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Cadre conceptuel des études sur les chasseurs-cueilleurs

7. Diversification du spectre faunique 1. Présentation

Dès la fin des années 1960, L.-R Binford (1968) et K. Flannery (1969) ont signalé la diversification des diètes humaines à la fin du Paléolithique supérieur, caractérisée par une augmentation considérable dans le nombre de ressources exploitées ainsi que par l’introduction ou le développement de nouvelles techniques de chasse, de stockage alimentaire et de traitement, permettant une utilisation plus intensive des végétaux et des animaux.

K. Flannery (1969) considère la diversification du spectre (Broad Spectrum Revolution) comme un facteur explicatif de l’origine de la domestication des végétaux et des animaux dans l’Asie du Sud-Ouest (région du Zagros). Cette révolution se caractérise par l’exploitation des ressources de petite

taille précédemment ignorées (oiseaux, reptiles, poissons, invertébrés, ressources végétales) à l’exception des petits mammifères considérés comme une ressource imprévisible et peu abondante. La mise en place de ce changement commence au milieu du Paléolithique supérieur, un peu après 20 ka BP, bien qu’il soit plus étroitement lié à l’émergence des premières sociétés pré-agricoles antérieures à 10 ka BP. L’adoption de stratégies d’acquisition à large spectre est vue comme résultante de l’augmentation de la pression humaine sur les ressources disponibles. La diversification de la subsistance par l’ajout de nouvelles espèces dans la diète a ainsi augmenté la capacité d’accueil démographique de l’environnement, condition nécessaire à l’émergence des sociétés néolithiques. L’enrichissement du spectre faunique se comprend en terme d’intensification de l’exploitation d’un environnement donné. L’intensification de l’acquisition des ressources permet d’augmenter la productivité totale d’un territoire par l’exploitation de ressources plus coûteuses en terme de temps de travail (Broughton 1994 ; Richerdson et al. 2001). L’intensification des ressources est notamment caractérisée par une plus grande exploitation de ressources de petite taille dont la densité et le potentiel reproductif sont très élevés (r-selected) les rendant peu sensibles à la sur-exploitation, tels que les poissons, les coquillages, les lagomorphes, les noix et les graines, au détriment des proies ayant un taux reproductif faible (K-selected) caractérisant la plupart des mammifères de moyenne et grande taille (Pianka 1970 ; Hayden 1981). Les caractéristiques des premières font que dans les environnements où ces ressources sont abondantes, la nourriture devient presque inépuisable.

La diversification des diètes à la fin du Pléistocène a été mise en évidence pour d’autres régions du monde dont le Sud-Ouest de l’Europe (Espagne, Pyrénées françaises, sud de la France : Phoca-Cosmetatou 2003, Cochard et Brugal 2004 ; Costamagno et al. 2008), au Levant Sud et au Zagros (Munro 2004) ainsi que dans le bassin méditerranéen oriental (Italie, Israël, Turquie) (Stiner 2004b). Le point de départ de l’analyse de la révolution à large spectre est le nombre de taxons (abondance relative, régularité et diversité) présents dans les assemblages archéologiques et notamment l’augmentation du nombre d’espèces de petite taille (Edwards 1989 ; Stiner et Munro 2002). Cependant, la catégorisation des petites proies varie selon les auteurs. Selon J.-E. Yellen (1991a, 1991b), elle est basée sur le poids maximal qui peut être porté par un individu adulte, soit inférieur à 21 kg alors que pour N.-D. Munro (2003) les petites proies sont définies comme les animaux non carnivores pesant moins de 5 kg.

7.2. Remises en question de la Révolution au Large Spectre Les processus explicatifs

Croissance démographique

L.-R. Binford (1968) et K. Flannery (1969) ainsi que plusieurs autres auteurs (Cohen 1975 ; Higgs et Jarman 1975 ; Clark et Yi 1983 ; Straus 1986 ; Stiner et Munro 2002) considèrent que l’enrichissement du spectre faunique de la fin du Pléistocène est principalement dû à l’augmentation

de la population humaine à un niveau approchant la capacité de charge du milieu (carrying capacity). Les stratégies de subsistance impliquant des espèces de petite taille se sont développées uniquement dans des contextes où les ressources de faible investissement et de haut retour (ex. Ongulé) étaient en quantité insuffisante par rapport à la population humaine.

Cependant les données ethnologiques (Hayden 1981) montrent que les chasseurs-cueilleurs ont la capacité de maintenir une croissance démographique à un niveau stable sur de longues périodes de temps notamment à travers l’utilisation de mécanismes culturels et biologiques de contrôle de la population. De plus, l’augmentation de la productivité, qui est la caractéristique de l’intensification de l’acquisition, ne signifie pas nécessairement augmentation de la production et augmentation du coût du travail (Bender 1978). L’intensification peut simplement porter sur l’amélioration de l’accessibilité, la réduction du temps de voyage ou l’augmentation de la prévisibilité des taux de retour. Ainsi lorsque l’intensification porte sur l’augmentation de la productivité et non sur l’augmentation de la production, elle n’est pas nécessairement associée à un changement social ou démographique.

Changements climatiques

L’enrichissement du spectre faunique peut être dû en partie au changement de l’environnement animal induit par le changement climatique. En effet, selon la typologie classique des écosystèmes naturels (Dajoz 2003), les milieux ouverts sont « spécialisés » avec un nombre restreint d’espèces, chacune représentée par un très grand nombre d’individus. Il s’oppose aux écosystèmes « généralisés », tels que les milieux fermés, caractérisés par la présence d’un grand nombre d’espèces, représentée chacune par un petit nombre d’individus. Le passage d’un écosystème à l’autre a ainsi entraîné une diminution du nombre d’Ongulés de moyenne taille.

Cependant les études menées en Espagne cantabrique (Clark et Yi 1983 ; Straus 1986) montrent que le changement climatique ne peut être responsable de l’augmentation de la largeur de la diète puisque le caractère général de l’écosystème dans cette région n’a pas été considérablement modifié entre la fin du Pléistocène et le début de l’Holocène. Ainsi, cette tendance à l’intensification serait indépendante des fluctuations environnementales. De plus, dans les régions d’Europe plus septentrionales, les espèces de milieux fermés ont vraisemblablement existé dans des refuges durant les périodes glaciaires sans être pour autant exploitées (Hayden 1981 ; Price et Brown 1985). Enfin aucun groupe humain ne peut éviter des déséquilibres périodiques avec les ressources. Il y avait vraisemblablement un stress récurrent durant tout le Pléistocène dû à la variabilité climatique (cf.

supra) et le stress de la fin du Pléistocène n’était pas nouveau ni dans sa forme ni dans son degré

(Hayden 1981).

Pour certains auteurs (Hockett et Haws 2002 ; Jones 2004a, 2004b, 2007), bien que l’influence du changement climatique ait été prépondérante dans l’enrichissement du spectre faunique, il ne l’a pas été en terme d’impact sur la grande faune mais plutôt en terme de changement dans la densité de population des ressources de petite taille (augmentation de la disponibilité) notamment celle des Lagomorphes. L’augmentation de la fréquence de ces ressources a alors permis qu’elles soient acquises en masse. Cette hypothèse est toutefois contredite par les données de la région méditerranéenne (Stiner et Munro 2002) qui indiquent que le processus d’enrichissement de la diète a

commencé pendant un stade climatique froid (OIS 2), peu favorable au développement de ces ressources.

Exploitation non alimentaire

L’abondance des ressources de petite taille dans l’environnement n’est pas la seule raison pouvant expliquer leur acquisition dans des quantités considérables. La qualité des matériaux bruts (peau, fourrure, plumes, os) peut jouer un rôle important dans la motivation de la chasse des petites proies. L’acquisition de ces ressources peut donc signifier soit que la qualité des matériaux des grandes faunes était insuffisante, soit que la qualité des matériaux des petites proies était suffisamment supérieure pour motiver leur acquisition (Fontana 2003 ; Müller 2004).

Théorie nutritionnelle

L’intérêt porté aux petites proies par les hommes préhistoriques peut s’expliquer par les principes de l’écologie nutritionnelle qui est définie comme l’étude des relations entre la consommation des nutriments essentiels et ses effets sur la santé humaine en général, incluant la croissance et le maintien des individus ainsi que la tendance démographique générale de la population (Hockett 2000 ; Haws et Hockett 2004 ; Haws 2004 ; Stiner 2004b). Cette théorie détermine que seule la consommation équilibrée des nutriments essentiels (protéines, lipides, glucides, vitamines, minéraux et eau) permet de diminuer la mortalité infantile et d’augmenter la durée de vie des individus. La plupart des mammifères terrestres fournissent une quantité relativement abondante des différents nutriments essentiels. Cependant, les végétaux, les petits mammifères et les coquillages contiennent une plus grande diversité de nutriments et dans des proportions plus importantes que les Ongulés. Les chasseurs-cueilleurs ont ainsi pu améliorer leur état de santé général et leur succès reproductif en exploitant une large gamme de ressources. Ainsi selon l’écologie nutritionnelle, l’augmentation démographique des populations humaines peut résulter du changement de leur diète et non l’inverse.

Innovations techniques

Les Hommes préhistoriques ont probablement toujours été conscients que les proies de petite taille étaient consommables. Cependant, étant trop petites et trop difficiles à attraper, elles étaient perçues comme ayant peu de valeur alimentaire, et la préférence était donnée à l’exploitation des proies de plus grande taille. L’utilisation efficace des ressources de petite taille est dépendante de l’efficacité de leur acquisition et de leur traitement (Hayden 1981 ; Price et Brown 1985 ; Hockett 2000 ; Richerdson

et al. 2001). Cette efficacité a été obtenue par l’innovation technologique d’armes et d’équipements

caractérisés par des outils plus divers en forme, plus spécialisés et plus abondants.

En conclusion, différents facteurs peuvent expliquer l’enrichissement du spectre faunique tels que les innovations technologiques, les changements climatiques ou la pression démographique. Il est cependant probable que le processus d’enrichissement du spectre faunique soit dû à la combinaison de plusieurs de ces facteurs (Cochard et Brugal 2004).

Chronologie de l’enrichissement du spectre faunique

Dans les gisements paléolithiques et mésolithiques des Pyrénées françaises (Costamagno et Laroulandie 2004 ; Costamagno et al. 2008), c’est au Magdalénien supérieur que semble s’opérer un changement dans l’exploitation des petites espèces animales avec un grand nombre de gisements livrant des quantités considérables d’oiseaux et/ou de poissons. La diversification de la diète intervient ainsi bien avant le début du Postglaciaire. A l’inverse à l’Azilien, l’exploitation de ces petites proies apparaît moins nettement dans les sites, témoignant vraisemblablement d’une exploitation moins intensive. Cela semble être également le cas au Portugal (Zilhao 1992 ; Bicho et Haws 2008) où les ressources marines (mammifères marins, poissons et coquillages) deviennent un élément important dans la diète humaine dès 30 ka BP, ainsi qu’en Espagne cantabrique (Straus 1977, 1986, 1991a, 1991b) où l’intensification de la subsistance commence dès le Solutréen.

Dans le Bassin méditerranéen oriental (Stiner et Munro 2002 ; Stiner et al. 2000 ; Stiner 2004b), il apparaît clairement que le régime alimentaire des Hommes préhistoriques s’élargit bien avant la transition Pléistocène/Holocène. Le changement majeur impliquant les petits mammifères a lieu vers 50 - 40 ka BP avec les premières explosions démographiques. Cependant, l’indice petit faune/Ongulés ne montre pas de tendance directionnelle dans la contribution relative des petits gibiers par rapport à la consommation totale des animaux. Bien que les petits mammifères aient été importants dans les diètes humaines pendant le Paléolithique, moyen et supérieur, et l’Epipaléolithique, le type de proies acquises par les différents groupes humains a considérablement changé au cours de cette période. Les tortues et les mollusques marins, à allure et croissance lente, dominaient les assemblages du Paléolithique moyen, alors qu’au cours du Paléolithique supérieur et du Mésolithique les animaux à allure et croissance rapide (oiseaux, lagomorphes) sont devenus de plus en plus importants dans les diètes humaines. Ce changement dans l’exploitation des petites faunes à travers le temps est lié à la diminution de la taille des proies à maturité lente (tortues, coquillages) ainsi qu’à leur raréfaction au Paléolithique supérieur résultant de leur sur-exploitation (Stiner et al. 2000 ; Stiner et Munro 2002). Du fait que la disponibilité des petites proies faciles à attraper ait diminué, les petites proies plus difficiles à attraper ont été ajoutées à la diète.

Il apparaît ainsi évident que l’enrichissement de la diète, pensé pour être caractéristique de la transition Pléistocène/Holocène, a eu lieu plus précocement, tout du moins dans les régions du Bassin méditerranéen (Bicho et Haws 2008). Ceci peut s’expliquer par les impacts relativement atténués des périodes glaciaires dans cette partie de l’Europe qui ont permis une présence plus récente des ressources de petites tailles telles que le Lapin (Callou 1995 ; Brugal 2006).

Les contre-exemples

L’étude de sites archéologiques du Levant (Edwards 1989), région servant de base à la théorie de K. Flannery (1969), montre qu’il n’y a pas d’augmentation importante dans la diversité des espèces entre 50 - 10 ka BP. Bien que les sociétés mésolithiques aient subsisté sur une large variété de plantes et d’animaux, le mode d’acquisition généralisé était déjà pratiqué dès le Paléolithique moyen (Moustérien) et tout au long du Paléolithique supérieur comme une option permettant une diminution du risque et un approvisionnement alimentaire régulier. Il n’existe ainsi pas de lien entre les stratégies d’acquisition à large spectre et l’essor de la domestication. Les différences entre les stratégies d’acquisition à large spectre de la période natoufienne du Levant et les chasseurs « spécialisés » de

grands Ongulés du Paléolithique supérieur d’Eurasie ont été exagérées au point où des nomenclatures opposées dissimulent une gamme similaire de variabilité.

Par ailleurs, dans le Nord et l’Est de la France (Chaix et Bridault 1992 ; Bridault 1993, 1994, 1997b), le Nord-Ouest de l’Europe (Suisse, Allemagne, Danemark : Eriksen 1996), les Pyrénées françaises (Fontana et Brochier 2009), ainsi qu’en Italie (Phoca-Cosmetatou 2003), il ne semble pas y avoir eu une intensification de l’exploitation des petites proies entre la fin du Paléolithique supérieur et la fin du Mésolithique. Par exemple en Italie (Phoca-Cosmetatou 2003), le Tardiglaciaire est caractérisé par une augmentation de la variabilité des stratégies d’acquisition de l’espèce de moyen Ongulé préférentiel (Bouquetin). Cette grande variabilité est caractérisée par une chasse qui a lieu de différentes manières, dans différents types de sites et selon des intensités différentes. Dans le Nord de la France (Bridault 1997b, 1998), l’exploitation du grand gibier a présenté une structure très stable du Paléolithique final jusqu’au Mésolithique final caractérisée par l’acquisition préférentielle d’une ou deux espèces de meilleur rapport (renne/cheval puis cerf/aurochs ou cheval/aurochs puis sanglier/cerf). La distinction majeure en terme de subsistance concerne l’importance de la saisonnalité dans l’acquisition des ressources. Au Paléolithique supérieur, les Hommes ont pratiqué une acquisition très saisonnière des ressources, basée sur des épisodes d’exploitation massive d’une espèce sur un laps de temps assez court, et sur une acquisition plus diversifiée lors des autres saisons. En revanche, au Mésolithique, cette saisonnalité marquée de l’acquisition des ressources disparaît, remplacée par la chasse d’une même espèce tout au long de l’année.

Les nombreuses données archéologiques mettent en évidence, d’une part, le décalage chronologique de l’enrichissement des diètes alimentaires selon les régions, et d’autre part, le fait que les groupes humains ont répondu de différentes façons aux changements environnementaux du Tardiglaciaire ; l’augmentation du nombre d’espèces exploitées n’étant pas la seule stratégie adoptée. Il apparaît ainsi que l’organisation des activités de subsistance est tout aussi informative des comportements adaptatifs que la diversification des ressources alimentaires.

CHAPITRE III :

Techno-complexes de la basse vallée du Rhône et ses marges

entre 24 et 9 ka cal. BP (Pléniglaciaire – Optimum climatique)

Dans la basse vallée du Rhône, le Paléolithique supérieur et l’Epipaléolithique ne présentent pas un schéma évolutif simple et linéaire. Il existe au contraire une complexité des groupes culturels caractérisée par une histoire commune autant que par des spécificités régionales.

1. Languedoc oriental Pontigardien

M. Escalon de Fonton (1966) et F. Bazile (1986a, 1999) ont mis en évidence dans la grotte de la Salpêtrière une industrie (neuf niveaux d’habitat) attribuée à une phase tardive de l’Aurignacien, encadrée à la base par un Gravettien supérieur et au sommet par un Solutréen ancien à pointes à face plane.

Les datations radiocarbones obtenues sur des os et des charbons associés à ces niveaux (tableau 4), situent cette industrie dans une fourchette de temps comprise entre 23,6 et 19 ka BP, en accord avec les données de la stratigraphie et de la chronologie culturelle, avec un regroupement entre les plages 22 et 21 ka BP (26,4 et 25,4 ka cal. BP).

Couche Fouilles Echantillon Date BP Référence

30A M. Escalon de Fonton Os 20630 ± 770 Ly 942 23723 25734

30A F. Bazile Os 20500 ± 410 Ly 1803 23918 24959

30A F. Bazile Charbon 22750 ± 410 MC 2389 26758 27896

C1 (centre ouest) F. Bazile Charbon 21250 ± 350 MC2338 24921 25946

30E M. Escalon de Fonton Os 21760 ± 490 Ly 943 25310 26871

cal. BP 68%

Tableau 4 : Datations des niveaux pontigardiens de la Salpêtrière (d’après Bazile 1999)

L’industrie lithique (Bazile 1984, 1986a, 1996) est caractérisée par :

- un indice de grattoirs bas (IG = 19,74) nettement dominé par l’indice des burins (IB = 28,03) qui représente près d’un tiers de l’outillage

- un assez fort pourcentage de pièces tronquées (IT = 10,19) comprenant de nombreuses lamelles tronquées d’un type particulier

- la permanence de la retouche de style aurignacien encore bien développée sur les grattoirs et sur les lames retouchées.

Ces caractéristiques font ressortir l’originalité de cette industrie qui conserve par le style de débitage, de retouche et la présence de certains outils un aspect nettement Aurignacien, tout en

s’écartant de façon évidente des normes statistiques classiquement admises pour ce techno-complexe, en particulier le rapport grattoir/burin.

L’attribution culturelle de ces niveaux pose un problème en raison de son caractère tardif. De plus, cette industrie est pour le moment présente dans aucun autre gisement du Sud de la France. M. Escalon de Fonton (1966) attribuait le niveau le plus récent (30A) à un Aurignacien terminal, comparable principalement par sa position stratigraphique, à l’Aurignacien V de Laugerie-Haute. Pour F. Bazile (1984, 1986a, 1999), il n’y a aucune ambiguïté, l’industrie de la Salpêtrière représente le point d’aboutissement actuellement connu de l’Aurignacien languedocien. En effet, bien qu’il soit encore délicat de saisir le processus évolutif qui a conduit à l’Aurignacien terminal de la Salpêtrière, il apparaît nettement qu’il résulte d’une évolution lente et autonome où la tradition aurignacienne reste marquée jusqu’au bout. Ainsi, F. Bazile (1999) a proposé l’individualisation de ces industries de la Salpêtrière, les séparant du bloc Aurignacien proprement dit, en les regroupant sous le terme de Pontigardien. Le devenir de ce techno-complexe n’est pas connu, mais il paraît en tout cas peu probable que cette industrie soit à l’origine du Solutréen régional.

Solutréen

Le Solutréen se développe en Languedoc Rhodanien dans une fourchette de temps comprise entre 21 et 19 ka BP (25,4 – 22,4 ka cal. BP) (tableau 5). Le Solutréen de la Salpêtrière n'est sans doute pas le plus ancien de la région considérée mais les dates de la Baume d’Oullins et de la grotte Chabot, trop jeunes par rapport à la stratigraphie ne peuvent pas être pris en compte (Bazile 1999).

Site Couche Fouille Echantillon Date BP Référence

charbon 21000 ± 700 MC 1179 24242 26133

charbon 21600 ± 700 MC 2449 25016 26940

Solutréen moyen Salpêtrière 24 (grand témoin) M. Escalon de Fonton os 20200 ± 660 Ly 941 23350 24913

os 20100 ± 500 Ly 1984 23404 24615 os 20060 ± 450 Ly 1985 23412 24526 charbon 20920 ± 350 MC 2358 24515 25602 cal. BP 68% Oullins d Salpêtrière i Solutréen ancien Solutréen supérieur F. Bazile F. Bazile

Tableau 5 : Datation du Solutréen languedocien (d’après Bazile 1999)

L’origine la plus vraisemblable du Solutréen rhodanien doit être recherchée dans les cultures gravettiennes de la basse et moyenne vallée du Rhône. Certaines d’entre elles possèdent en effet des armatures foliacées proches de la pointe à face plane du Solutréen inférieur et font un usage courant d’une retouche relativement couvrante, pouvant être qualifiée de retouche protosolutréenne (Escalon de Fonton et Bazile 1976 ; Bazile 1990, 1999).

Le Solutréen représente en Languedoc un groupe géographiquement homogène, centré sur les canyons de l’Ardèche (ex. : Chabot, grotte du Figuier, Baume d’Oullins, Abri des pêcheurs) et du Gardon (ex. : grotte de la Salpêtrière). En dehors de ces zones, cette culture reste rare sur l’ensemble de la région étudiée. Cependant, l’abri des Pêcheurs et la grotte Granouly en Ardèche, accroissent sensiblement sa répartition respectivement vers le Massif central et vers le Nord (Bazile 1990, 1999).

Le Solutréen représente un des temps forts du Paléolithique supérieur de la région du Bas Rhône. La vallée de l’Ardèche et la vallée du Gardon peuvent être considérées à juste titre comme le plus important foyer solutréen de France après le Périgord (Combier 1967 ; Bazile et Bazile-Robert 1979-1980 ; Bazile 1990, 1999). Sa richesse est particulièrement bien illustrée par le développement pris par

l’art pariétal présent dans toute une série de porches et de cavités profondes (ex. : grotte d’Ebbou, Chabot, Figuier) (Combier 1967 ; Roudil 1995).

Il est difficile d’établir une évolution typologique du Solutréen de la région Gard-Ardèche due principalement aux mutilations engendrées par les fouilles anciennes et clandestines des gisements à stratigraphie longue qui actuellement ne fournissent plus de séries abondantes et représentatives (Bazile 1990). L’armature caractéristique du Solutréen ancien et moyen est la pointe à face plane, d’abord assez longue puis plus courte avec quelques retouches unifaces ou bifaces assez longues et couvrantes. Le Solutréen supérieur, poursuit dans une large mesure, cette tradition typologique avec cependant l’ajout d’un nouveau type d’armature, la pointe à cran(Bazile 1981b).

Malgré des points de convergence, la séquence languedocienne se démarque nettement du Solutréen du Sud-Ouest dès le stade moyen. La différence essentielle porte sur l’absence de développement de la retouche solutréenne qui n’atteint jamais une importance considérable sauf toutefois dans les gorges