pour les très jeunes animaux (Symmons 2004), le modèle est complexe avec une densité relativement forte chez les fœtus, suivi par une perte considérable puis une augmentation graduelle de la densité osseuse à partir de la naissance.

Il est ainsi nécessaire que les fréquences des éléments des très jeunes individus soient traitées séparément des autres os non épiphysés.

Les données relatives à la densité de différentes espèces d’ongulés (Bovidés, Cervidés, Equidés) montrent des modèles généraux similaires, suggérant que les valeurs d’une espèce peuvent être utilisées pour interpréter le modèle de survie des éléments squelettiques d’une autre espèce de morphologie similaire (Lyman 1993 ; Lam et al. 1999). De légères différences existent cependant qui semblent refléter des différences dans leur taille corporelle et leur anatomie fonctionnelle (Walker 1988 ; Lyman et al. 1992 ; Kreutzer 1992 ; Pavao et Stahl 1999).

La relation entre la densité et le taux de survie des différents éléments squelettiques est basée sur le coefficient de corrélation de Spearman (Morlan 1994). Il est préféré à celui de Pearson car il est plus approprié à la nature numérique du nombre minimal. Ces deux coefficients fournissent toutefois des résultats généralement similaires (Klein 1989). Les données de densité osseuse utilisées sont issues de référentiels propres à chaque espèce : le renne (Binford et Bertram 1977 ; Binford 1981), le cheval (Lam et al. 1999), le lapin (Pavao et Stahl 1999), l’aurochs (Ioannidou 2003) et le bison (Kreutzer 1992).

Problème d’équifinalité

Il existe une faible mais significative corrélation statistique entre la densité des éléments squelettiques et le MGUI de Binford (Lyman 1985, 1992a, 1993, 1994b). Cette corrélation indique que la plupart des os à forte utilité alimentaire ont des densités faibles (ex. vertèbres, côtes) alors que la plupart des os à faible utilité ont des densités fortes (ex. métapodes, phalanges). Il y a ainsi une forte probabilité que les fréquences osseuses dans les assemblages qui ont subi une destruction taphonomique produisent une courbe suggérant à tort une stratégie d’utilité inversée. La destruction différentielle peut ainsi être facilement confondue avec le transport sélectif et cela produit un cas classique d’équifinalité. Il y a équifinalité lorsque deux processus peuvent produire le même résultat (Marean et al. 1992 ; Lam et Pearson 2004 ; Lyman 2004 ; Munro et Bar-Oz 2004). Comme le transport différentiel anthropique et la destruction taphonomique des éléments squelettiques enlèvent sélectivement les mêmes éléments squelettiques d’un assemblage, les différentes fréquences des parties squelettiques ne peuvent pas à elles seules permettre de déterminer l’agent responsable de cette représentation squelettique. Pour cela, d’autres données peuvent être utilisées (Lyman 1985), dont le degré de désarticulation et de fragmentation, le contexte géologique et la présence/absence de stries de découpe et de traces de dents de carnivores.

Ainsi l’abondance des différents éléments squelettiques sera d’abord comparée à leur densité puis à leur valeur alimentaire (Grayson 1989). Le but est de déterminer dans quelle mesure l’abondance a été affectée par la destruction différentielle (densité) versus le transport sélectif (valeur alimentaire). La destruction différentielle seule est impliquée lorsque la plupart des éléments tendent à ceux qui sont les plus denses, assortie d’une absence de relation entre l’abondance et la valeur alimentaire. Inversement, le transport sélectif est envisagé lorsqu’il y a une relation positive significative entre l’abondance et l’utilité alimentaire (quand les éléments les plus abondants tendent à être les plus nutritifs), en conjonction avec une absence de relation entre l’abondance et la densité. D’autres résultats possibles, tels qu’une relation positive entre l’abondance et la densité associée à une relation

négative entre l’abondance et la valeur alimentaire, sont plus ambigus. Cependant, l’explication de la rareté relative des régions osseuses peu denses ne se limite pas à la seule alternative de la destruction naturelle ou du transport. La fracturation différentielle est une hypothèse dont il faut tenir compte (Delpech et Villa 1993).

PARTIE III :

Analyse archéozoologique