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SECTION I : L´OBJECTIVATION DU FAIT GÉNÉRATEUR DANS DES QUESTIONS DE RESPONSABILITÉ MÉDICALE

A.- Quant aux prestations sanitaires à caractère privée

140. Il nous semble approprié d‟évoquer par la suite, dans une optique plus spécifique, le régime actuel de responsabilité en Espagne en matière de prestation sanitaire. Pour cela, nous parlerons en premier lieu des dommages causés à la suite d‟une prestation privée de santé (A) ; et en deuxième lieu, nous aborderons la question des dommages occasionnés lors d‟une prestation de santé dans le domaine publique (B).

A.- Quant aux prestations sanitaires à caractère privée.

141. Traditionnellement, dans le domaine de la responsabilité des professionnels de santé, les organes juridictionnels civils reconnaissent l´application de la règle générale de responsabilité par faute de l‟article 1902 du Code Civil, déjà citée. En ce sens, les tribunaux rejettent le déplacement de la charge de la preuve, laquelle corresponde toujours au patient qui a subi un dommage. Cela, d´après la règle prévue dans l‟article 217.2 de la Loi de la Procédure Judiciaire Civile, qui ordonne : “Il incombe au demandeur et au défendeur reconventionnel la charge de prouver la certitude des faits desquels il se dégage habituellement, selon les normes juridiques applicables à eux, l‟effet juridique correspondant aux prétentions de la poursuite judiciaire et de la reconvention”262

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142. Ainsi, la faute qui permet d‟engager la responsabilité civile d‟un professionnel de santé pour un quelconque résultat néfaste pour le patient peut être interprétée comme une faute d‟attention ou de prévoyance. Cela constitue une infraction de la part du médecin et un manquement à un devoir propre à sa profession ou même de sa lex artis laquelle par essence se définie par l‟accomplissement des protocoles ou des critères médicaux.

143. En ce sens, le Tribunal Suprême espagnol, en arrêt du 23 septembre 2004, en se fondant sur ce que d‟autres décisions avaient établi concernant la conceptualisation de la lex artis, retient la responsabilité d‟un gynécologue, dans les termes suivants : “L´arrêt du 2 octobre 1997 affirme que : “le substrat de tout contrat de prestation de services médicaux est

261 J. Busto L., “La responsabilidad civil por la defectuosa prestaciñn de asistencia sanitaria al parto”, dans Estudios multidisciplinares para la humanización del parto, Jornadas Universitarias Multidisciplinares para la Humanización del Parto, Universidad de Coruña, 2010, p. 104.

262 Article 217.2, Loi 01/2000 du 7 janvier 2000 concernant à la Procédure Judiciaire Civile (Publié au Bulletin Official de l´État n° 07, du 8 février 2000).

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constitué par ce que doctrinalement on appelle lex artis ad hoc. C‟est-à-dire, que les critères médicaux qui vont être appliqués doivent se limiter à ceux qu‟on considère correct en se fondant toujours sur la “liberté clinique” et sur la prudence. En d‟autres mots, comme dit l´arrêt du 25 avril 1994 de ce Tribunal : lex artis ad hoc signifie considérer le cas concret où l‟acte ou l‟intervention médical se réalise et les circonstances dans lesquelles il se développe. Ainsi que les incidents inséparables d‟un agir professionnel normal en tenant compte des caractéristiques spéciales du demandeur de l‟acte médical, de la profession, de la complexité et de la transcendance vitale du patient et, dans ce cas, l‟influence d‟autres facteurs endogènes - état et intervention du malade - ou exogènes - l‟influence de sa famille ou de l‟organisation sanitaire elle-même - pour qualifier cet acte de conforme ou pas à la technique médicale normale requise”. En ajoutant plus bas : “Dans ce cas, il est pertinent de qualifier la conduite professionnelle du gynécologue défendeur de négligente pour ne pas avoir réalisé toutes les preuves médicalement recommandées pour diagnostiquer correctement la maladie de son patient. D‟abord, on doit signaler que comme le défendeur n‟a pas pu présenter les preuves correspondantes à l‟histoire clinique du malade qui ont été requise lors de la phase probatoire, on ne peut pas attester la réalisation d‟écographies, manque que le défendeur lui-même a reconnu”263

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144. En somme, la lex artis se présente ainsi comme le critère qui sert à évaluer la justesse de l‟acte médical à proprement parler. En ce sens, le Tribunal Suprême a établi : “L‟article 1902 du Code Civil configure un critère d‟imputation de responsabilité, à partir d‟un dommage causalement lié à un acte ou à une omission négligente ou fautive, où le médecin n‟est pas associé au résultat. Mais au fait de ne pas avoir mis à disposition du patient les moyens appropriés au cas concret, ce qu‟on connait comme lex artis ad hoc ou critère évaluatif pour mesurer la diligence requise dans tout acte ou traitement médical, ce qui comporte pas seulement l‟accomplissement formel et protocolaire des techniques prévues conformément à la science médicale appropriées à une bonne praxis, mais l‟application de telles techniques avec la méticulosité et précision requises conformément aux circonstances et aux risques inhérents à chaque intervention selon sa nature et les circonstances”264

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145. D´ailleurs, afin de vérifier le respect de la lex artis, il faut examiner le cas concret auquel sont appliquées les techniques médicales et la situation du patient : état, évolution de la maladie ou de la douleur, réaction de l‟organisme aux traitements et à la médication à laquelle le patient est soumis. Ceci ayant été compris par le Tribunal Suprême espagnol, comme une

263 Tribunal Suprême, Chambre Civile, Section 1, 23 septembre 2004, 5904/2004. 264 Tribunal Suprême, Chambre Civile, Section 1, 18 septembre 2006, 7801/2006.

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matérialisation de l‟exercice d‟une obligation de grand effort, étudiée dans le droit anglo-saxon. Ainsi se dégage de ce qu‟a exposé le Tribunal Suprême, dans les termes suivants : “ (…) l‟action du médecin est régi par la dénommée lex artis ad hoc. C‟est-à-dire, en considération du cas concret, dans lequel se produit l‟action ou intervention médicale et les circonstances dans lesquelles celle-ci se déroule. Ainsi que les incidences inséparables dans l‟exercice professionnel normal, en tenant compte des caractéristiques spéciales de celui qui réalise l‟acte médical, de la profession, de la complexité et transcendance vitale du patient et, le cas échéant, l‟influence d‟autres facteurs endogènes - état et intervention du malade, de sa famille ou de l‟organisation sanitaire elle-même - pour qualifier cet acte de conforme ou pas conforme à la technique normale requise. En tout cas, on doit mettre en évidence que, compte tenu de la vitale transcendance qui bien des fois signifie pour le malade l‟intervention médicale, il doit être requise, au moins dans ces supposés, la diligence que le droit saxon décrit comme propre aux obligations de grand effort265

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146. Au-delà du point précédent, nous observons que la jurisprudence espagnole est fluctuante quant à la rigueur exigée à la victime afin de prouver la faute du professionnel. Ainsi, dans le droit espagnol on détecte des matières dans lesquelles la preuve de la négligence est requise pour fonder l‟action en responsabilité (1), tandis que dans d‟autres la victime est libérée de la charge probatoire (2).

1.- La victime doit prouver la faute du professionnel.

147. La base subjective de la responsabilité s‟est vue exposée dans le critère du Tribunal Suprême, en rejetant l‟indemnisation en raison de l‟absence de preuve de la faute. Par exemple : “un nouveau-né a subi des lésions au plexus bronchial à la suite d‟un accouchement par voie naturelle, la pratique d‟une césarienne ayant été rejeté sur le moment. Sur ce point, il a été décidé que cela ne représentait pas une base suffisante pour condamner le médecin puisque les deux techniques d‟accouchement sont considérées comme effectives. De plus, il a été prouvé que tous les protocoles médicaux ont été respectés, sans qu‟interfèrent des faits qui auraient pu permettre d‟espérer un meilleur résultat”266

. Cette décision du Tribunal ne laisse pas indifférent du fait qu’elle se sépare de la doctrine de la perte de chance - également reconnue par la jurisprudence espagnole, comme nous le verrons267 - selon laquelle, il suffit

265 Tribunal Suprême, Chambre Civile, Section 1, 25 avril 1994, 2845/1994. 266 Tribunal Suprême, Chambre Civile, Section 1, 29 septembre 2010, 4942/2010. 267 Cf. Infra n° 600 et ss.

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que une certain probabilité que l‟acte médicale aurait pu éviter un dommage, bien qu‟on ne puisse pas l‟affirmer certainement, pour que l‟on procède à une indemnisation de la perte de chance ou d‟opportunité. Ce qui se traduit par la possibilité d´avoir évitée le mal qui en fin de compte a été subi.

148. Il est pertinent de mentionner dans ce point, quant aux dommages causés à la suite de transfusions de sang, ou d‟autres fluides. Ainsi que des dommages qui découlent du rejet de certains dispositifs d‟implant ou de réactions aux instruments chirurgicaux lors d‟une intervention que la jurisprudence du Tribunal Suprême espagnol a suivi le régime de

responsabilité objective établi dans l‟article 148 de la “Loi Générale pour la Défense des Consommateurs et Utilisateurs”, texte qui inclut expressément les prestations de “services sanitaires”. Pour les cas que nous venons de citer, bien qu‟on ne puisse pas exiger plus au professionnel de la santé qu‟une attitude diligente, en accord avec les règles de sa profession, la responsabilité du Centre qui dispense ses services est configurée de manière objective. En ces sens ce tribunal a établi : “l‟Hôpital (…) n‟a pas accompli la normative légale sur le contrôle du sang donné par des tiers, car il n‟y a ni l‟identité de quatre donnants, ni la constatation de l‟accomplissement de cette normative, ce qui a empêché la répétition des tests de dépistage du sida à ces donnants. L‟affectée n‟appartient à aucun des groupes conventionnellement appelés de risque et son mari non plus, il n‟est même pas séropositif. Étant donné l‟incertitude de tous ces faits, il est logique de présumer la même chose que la Cour d‟Appel selon les données que l‟on connait à présent la maladie, jugement logique qui n‟a pas été nié par l‟entité récurrente (Hôpital)”268

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149. Cependant, l‟esprit objectif du texte de l‟article 148 de la “Loi générale pour la défense des consommateurs et utilisateurs”, n‟a pas été suivi par la jurisprudence du Tribunal Suprême espagnol au moment de condamner le professionnel de santé. C‟est de cette façon qu‟il a été résolu le procès du 26 mars 2004, lors duquel le Tribunal Suprême a de nouveau analysé et synthétisé les conditions pour que la responsabilité civile des médecins puisse être établie. Cette décision signale que malgré le caractère social qu‟inspire la "Loi générale pour la défense des consommateurs et utilisateurs” et que ce cadre établisse un régime spécifique de responsabilité civil pour les professionnels de santé pour tout dommage causés aux usagers de ces services, cela ne permet pas de dissocier de manière absolue et inconditionnelle la mise en œuvre de la faute. Autrement dit le Tribunal Suprême “n‟autorise pas à omettre ce facteur de faute dans le présumé responsable”269.

268 Tribunal Suprême, Chambre Civile, Section 1, 11 février 1998, 885/1998. 269 Tribunal Suprême, Chambre Civile, Section 1, 26 mars 2004, 2100/2004.

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150. Sans préjudice de l‟idée précédente, nous constatons, en ce qui concerne certaines matières, que la victime est libérée de la charge probatoire de la négligence.

2.- La victime ne doit pas prouver la faute du professionnel.

151. Le critère subjectif mentionné, s´a vu modifiée dans le domaine de la prestation de santé privée, dans deux importants scenarios dans lesquelles est retenue une inspiration objectivée de la responsabilité. Tout d‟abord, en ce qui concerne la médecine réparatrice ou esthétique (a), ensuite, en cas de dommages disproportionnés par rapport au risque attribué à une intervention médicale en particulier (b).

a.- Par rapport aux dommages qui découlent d’interventions chirurgicales en médecine réparatrice ou perfectionniste du patient.

152. Il est considéré que le professionnel de la santé doit assumer une obligation de résultat et pas une obligation de moyens, de manière que si ce résultat n‟est pas atteint, il sera responsable du non-accomplissement envers le patient. En définitive, il s‟agit de situations pour lesquelles la preuve du manquement va découler de la preuve que le résultat promis n‟est pas atteint. Ainsi, la charge de la preuve libératoire de la responsabilité tombe sur le professionnel270.

153. Toutefois, on peut détecter un courant juridique qui défend une position contradictoire à celle que nous venons d‟exposer. En effet, suite à un rattachement à l‟imputation essentiellement subjective de la responsabilité du médecin, le Tribunal Suprême a déclaré : “Dans l‟exercice de l‟activité médicale il n‟est pas possible de maintenir la différence entre obligation de moyens et de résultats, sauf que le résultat soit convenu ou garantit, même dans les supposés les plus proches à la surnommée médecine d‟assistance. Le contraire suppose donner au médecin une responsabilité de nature objective, en conséquent, il est le responsable exclusif des résultats atteints dans la réalisation de l‟acte médical en comparant le dommage au résultat non voulu et non attendu, et encore moins garanti par cette intervention”271.

270 Cf. J. Busto L., “La responsabilidad civil por la defectuosa prestaciñn de asistencia sanitaria al parto, en Estudios multidisciplinares para la humanizaciñn del parto”, op. cit., p. 111 et ss. Disponible en ligne : http://ruc.udc.es/bitstream/2183/9093/1/CC119-art7.pdf.

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b.- Par rapport aux dommages disproportionnés quant aux risques envisagés d’une intervention médicale.

154. Le résultat nuisible disproportionné par rapport au risque encouru lors de l‟intervention, a donné lieu à la rétention de figures juridiques desquelles est mise en évidence une objectivation de l‟élément subjectif de la responsabilité ou de la faute, constituant une véritable rupture avec la manière traditionnelle d´apprécier la négligence. Dans cette matière

la faute est considérée prouvée en vertu du déséquilibre entre le risque et le résultat.

Ainsi, nous constatons le recours à la thèse du dommage disproportionné, par lequel on précise que s‟il y a un résultat nuisible qui n‟aurait pas dû se produire dans des conditions normales, mais sinon que par un cas de conduite négligente de la part qui a exécuté l‟acte médicale, celui-ci devrai répondre, sauf s´il démontre que la cause du dommage a été dehors de son champ d´action. Cela a été déclaré par le Tribunal Suprême, dans les termes suivants : “le professionnel médecin doit répondre pour un résultat disproportionné lequel démontre sa culpabilité272. Cela correspond à la règle res ipsa loquitur (la chose parle d‟elle-même) de la doctrine anglo-saxonne, à la règle anscheinsbeweis (apparence de la preuve) de la doctrine allemande et à la règle de la faute virtuelle qui signifie que s‟il y a un résultat dommageable qui normalement se produit seulement s‟il existe une conduite négligente, alors, celui qui a réalisé cet acte doit répondre, à moins qu‟il prouve vraiment que la cause était hors de sa sphère d‟action”273

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155. En définitive, le modèle auquel nous faisons allusion nous situe sur un plan

d’anormalité, critère qui a permis d‟établir dans la jurisprudence espagnole qu‟à partir d‟un dommage disproportionné une présomption de responsabilité contre le médecin peut être appliquée. En ce sens, l‟Audience Provincial d´Asturies a ordonné : “La médecine n‟est pas une science exacte et en plus, lors d‟être projetée sur l‟être humain, organisme vivant qui répond d‟une façon différente au même stimulus, les résultats ne sont pas toujours identiques. Alors, parmi les particularités de chaque être vivant il faut déterminer des modèles de normalité dans le devenir des événements pour établir, si le résultat final est disproportionné e illogique, une certaine présomption de responsabilité”274

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272 Cf. Á Luna Y., “Olvido de una gasa durante una intervenciñn quirúrgica”, Revista para el análisis del Derecho, INDRET, Barcelona, n° 2, 2003, p. 5 et ss.

273 Tribunal Suprême, Chambre Civile, Section 1, 31 janvier 2003, 555/2003.

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156. Sans préjudice du point ci-dessus, ce critère n‟est pas absolu et dans la jurisprudence espagnole on peut observer des arrêts 275 qui, suite à un cas d’infection nosocomiale, ont rejeté la responsabilité de l‟équipe médicale puisque ces derniers ont apporté la preuve qu‟ils n‟avaient pas commis de négligence. En ce sens, l´Audience National, a déterminé : “Le seul fait d‟attraper une maladie nosocomiale n‟est pas un facteur déterminant pour considérer une prétention de responsabilité patrimoniale. En devant prendre en compte des divers facteurs qui participent à sa cause (…) n‟en observant pas l‟existence d‟aucune responsabilité patrimoniale, puisqu‟il n‟y a pas de constatation que les mesures prophylactiques adoptées étaient insuffisantes, puisque les contrôles évacués, selon la documentation apporté, ont été suffisants, ce qui a révélé exactement la déclaration du Dr. V. qui considère que l‟infection par mycose ne met pas en évidence le manque d‟asepsie”276.

157. Maintenant nous aborderons le traitement de la responsabilité, en raison d‟une prestation sanitaire pratiquée hors du domaine privé.