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Qu’est ce que « s’informer » ?

Chapitre 2. L’information comme projet individuel

2.2. Pratiques d’information : de quoi parlons-nous ?

2.2.2. Qu’est ce que « s’informer » ?

S’il nous est permis d’initier notre réflexion par un schéma, de souligner la diversité des comportements et attitudes subsumées par l’expression générale de « pratiques d’information », reportons-nous à celui de Tom Wilson (« Seeking information and searching information » repris par Eric Thivant (Thivant 200150). Nous pourrions ajouter à cette figure un cercle possiblement intitulé « s’informer », plus général encore et sans doute flou mais il nous faut pourtant bien dégager la spécificité de ces pratiques qui visent à s’informer, et non pas seulement, par exemple, à retrouver un site connu à partir d’un moteur de recherche.

49 « Il est intéressant de constater que les Anglo-saxons disposent d’un éventail large de termes pour désigner le processus de recherche

d’information. Stephenson, en 1998 [STEPHENSON, Geoffrey A. Knowledge browsing : front-ends to statistical databases. Statistical and scientific database management, 1998], a décrit plusieurs modèles d’interaction entre l’homme et la machine : retrieving, l’utilisateur possède une connaissance du sujet recherché, ainsi qu’une maîtrise des techniques de recherche documentaire ; searching, l’utilisateur possède une connaissance du sujet recherché mais maîtrise moins bien l’utilisation du système d’accès aux données ; browsing, l’utilisateur n’a pas de notion précise de ses besoins et ne peut les traduire en termes précis. Le système doit l’aider à à affiner sa requête dans le champ des possibles ».

MESGUISCH, Véronique ; THOMAS, Armelle. Net recherche 2009 : le guide pratique pour mieux trouver l’information utile et surveiller le Web. Paris : ADBS éditions, 2009 (Sciences et techniques de l’information)

50 THIVANT, Eric. Vers une modélisation des pratiques d’accès à l’information : Rapport de Recherche dans le cadre de la

coopération franco-tunisienne en Sciences de l'Information et de la Communication, coopération avec l'Institut Supérieur de documentation (ISD), de l'Université de Tunis, 2001

Vers une modélisation des pratiques d’accès à l'information (Thivant 2001)

L’expression « pratiques informationnelles », ou « pratiques d’information », renvoie à l’action bien particulière de « s’informer » (Blanquet 199751). L’action de s’informer fait bien entendu directement écho à la polysémie intrinsèque du terme « information » déjà évoquée, à la fois information « data », donnée mathématique objet d’un signal, à la fois information produit d’un construit social et interprétation subjective (Cacaly 199752 ; Jeanneret 200753). Cependant, s’il est aujourd’hui souvent difficile de faire la part entre l’information que l’on cherche et l’information qui vient à nous partout et tout le temps (la publicité intempestive, les écrans d’information omniprésents,…) s’informer suppose l’activité de l’individu ou tout au moins son désir. « S’informer », pour nous, englobe tout cela, cet « horizon informationnel », médiatique, culturel, conversationnel, … base de la relation de l’individu au monde qui l’entoure au sens de ce « paysage sonore » (soundscape) cadre de vie décrit par Robert Murray Schafer (Schafer 197954). Les pratiques informationnelles sont conjointes des pratiques médiatiques et documentaires, participent des pratiques culturelles et de lecture en particulier. Elles sont également parentes des pratiques de communication (blogs, miccroblogs, Chat, messageries, listes de diffusion, forums, réseaux sociaux, …) et de « redocumentarisation », constitutives avec elles des pratiques dites

51 « La philosophie ne saurait être considérée comme la spéculation abstraite d’un esprit désincarné. Elle est réflexion de l’homme sur le

sens ultime des expériences dans lesquelles il se trouve profondément engagé. La philosophie est action et réflexion sur l’action de l’homme. C’est à cette occasion que science de l’information et philosophie peuvent, une nouvelle fois, se rencontrer. Car savoir, connaître, informer ou s’informer sont en soi des actions. »

BLANQUET, Marie-France. Science de l’information et philosophie : une communauté d’interrogations. Paris : ADBS éditions, 1997

52 « L’information est la consignation de connaissances dans le but de leur transmission. Cette finalité implique que les connaissances

soient inscrites sur un support, afin d’être conservées, et codées, toute représentation du réel étant par nature symbolique ».

CACALY. Serge. Dictionnaire encyclopédique de l’information et de la documentation. Paris ; Nathan, 1997. (Collection « réf »)

53 JEANNERET, Yves. Y a-t-il (vraiment) des technologies de l'information ?. Villeneuve-d'Ascq : Presses Universitaires du

Septentrion, 2007. (Les savoirs mieux)

« numériques », appellation forçant le trait des outils et supports convoqués (ordinateurs, téléphones portables, tablettes de lectures…). S’en démarque pourtant la spécificité des pratiques informationnelles, liées aux « technologies de pensée », qui se succèdent sans s’annuler les unes les autres et contribuent à se modeler de manière réciproque, conditions de possibilité d’un rapport individuel et collectif au savoir. Nous définissons ainsi la « pratique informationnelle » comme le recours possible à ces technologies conçues comme « le vaste ensemble des medias, des industries culturelles, des télécommunications, des technologies du savoir et de la cognition » (Serres 200855). « De façon large, cela dessine les contours d’un monde informationnel, qui, à côté du monde réseau décrit par Boltanski (Boltanski 1999) aurait les caractéristiques suivantes : comme figure emblématique, celle du réservoir d’informations et de connaissances (local ou mondial) qui se décline en dispositifs, outils et systèmes d’information pour rendre disponible ce bien commun, selon certaines règles et comportements tant pour l’alimenter que pour en faire usage » (Guyot 200956) : ces technologies nous permettent d’entretenir un rapport au savoir en même temps qu’elles le déterminent en partie en ce qu’elles autorisent la double médiation individuelle et sociale du rapport au monde et au savoir. D’après le sens étymologique de l’information comme finalité de mise en forme, les « pratiques informationnelles » engagent le rapport à la culture comme rapport au monde et son prolongement dans la technique. Cet objet technique peut être entre autres, support de communication et d’information. Mais l’objet de communication est bien spécifique : il pourvoit à des besoins qui ne sont pas directement nécessaires à la survie de l’organisme biologique mais essentiels à l’existence sociale et concrétisant l’expression de la nature sociable et communicante de l’être humain. Les moyens d’accès et supports d’information, avec l’interaction sociale et l’expérience empirique, pourvoient l’être humain en indices sur le monde qui l’entoure grâce auxquels il bâtit sa vision du monde. Pratiques médiatiques, informationnelles et culturelles convergent à l’heure actuelle largement vers l’internet. Le rapport au monde, psychologique, naturel et social, qui définit l’appréhension anthropologique de l’action de « s’informer » inclut le recours à la médiation des technologies intellectuelles et de mémoire, dont, aujourd’hui massivement, le Web. « Le terme de « pratiques informationnelles » peut a priori s'appliquer à une très grande diversité de phénomènes, qu'il s'agisse de la production, de la recherche, ou de l'exploitation d'informations à des fins de connaissance, de communication, ou d'action. », nous indique l’article « Sociologie des pratiques informationnelles » du Dictionnaire encyclopédique de l’information et de la documentation (Le Marec 199757). Ainsi l’expression « pratiques

55 SERRES, Alexandre. La culture informationnelle. In PAPY, Fabrice (dir). Problématiques émergentes dans les sciences de

l'information. Paris : Hermès Science Publications, 2008 (Traité des sciences et techniques de l'information)

56 GUYOT, Brigitte. Se mouvoir au sein du monde de l’information : comment les personnes parlent de leur activité

d’information. Études de communication, n° 33, 2009

d’information » ou « pratiques informationnelles » est plus large que la recherche d’information et l’englobe. De même, l’expression « pratiques informationnelles » renvoie pourtant à quelque chose de plus large que la seule consultation d’un système d’information ou du Web aujourd’hui. L’INJEP (Institut National de la Jeunesse et de l'Education Populaire) a initié depuis 2006 une série d’enquêtes concernant les jeunes et leurs pratiques d’information dans la perspective de l’orientation scolaire et professionnelle et de l’intégration au monde du travail. D’octobre à décembre 2006, une enquête qualitative a été menée en Seine Saint Denis (Delesalle 200658). En Charente Maritime, de décembre 2006 à avril 2007 un observatoire a été mis en place concernant « L’information des jeunes ». En Savoie, c’est entre octobre 2007 et janvier 2008 qu’ont été réalisées deux enquêtes qualitatives59, l’une auprès d’un échantillon de 31 jeunes de 14 à 20 ans de profils différents et de situations variées, l’autre auprès de 51 professionnels et d’acteurs (conseillers d’orientation, CPE, assistants d’éducation, éducateurs, animateurs, élus...). En Bretagne, Charente et Ardèche, l’année 2008 a également vu se dérouler des enquêtes : Les jeunes bretons et leurs stratégies d’information60, Les 16-25 ans et leurs pratiques d’information61, L’information des jeunes de 16 à 20 ans en Ardèche : étude qualitative et stratégique62. Ces travaux, qui concernent par ailleurs l’accès et le recours à l’information dans une perspective concrète et décisionnelle, nous intéressent en ce qu’ils replacent le Web dans ce paysage informationnel global dont nous parlons. Reprenant la définition proposée par Gregory Bateson et prolongeant la métaphore environnementale convoquée par d’autres auteurs (Sutter 199863), Vincent Liquète creuse dans ses travaux la notion d’ « éco-environnement informationnel », figurant le paysage informationnel, dont

MELOT, Michel ; POMMART, Paul-Dominique ; SUTTER, Eric (dir.). Dictionnaire encyclopédique de l’information et de la documentation. Paris : Nathan, 1997 (Références)

58 DELESALLE, Cécile ; GOVINDASSAMY, Sophie ; NIAMBOSSOU, Reine. Les pratiques et usages des jeunes en

matière d’information : synthèse du rapport. Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire ; Vérès consultants, décembre 2006 http://www.ressourcesjeunesse.injep.fr/IMG/pdf/Synthese_Veres__injep2_0612.pdf

59 INJEP Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation populaire ; CONSEIL GENERAL DE LA SAVOIE ;

VERES CONSULTANTS –. L’information des jeunes de 14 à 20 ans en Savoie Mars 2008

L’information des jeunes de 14 à 20 ans sur leur orientation et leur insertion scolaire et professionnelle Point de vue des jeunes et des professionnels. http://www.injep.fr/IMG/pdf/resume_savoie_e0803.pdf

Stratégies d’information en fonction des parcours et des projets http://www.ressourcesjeunesse.fr/IMG/pdf/cg74injep_veres_parcjeunes0803.pdf

60 RENAULT Soazig ; BOUTHIER, Jérôme. Les jeunes bretons et leurs stratégies d’information. Réseau

Information Jeunesse Bretagne, mai 2008

www.crij-bretagne.com/crij_rennes//docs/actuloc200806044802.pdf

61 Centre d’Information Jeunesse d’Angoulême (CIJ). Les 16-25 ans et leurs pratiques d’information dans leur

parcours personnel. Avril à juin 2008

http://www.ressourcesjeunesse.fr/IMG/pdf/ENQUETE_JEUNESb1.pdf http://www.ressourcesjeunesse.fr/IMG/pdf/ENQUETE_JEUNESb2.pdf http://www.ressourcesjeunesse.fr/IMG/pdf/ENQUETE_JEUNESb3.pdf

62 DELESALLE, Cécile ; GOVINDASSAMY, Sophie ; MARQUIE, Gérard. L’information des jeunes de 16 à 20 ans en

Ardèche : étude qualitative et stratégique, février juin 2008. Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire ; Vérès consultants, 2008 http://www.injep.fr/IMG/pdf/rapp_final_ardeche_b.pdf

médiatique, documentaire, social,… dans lequel évoluent les individus et qui se place en tant que l’une des médiations possibles de leur rapport au monde : « L’éco-environnement informationnel dépasse la seule définition de l’environnement documentaire dans le sens où doivent être considérés de concert un ensemble de structures et de réseaux susceptibles de fournir de l’information, avec des méthodes et des actions souhaitées et produites par les acteurs, ainsi qu’un ensemble complexe de représentations sociales et individuelles (Bateson 1980) » (Liquète 200564). Ce paysage informationnel « environnant » ne se confond pas par ailleurs avec l’univers informationnel « intérieur » que chacun se constitue au gré du quotidien et des situations rencontrées (Guyot 200965). C’est dans ce contexte général, environnant et

intérieur, que se déroulent et prennent sens les pratiques informationnelles incarnées pourrait-on dire, les pratiques informationnelles réelles des individus. De ce point de vue l’internet nous apparaît comme un moyen ou une source d’information certes décisive mais s’inscrivant parmi d’autres.