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Quant à la seconde garantie, il importe de constater que l'efficacité de la clause de

PREMIERE PARTIE

71. Quant à la seconde garantie, il importe de constater que l'efficacité de la clause de

gel est entièrement dépendante du bon-vouloir du pouvoir adjudicateur à la respecter. Les effets escomptés du délai de standstill seront annihilés à partir du moment où le pouvoir adjudicateur aura décidé de signer prématurément le contrat, rendant par là même tout référé précontractuel irrecevable et sans que le juge des référés précontractuels ne puisse tirer les conséquences d'un tel comportement. Celui-ci demeure incompétent pour connaître de la signature du contrat et ce, quand bien même l'intervention de celle-ci, de manière anticipée, aurait eu pour seul but de faire obstacle à sa saisine186. Quoiqu'entachée d'illégalité, la décision

de signer le marché litigieux n'en existe pas moins187. Le juge des référés précontractuels est

dans l'impossibilité de connaître de la légalité de cette signature sous la double acception de la régularité des circonstances dans lesquelles celle-ci est intervenue188 et de la compétence

personnelle de l'autorité signataire de la convention189.

La « théorie de l'apparence » de la signature du contrat est justifiée par le fait que le référé précontractuel n'a pas pour objet principal de vérifier que le contrat a été signé, que la signature du contrat entraîne seulement des conséquences sur la recevabilité du recours

186V. par ex. : CE, 7 mars 2005, Société Grandjouan-Saco, req. n° 270778, Rec. p. 96.

187V. par ex. : CE, 17 octobre 2007, Société Physical Networks Software, req. n° 300419. V. pour une opinion contraire : MARTIN Julien, NAULEAU Pierre-Yves, « Référé précontractuel : la course à la signature continue ! », in CP-ACCP, février 2005, p. 56 et s., spéc. p. 58.

188Par l'expression « régularité des circonstances dans lesquelles cette signature est intervenue », il peut s'agir de vérifier, d'une part, que la collectivité publique qui avait fait usage du procédé contractuel intervenait dans une matière qui relevait effectivement de son champ de compétence et, d'autre part, qu'elle respecte bien les obligations procédurales encadrant la signature du contrat (outre le respect du mécanisme de standstill). La théorie de l'apparence joue même en dépit de la méconnaissance de règles juridiques ayant trait au champ d'intervention de la collectivité publique : quand bien même l'objet du contrat en question ne relèverait pas de la compétence de la collectivité publique, la signature du contrat ne sera pas pour autant contrôlée par le juge des référés précontractuels. V. en ce sens : CE, 30 juin 1999, SA Demathieu et Bard, req. n° 198993, T., p. 890. En outre - et c'est à ce niveau que la théorie de l'apparence atteint son paroxysme -, le juge administratif étendra même cette solution aux hypothèses d'inobservation de missions de nature constitutionnelle. Il a, en effet, pu être jugé, dans une ordonnance du Tribunal administratif de Toulouse du 20 janvier 1998, de l'inopérance du moyen tiré de ce qu'une délibération autorisant la signature de l'acte d'engagement n'aurait pas encore été transmise à la préfecture pour satisfaire aux exigences du contrôle de légalité. A la date à laquelle l'ordonnance a été rendue, il était pourtant de jurisprudence constante qu'un contrat était considéré comme nul, lorsqu'il avait été signé avant la transmission de la délibération d'habilitation, faute pour celle-ci d'avoir acquis force exécutoire en application de l'article 2 de la loi de décentralisation du 2 mars 1982 dans sa rédaction que lui a donnée la loi du 22 juillet 1982. V. en ce sens : TA Toulouse, 20 janvier 1998, Compagnie de services et d'environnement contre Syndicat intercommunal d'amenée d'eau portable du Ségala, req. n° 97-3452 et CE, 20 janvier 1989, Ville de Millau, req. n° 70686, confirmé par avis CE, sect., n° 176873, 176874, 176875, 20 juin 1996, Préfet de la Côte d'Or, Rec. p. 198. 189Le moyen selon lequel le représentant de l'administration ne serait pas compétent pour signer le contrat ne

constitue pas un moyen opérant sur le fondement des dispositions régissant le référé précontractuel. V. en ce sens : CE, 8 février 1999, Société Campenon Bernard, req. n° 188100, T., p. 890, 950. Le juge des référés précontractuels ne contrôle donc ni la qualité du représentant du pouvoir adjudicateur, ni la légalité de la délégation de signature.

sans préjuger de la légalité de la procédure de passation190 et que la procédure de référé

précontractuel peut être considérée comme une procédure d'urgence191. Au demeurant

compréhensible, ces raisons éludent néanmoins le fait que cette théorie empêche la sanction du manque de loyauté de l'administration192 qui a anticipé la signature du contrat au titre du

détournement de pouvoir pour faire obstacle à la saisine du juge des référés précontractuels. Dans l'optique de contourner les méfaits de cette théorie des apparences peu respectueuse de la légalité et de la justice, la sanction du « faux grossier » et le constat de l'inexistence de la signature du contrat ont pu être proposés par la doctrine193. N'ayant fait

l'objet d'aucune définition explicite, l'hypothèse de sanction du « faux grossier » envisagée en 1999 n'a jamais été appliquée et semble aujourd'hui difficilement applicable au vu d'une jurisprudence bien établie selon laquelle même les violations des règles les plus substantielles encadrant la signature du contrat ne sont pas sanctionnées. Quant au constat de l'inexistence de la signature du contrat, il n'est guère compréhensible d'un point de vue strictement logique : comme le note Jean-Paul GILLI, si « le juge des référés de Toulouse a sans doute

accompli un pas en ce sens, en évoquant une possible inexistence du contrat signé »,

il n'en demeure pas moins que « cette démarche n'était guère cohérente, dans la mesure où

une déclaration d'inexistence eût, tout autant, impliqué un examen du contrat signé, examen qu'il se refuse à effectuer »194.

La haute juridiction administrative maintient en définitive la solution de la non reconnaissance de l'inexistence de la conclusion du contrat en articulant sa motivation autour de deux axes195. D'une part, toutes les décisions entachées d'un vice de légalité privant leurs

destinataires de garanties essentielles ne sont pas pour autant inexistantes : le juge ne recourt que de manière exceptionnelle à la notion d'acte inexistant, même dans l'hypothèse d'une illégalité très grave196. Les cas d'inexistence révélés par la jurisprudence sont en outre

190LINDITCH Florian, « Nouveau Code des marchés publics : le référé précontractuel ne permet pas de sanctionner la violation de l'article 76 », note sous CE, 7 mars 2005, SA Grandjouan-Saco, in JCP

Administrations et collectivités territoriales, mai 2005, p. 760 et s., spéc. p. 761.

191Bien que la démonstration de l'urgence ne constitue pas une condition de recevabilité à l'introduction du référé précontractuel.

192BEDUSCHI-ORTIZ Ana, « La notion de loyauté en droit administratif », in AJDA, 2011, p. 944 et s.

193Pour la sanction du faux grossier, v. BERGEAL Catherine, conclusions sur CE, 8 février 1999, Société Campenon Bernard, in BJCP, 1999, n° 4, p. 361 et s., spéc. p. 363. Pour l'inexistence de la signature du contrat, v. notamment : CASSIA Paul, Pratique des référés précontractuels, préc., spéc. pp. 86-87 ; GILLI Jean-Paul, « Le recours prévu à l'article L. 22 du Code des TA-CAA doit être exercé avant la signature du contrat », note sous TA Toulouse, 20 janvier 1998, req. n° 97-3452, in AJDA, mars 1998, p. 271 et s., spéc. p. 273.

194GILLI Jean-Paul, ibid.

195BOULOUIS Nicolas, conclusions inédites sur CE, 7 mars 2005, Grandjouan-Saco. 196V. par ex. : CE, ass., 10 février 1961, Sieur Chabran, req. n° 49300, Rec. p. 102.

davantage rattachés aux vices d'incompétence197. Et dans le cas particulier de la

méconnaissance du délai de standstill, quand bien même le non respect de ces dispositions serait constitutif d'un vice d'incompétence ratione temporis198, il semblerait de moindre

gravité que les autres cas d'incompétence199. D'autre part, la théorie des apparences ne

priverait nullement le candidat malheureux de tout recours aux fins de connaître de la légalité des circonstances dans lesquelles la conclusion du contrat est intervenue.

Cette auto-limitation de compétence par le juge administratif lui-même n'est pas sans soulever de difficultés par rapport à l'effet utile des directives « Recours »200. Conçues pour

assurer une ouverture effective des marchés publics à la concurrence en instituant des mécanismes efficaces destinés à veiller au respect des garanties de transparence et de non-discrimination, il semblerait que la restriction du contrôle du juge à l'examen de la procédure de passation du contrat amputée de la vérification de la régularité de la signature laisse apparaître une étude inachevée de l'ensemble de la procédure. Ainsi, « l'effet utile des

directives 'Recours' ne voudrait-il pas que l'instance compétente soit habilitée à vérifier que le contrat a été légalement passé, et non seulement à ce que la procédure préalable à la signature soit régulière » ?201.

En ce sens, les travaux préparatoires à la révision des directives « Recours » s'orientaient, d'une part, vers la consécration d'une reconnaissance de l'absence d'effet de la signature du contrat intervenue en méconnaissance de la clause de gel et, d'autre part, vers la possibilité pour le juge désigné par les autorités nationales de tirer les conséquences de cette signature sur les effets du contrat. Il était, en effet, disposé que « si un contrat est conclu

illégalement par l'autorité adjudicatrice pendant le délai suspensif, une telle conclusion est considérée comme sans effet. Les conséquences d'une telle illégalité sur les effets du contrat 197V. par ex. : CE, 8 décembre 1982, Commune de Dompierre, req. n° 35596, Rec. p. 555, pour une décision dont l'auteur est dépourvu de tout pouvoir de décision. V. également : CE, 9 novembre 1983, Saerens, req. n° 15116, Rec. p. 453, pour un organisme dépourvu d'existence légale. Pour une étude détaillée de la théorie de l'inexistence des actes administratifs, v. AUBY Jean-Marie, La théorie de l'inexistence des actes

administratifs, A. Pedone, 1947.

198Qualification considérée comme « audacieuse » par Nicolas BOULOUIS. V. Nicolas BOULOUIS, conclusions inédites sur CE, 7 mars 2005, Société Grandjouan-Saco.

199AUBY Jean-Marie, L'incompétence « ratione temporis », recherches sur l'application des actes

administratifs dans le temps, LGDJ, 1953, spéc. pp. 10-11 : « L'acte pris à une autre date aurait été régulier. Cependant, dans ces hypothèses, d'autres causes de nullité ont joué : les autorités intéressées étaient incompétentes ratione materiae ou encore leurs actes ont violé la loi ou les règles de procédure. Dès lors, analyser ces espèces comme se rattachant à l'incompétence ratione temporis ne serait pas logiquement inconcevable mais conduirait à absorber dans cette notion une partie des illégalités que la classification traditionnelle place sous d'autres rubriques ».

200CJCE, 28 octobre 1999, Alcatel Austria AG e.a., Siemens AG Österreich et Sag-Schrack Anlagentechnik AG c/ Bundesministerium für Wissenschaft und Verkehr, préc., pt. 33 et 43. V. également : LEGER Philippe, conclusions sur CJCE, 3 mars 2005, Fabricom SA c/ État belge, aff. C-21/03 et C-34/03, pt. 51.

sont tirées par l'instance de recours compétente, cette dernière devant toutefois être saisie par un opérateur économique avant l'expiration d'un délai de prescription de six mois à compter de la date effective de la conclusion »202. La directive n° 2007/66/CE, dans sa version finale,

ne s'inscrit pas dans la pleine continuité des travaux préparatoires, en ce qu'elle dispose qu'« afin de prévenir toute violation grave de l'obligation de délai de suspension et de

suspension automatique, qui sont des conditions indispensables pour qu'un recours soit efficace, il convient que des sanctions effectives soient appliquées. Il convient dès lors que les marchés conclus en violation du délai de suspension ou de la suspension automatique soient considérés en principe comme dépourvus d'effets s'ils s'accompagnent de violations des directives 2004/18/CE ou 2004/17/CE telles qu'elles ont compromis les chances du soumissionnaire intentant un recours d'obtenir le marché »203. L'absence d'effets ne vise donc

plus la conclusion du contrat, mais le contrat lui-même.

La révision des directives « Recours » aurait pu être l'occasion pour les pouvoirs publics français de transposer la directive n° 2007/66/CE, de manière plus stricte, dans le seul sens de l'absence d'effets du contrat résultant de l'absence d'effets de la signature du contrat conclu en méconnaissance de la clause de gel. A l'instar du Conseil d'État qui « s'était borné à

aiguiller [le requérant évincé] vers une autre voie contentieuse »204, les pouvoirs publics,

à travers l'ordonnance du 7 mai 2009, ont fait le choix de ne pas confier le constat d'absence d'effets de la conclusion du contrat ou du contrat lui-même au juge des référés précontractuels, renvoyant au juge des référés contractuels, sous certaines conditions, le soin de décider du sort du contrat illégalement conclu205. Tout retour sur les principes directeurs de

forclusion de l'action contentieuse en référé précontractuel semble dorénavant difficilement concevable et n'en est pas moins regrettable.