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Cadre conceptuel des études sur les chasseurs-cueilleurs

2. Acquisition des ressources Charognage et prédation

Il existe trois grandes stratégies d’acquisition des ressources animales : le charognage, la prédation (chasse, cueillette) et la production (élevage). Seules les deux premières concernent les chasseurs-cueilleurs paléolithiques et mésolithiques.

Le charognage est la récupération d’éléments sur des carcasses d’animaux morts naturellement ou tués par des grands carnivores. Le charognage concerne aussi bien les éléments alimentaires (viande, moelle) que les éléments non alimentaires (ex. tendons, peau). La consommation peut avoir lieu sur place ou être différée dans le temps nécessitant alors le dépeçage et le transport de parties de carcasse. Il existe deux types de charognage qui n’ont cependant pas de valeur chronologique : le charognage

passif qui repose sur le hasard de la découverte d’un animal mort dont seuls les morceaux restants vont

être récupérés, et le charognage actif dont l’objectif est la récupération de la proie dans sa totalité. La prédation est le mode de nutrition d’animaux se nourrissant de proies animales capturées

vivantes. La prédation humaine est facilitée par l’utilisation d’armes mais la chasse est loin de n’être qu’une technique ou même qu’une variété de techniques. La chasse est avant tout une manière de vivre qui implique une division du travail, le partage, une coopération, de la planification et une bonne connaissance du gibier (Laughlin 1968 ; Washburn et Lancaster 1968).

Le recours au charognage n’est pas incompatible avec la mise en place d’autres stratégies de subsistance. Chez les Hadza (Nord de la Tanzanie) (O’Connell et al. 1988), les opportunités de charognage sont exécutées lors de la réalisation d’autres activités telles que la chasse.

Le charognage a été mis en évidence pour les plus anciens hominidés (H. habilis, H. erectus) et pour l’Homme de Neandertal (Horard-Herbin et al. 2006). Pour la période de temps comprise entre 125 et 35 ka BP, L.-R. Binford (1985) considère que le charognage des proies de moyenne et grande taille était une stratégie de subsistance régulière et importante bien que la chasse aux plus petits mammifères fut pratiquée. Toutefois plusieurs assemblages fauniques du Paléolithique moyen européens (La Borde, Jaubert et al. 1990 ; Mauran, Farizy et al. 1994 ; Coudoulous 1, Brugal 1999) révèlent l’existence de chasses spécialisées sur des espèces de grande taille, rejetant ainsi l’hypothèse de L.-R. Binford d’une chasse centrée exclusivement sur les plus petites espèces. Ainsi, dès le Paléolithique moyen les Néanderthaliens d’Europe ont pratiqué la chasse sur les grandes faunes. Alors que P. Mellars (1989) estime que ce mode d’exploitation a dû être moins systématique, moins intensif et moins organisé logistiquement que celui pratiqué par les communautés du Paléolithique supérieur, P.-G. Chase (1987) considère qu’il n’y a pas de tendance plus importante au Paléolithique supérieur ancien qu’au Paléolithique moyen. Pour le Paléolithique supérieur récent (Stiner 1991) il est admis que la chasse était la principale méthode d’acquisition des Ongulés, bien que l’acquisition occasionnelle de certaines carcasses ou éléments de carcasses par le charognage ne puisse être totalement exclue.

Stratégies de chasse

La chasse recouvre de nombreuses stratégies (Lee et Devore 1968 ; Patou-Mathis 1996 ; Horard-Herbin et al. 2006). Elle peut être diversifiée (opportuniste) concernant une large gamme d’espèces animales ; sélective et spécialisée sur une ou deux espèces, ou hyperspécialisée concernant une seule espèce particulièrement productive (ex. renne). Ces stratégies sont indépendantes de la période chronologique, des écosystèmes et de la culture matérielle (Chase 1987 ; Grayson et Delpech 2002 ; Vigne et al. 2006).

La notion de chasse spécialisée diffère selon les auteurs (Chase 1987). Les définitions les plus largement utilisées sont celles de P. Mellars (1973) et de R. White (1982), qui considèrent qu’il y a chasse spécialisée lorsqu’un assemblage faunique est dominé numériquement (> 80%) par une espèce particulière. Toutefois la prédominance d’une seule espèce dans un assemblage archéologique ne signifie pas systématiquement spécialisation de la chasse ; cela pouvant résulter de facteurs contextuels. Pour qu’il y ait spécialisation, il faut qu’il y ait choix préférentiel d’une espèce donnée

parmi une large gamme de taxons disponibles (Poplin 1977 ; Stiner 1992 ; Costamagno 1999 ; Enloe 1999). La ressource exploitée (ex. renne, bison) doit permettre l’accumulation prévisible de grandes quantités de nourriture et donc induire un processus de stockage permettant de survivre lors des périodes où les ressources ne sont pas disponibles (hiver).

Méthodes d’acquisition

Cinq méthodes cynégétiques peuvent être distinguées (Brugal 1992 ; Patou-Mathis 1996) : - la poursuite (courser l’animal) ;

- l’approche (se rapprocher très près de l’animal sans être vu. Elle se pratique avec ou sans l’utilisation de ruse (camouflage, déguisement) ;

- l’affût (se poster à proximité du passage du troupeau ou attirer la bête à l’aide d’un leurre visuel ou auditif) ;

- la battue avec rabatteurs (chasse dite à l’aveugle pouvant être effectuée dans un milieu propice à l’abattage du gibier tel que dans les gorges et les marais) ;

- le piégeage (chasse dite « passive » qui utilise des techniques diverses telles que les fosses et les filets). Le piégeage est principalement utilisé pour les espèces de petite taille, notamment pour les animaux à fourrure du fait que l’utilisation d’une arme à projectile peut endommager la peau (Holliday 1998).

Les méthodes utilisées varient en fonction des caractères intrinsèques du gibier (Steele et Baker 1993 ; Patou-Mathis 1996 ; Straus et al. 1996) tels que sa biologie (taille, âge, sexe), son éthologie (espèce grégaire/solitaire), son écologie (espèce de milieu forestier/ouvert) et sa physiologie qui varie selon les saisons (Speth et Spielmann 1983 ; Lupo et Schmitt 2002).

Nombre de participants et nombre de proies abattues

La mise en place d’une chasse collective ou individuelle (nombre de chasseurs impliqués) varie en fonction de la densité de la proie (Meldgaard 1983 ; Steele et Baker 1993). Une chasse collective (plusieurs participants) présente l’avantage d’améliorer les chances de succès notamment quand elle vise une proie de grande taille. B. Hayden (1981, cité par Steele et Baker 1993) distingue des chasses collectives à petites échelles (small-scale cooperative hunting) impliquant deux à quatre chasseurs et des chasses collectives à grande échelle (large-scale commununal hunting group) impliquant cinq chasseurs ou plus dans un mode coopératif et coordonné.

La prédation multiple (acquisition de plus d’une proie dans un laps de temps relativement court) est régulièrement mise en place dans un mode de prédation où la finalité est d’acquérir une quantité suffisante de ressources pour un groupe plus grand que celui qui participe à la chasse. Il existe deux formes de prédation multiple (Steele et Baker 1993) : la prédation en masse où plusieurs proies sont abattues lors d’un épisode unique de chasse et la prédation séquentielle où une série de proies sont prises durant des épisodes de chasses différents mais associés. Les Hommes préhistoriques ont pratiqué la prédation multiple sur un très grand nombre d’espèces (ongulés, lagomorphes, poissons, mollusques) et sous une large variété de climats. La prédation en masse, bien documentée au Paléolithique supérieur (ex. Solutré, Magdalénien, Turner 2002), nécessite une organisation sociale complexe et une communication efficace entre les différents membres du groupe.

Armements du Paléolithique supérieur et du Mésolithique

Sagaie et propulseur

Les sagaies, mesurant de 2,5 à 3 m et munies d’une pointe en os, bois de renne ou silex, étaient probablement lancées à l’aide de propulseur (Leroi-Gourhan An. 1983 ; Picavet 1995).Les gisements archéologiques européens ont livré plus d’une centaine de propulseurs paléolithiques, la plupart datant du Magdalénien moyen. Le plus ancien propulseur date du Solutréen supérieur (19 - 17 ka BP) et provient de la couche IV du gisement de Combe-Saunière 1 (Dordogne, Cattelain 1989). Le plus récent a été découvert dans l’Abri de la Madeleine dans un niveau du Magdalénien V. Aucun exemplaire plus tardif (Azilien, Epipaléolithique, Mésolithique) n’est connu. Les dimensions et le poids réduits des armatures présentes dès l’Azilien sont incompatibles avec son utilisation (Rozoy 1992b).

Un grand nombre d’exemplaires est orné de gravures ou sculpté en forme de corps animal. Ces propulseurs sont réalisés en bois de renne bien que certains aient pu être réalisés en bois végétal (Leroi-Gourhan An. 1983 ; Stodieck 1988).

Les perforations présentent sur la partie basale des crochets de propulseur du Paléolithique supérieur mettent en évidence le fait que ces crochets étaient conçus pour être munis d’une hampe et atteindre ainsi une longueur plus importante que celle actuellement conservée. Il s’agit ainsi d’instruments composites vraisemblablement emmanchés sur des hampes en bois. Seule la partie distale (partie fonctionnelle) en bois de renne s’est conservée (Stodiek 1988).

Le propulseur est une innovation technologique majeure (Stodiek 1988 ; Rozoy 1992b). En prolongeant artificiellement le bras du lanceur, il permet d’augmenter la vitesse de propulsion de la sagaie et la puissance de son impact. Le propulseur permet de lancer efficacement les sagaies jusqu’à 20-30 m, réduisant ainsi les difficultés d’approche du gibier.

Harpons

Les premiers harpons apparaissent au Magdalénien moyen. Leur tête détachable était unie à une hampe par un lien qui permettait de ramener la prise. Pour An. Leroi-Gourhan (1983) et G. et J. Desse (1976) cette arme ne pouvait être utilisée que dans l’eau pour les gros poissons ou les mammifères marins, la courroie ne pouvant résister à la traction d’un animal terrestre. Cependant cette interprétation est loin de faire l’unanimité. J.-J. Cleyet-Merle (1994), entre autre, considère que le harpon est incontestablement lié à la chasse ; seule sa dénomination en fait un outil de pêche.

Arc

L’utilisation de l’arc est attestée de façon certaine (vestiges de flèches) à partir du Dryas III dans l’Ahrensbourgien (Testart 1982a). Cependant cette arme a pu être inventée dès le Solutréen (Parpallo, Espagne) où les pointes en feuilles de Laurier possèdent les caractéristiques nécessaires (forme et taille) permettant leur emmanchement sur une flèche (Leroi-Gourhan An. 1983 ; Picavet 1995). Ce n’est qu’à partir de l’Azilien (12 ka BP) que l’utilisation de l’arc semble définitivement s’affirmer, concomitant avec une diminution de l’emploi des sagaies. On ne connaît actuellement aucun site préhistorique où sa présence (certaine ou déduite) coïncide avec celle du propulseur (Clark 1980 ;

Rozoy 1992b ; 1993). En raison de son invention probable dès le Solutréen, l’arc ne peut être considéré comme une réponse adaptée aux changements faunistiques caractéristiques du Tardiglaciaire.

L’arc est une machine avec accumulation d’énergie. Ellepermet de lancer des flèches (50 à 90 cm et 10 à 30 g) volant à 100 km/h sur une distance de 50 m (Rozoy 1992b, 1999). C’est une arme beaucoup plus précise que le propulseur en terme de capacité de frappe d’une aire ciblée cruciale et petite (cœur, poumon, aorte). Il permet de tirer de plus loin, facilitant ainsi l’approche, la sécurité, l’efficacité (absence de mouvements effrayant les animaux) et le rendement de la chasse. Cette précision et cette efficacité font de l’arc une arme de choix dans la chasse en contexte environnemental fermé. De plus l’utilisation de l’arc a pu induire d’importantes transformations sociales ; le recours au rabattage n’est plus nécessaire, la chasse peut être réalisée par deux ou trois chasseurs permettant ainsi le maintien de petits groupes humains.

Les flèches sont munies, à leur extrémité proximale, d’armatures microlithiques souvent complétées par un ou deux tranchants latéraux dont la fonction est d’élargir la plaie ouverte et de frayer la voie de la flèche à travers le corps de l’animal permettant ainsi une excellente pénétration (Rozoy 1992b). Les formes d’armatures varient selon les techno-complexes (Picavet 1995). L’empennage, attesté par des traces de ligatures, était vraisemblablement réalisé à partir de grandes plumes (Zvelebil 1986 ; Rozoy 1992b, 1993, 1996). Contrairement aux outils paléolithiques qui pouvaient conserver une valeur fonctionnelle hors d’un manche, les armatures microlithiques sont inutilisables sans un support. Ce n’est plus un outil en soi mais un élément interchangeable à usages multiples et facilement remplaçable d’un instrument composite (Zvelebil 1996 ; Philibert 2002).

Filets et pièges en corde

Les restes de cordage de la période paléolithique sont extrêmement rares. Néanmoins, il existe plusieurs éléments permettant de supposer leur usage dès le Paléolithique supérieur (Lupo et Schmitt 2002). Il semble évident que de nombreuses armes (harpons, armatures, pointes de flèches) ainsi que les ornements perforés (dents, coquillages…) nécessitaient l’utilisation de liens et de ficelles, réalisés en matière animale (tendons) ou en fibres végétales. Les restes de matériaux végétaux utilisés pour produire des cordages, des filets et des sacs deviennent plus communs au début de l’Holocène (10 – 8 ka BP) avec une abondance relative de ces restes retrouvés dans les sites d’Europe et d’Amérique (Nadel et al. 1994). Cependant des preuves de production de cordages (vestiges de cordes) et même de textile (impressions négatives sur des fragments d’argile) réalisés en fibre végétales ont été retrouvés dans plusieurs gisements du Paléolithique supérieur en Moravie dans les gisements de Dolní Vĕstonice I et II et de Pavlov I et II (29 à 24 ka BP) (Adovasio et al. 1996 ; Soffer et al. 2000), en Israël dans le site d’Ohalo II (19,3 ka BP) (Nadel et al. 1994) et en France dans le site de Lascaux (17 ka BP) (Leroi-Gourhan Arl. et al. 1976). Ces découvertes représentent la preuve de l’utilisation de la technologie de cordage, permettant en outre la réalisation de chaînes et de trames qui étaient jusqu’ici associées à des périodes plus tardives comme le Mésolithique et le Néolithique.

Ainsi il apparaît qu’une variété d’objets, de textile, de vannerie et de filets était produite en Europe au Paléolithique supérieur au moins depuis 27 ka BP. Ces objets étaient probablement utilisés pour

répondre à des besoins domestiques (utilitaires et vestimentaires) et cynégétiques. La variété et la sophistication des produits tissés suggèrent un développement considérablement antérieur de ces techniques spécifiques et de l’industrie en matières périssables au sens large. La pauvreté des preuves n’est due qu’à des biais de préservation et à l’absence de techniques de prélèvement adaptées (Soffer

et al. 2000 ; Stiner 2004b).

Domestication du chien

Les premiers vestiges de chiens domestiqués en Europe ont été mis au jour en Allemagne sur plusieurs sites (Oberkassel, Kniegrotte) dans des niveaux magdaléniens datés de 13 - 12 ka BP (Musil 1984). Les découvertes de chiens se sont ensuite multipliées dans diverses zones géographiques (Musil 1984 ; Benecke 1987 ; Eriksen 1996), notamment en Espagne (Erralla, Gipuzkoa, Vigne 2004, 2005/2006) et en Suisse (Hauterive-Champréveyres, Leesch et al. 2004). En France, les vestiges les plus anciens datent du Tardiglaciaire. Ils ont été retrouvés dans les gisements épipaléolithiques de Saint-Thibaud-de-Couz (Savoie) daté de 10 ka BP (Chaix 1995 ; Bintz 1995) et de Pont d’Ambon (Dordogne) daté d’environ 10,7 ka BP (GifA 99102) (Célérier et al. 1999). Sur les sites archéologiques, les canidés domestiques ou en cours de domestication sont généralement présents dans de faibles effectifs, ce qui limite les comparaisons métriques (Vigne 2005/2006 ; Vigne et al. 2005).

Il est très probable que les premiers individus aient été apprivoisés à partir de jeunes capturés dans une tanière (pet-kipping), issus d’une population de loup de petite taille. Dans un premier temps, ils ont pu être élevés pour l’agrément, avant d’être utilisés pour la chasse en raison de leur instinct naturel de chasseur, de leur capacité à reconnaître l’Homme comme leader de la meute et se soumettre à lui (Musil 1984 ; Vigne 2004 ; Vigne et Guilaine 2004, Müller 2005). Le chien permet notamment de rassembler et diriger les troupeaux, augmentant le rendement de la chasse et réduisant le temps de recherche des ressources, améliorant le taux de retour net (Hawkes et O’Connell 1992). Chez les peuples natifs d’Amérique du Nord et d’Alaska (Wasburn et Lancaster 1968 ; Hannus 2004), les chiens étaient utilisés pour la chasse, pour le transport, comme gardiens et comme nourriture lors des temps de famine. Ainsi, le chien peut être considéré comme une véritable arme et l’acte de domestication peut être comparé à l’introduction d’une nouvelle technologie (Eriksen 1996)

3. Transport des carcasses

La taille importante de certaines proies engendre des contraintes de transport et donc la nécessité d’un traitement afin de réduire le poids de matières consommables transportées vers les lieux d’habitat. Ce transport différentiel peut entraîner un biais dans la représentation de certains éléments squelettiques. Le concept du « schlepp effect », terme inventé par Perkins et Daly (1969) mais déjà énoncé dans les travaux de T.-E. White (1952, 1953b, 1954, 1955), est le suivant : les différentes parties anatomiques d’une carcasse fournissent des sources de nutrition variables ; les groupes humains confrontés à des contraintes de transport sélectionnent les parties squelettiques qui fournissent le meilleur rapport nutritionnel en viande et en moelle. Dans cette perspective, le squelette axial (vertèbres, côtes) est considéré comme étant de faible utilité par rapport aux os des membres