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Chapitre 2. L’information comme projet individuel

2.1. Retour sur l’expression « pratiques informationnelles »

2.1.1. Le concept de pratique

Dans le langage courant, selon les définitions proposées par un dictionnaire généraliste tel que Le Trésor de la langue française informatisé12, le terme de « pratique » se rapporte à tout ce qui relève du « domaine concret », de « l'expérience ». La pratique désigne ici une « activité qui vise à appliquer une théorie ou qui recherche des résultats concrets, positifs ». Nous percevons là l'aspect « utilitaire » et orienté vers l’action, par opposition à l'acte gratuit, de la pratique. Le champ de l'expérience nous renvoie d’autre part à la maîtrise d'une activité par « l'habitude » : « Être familiarisé avec, avoir l'expérience de. (...) Savoir-faire, compétence résultant de l'exercice habituel d'une activité », « Manière habituelle d'agir, comportement habituel ». La « pratique » renvoie donc à quelque chose qui est effectué régulièrement, qui en cela est source d'un bénéfice, et qui donc vise une certaine efficacité. Cette visée d'un objectif précis nous amène très rapidement à l'idée de principes normatifs à respecter : « Fait d'exercer une activité particulière, de mettre en oeuvre les règles, les principes d'un art ou d'une technique », « Fait de suivre une règle d'action, d'y conformer sa conduite », « Observance des prescriptions d'une religion », dans le domaine moral, social et religieux, toujours selon Le Trésor de la langue française informatisé. La « pratique » désigne ici non seulement ce qui est fait mais également la façon dont cet acte doit être effectué. Employé au pluriel et rapporté maintenant au champ sociologique, « les pratiques » renvoient au « comportement habituel d'un individu ou d'un groupe ». C’est dans ce champ sociologique en effet que cette notion de pratique est aisément convoquée. En sciences de l’éducation, cette notion de pratique s’avère également très opérante, qui désigne en même temps ce qui s’observe et ce qui se fait, les objectifs et intentions qui sont à l’origine des comportements, gestes et paroles (Beillerot 199813). Cette notion s’applique ici essentiellement à l’agir professionnel de l’enseignant, à sa mise en œuvre concrète, incarnée et à sa définition par le groupe de spécialistes. Dans le champ anthropologique, citons l’émergence au début des années 90 du concept de « communautés de pratiques » défini par Jane Lave et Etienne Wenger (Wenger 199814). Décrivant les relations d’apprentissage et de partage de connaissances principalement informels entre les nouveaux et les anciens acteurs d’un domaine d’activité, cette approche relève l’importance

12 Analyse et traitement informatique de la langue française (Atilf), CNRS, Nancy Université. Le Trésor de la langue

française informatisé. http://atilf.atilf.fr/tlf.htm

13 BEILLEROT Jacky, BLANCHARD-LAVILLE Claudine, MOSCONI Nicole. Rapport au savoir : éléments

théoriques et illustrations cliniques. Nouvelle Revue de l'Adaptation et de l'Intégration Scolaire, n°1 & 2, La question des savoirs, juin 1998

significative du contexte dans lequel se déroule l’apprentissage et parle à ce propos d’ « action située ». Mais, le détour par l’acception plutôt générale du terme de « pratique » nous amène à nous interroger quant à son utilisation massive, en particulier dans l’expression précise de « pratiques informationnelles », et quant à la compréhension de notre objet d’étude qui vise les pratiques informationnelles informelles des jeunes sur l’internet.

« Le champ des pratiques médiatiques est profondément renouvelé par une double tendance à la multiplication et à la diversification des medias. La multiplication s’opère dans l’espace domestique par le fait qu’en parallèle des télévisions et des radios placées dans les pièces du foyer à usage collectif (les salons et les cuisines), d’autres postes sont introduits dans les pièces plus intimes comme les chambres à coucher et les salles de bain. Ces agencements des habitats contribuent à renouveler l’économie des pratiques en les désolidarisant des relations familiales pour permettre à chacun des membres du domicile de développer des usages davantage en phase avec ses goûts. La tendance à la diversification découle quant à elle du développement des TIC. La démocratisation des ordinateurs et des abonnements à l’internet haut débit contribue, par l’étendue des activités qu’ils rendent possible, à renouveler en profondeur les habitudes médiatiques domiciliaires. Cette diversification a également un impact croissant sur les pratiques développées en situation de mobilité. A titre d’exemple, les téléphones mobiles de troisième génération (3G) peuvent aujourd’hui être utilisés pour regarder des chaînes télévisées ou des vidéos pendant les temps de transport. […] Nous interrogeons ici une des conséquences de cette double tendance : comment les individus donnent-ils une cohérence à leurs pratiques quand elles se diversifient et se distribuent autour d’utilisations successives de différents supports médiatiques ? » (Figeac 200715) : les constats effectués ici à propos des pratiques médiatiques et des supports auxquels elles se rapportent nous semblent pouvoir être totalement repris en ce qui concerne les pratiques informationnelles des jeunes avec l’internet. Le paysage informationnel actuel dans lequel elles s’exercent est en effet profondément transformé à la fois par une multiplication des canaux (imprimé, audio, visuel, audiovisuel, …) et des sources16, à la fois par une convergence des différents medias vers le « support écran » (ordinateurs et tablettes mobiles). Des pratiques de différentes natures s’entrelacent qui passent par les mêmes vecteurs : « Or l’effet de réunion provoqué par la numérisation des supports traditionnels et des écrits pour l’action contribue à remettre en cause ces approches traditionnelles par objet » (Cotte 200817). Par le biais d’un

15 FIGEAC, Julien. La configuration des pratiques d’information selon la logique des situations, Réseaux, n° 143,

2007.

16 Prenons pour illustration de cette diversification des sources, le mouvement imposé aux métiers du journalisme

entre autres par l’expansion du « journalisme citoyen » (www.agoravox.fr, www.rue89.com), l’expression sur les réseaux sociaux (Twitter), la captation d’évènements en temps quasi réel via les téléphones portables ou appareils photos numériques et le partage, voire la revente, de ces ressources sur les plates formes d’échanges (Flickr, www.shootnews.com, www.citizenside.com…).

17 COTTE, Dominique. A la rencontre des objets « DU numérique » l'occasion d'un nouveau paradigme pour les

études de communication en organisation In COUZINET, Viviane ; CHAUDIRON, Stéphane. Sciences de la société : Organisation des connaissances à l’ère numérique, n°75, octobre 2008

ordinateur connecté à l’internet, nous pouvons en effet tout à la fois et pratiquement dans le même temps, communiquer (chatter sur MSN, mettre à jour son profil Facebook), rechercher de l’information (consulter la météo du jour, compulser Wikipédia), acheter en ligne, écouter de la musique sur Deezer ou Jiwa, travailler etc…. Les pratiques connectées occasionnent une myriade d’usages et parmi eux de multiples usages proprement informationnels visant des objectifs très hétéroclites (entre consulter la météo, les horaires de cinéma, des photos ou de l’actualité « people », la presse en ligne ou des éléments d’information pour un exposé d’histoire par exemple…). Par ailleurs, les activités d’ordre informationnel et les préoccupations communicationnelles sont aujourd’hui étroitement et, pourrait-on dire techniquement, confondues, par exemple matérialisées dans des services estampillés « Web 2.0 » tels que Twitter, qui permettent conjointement la diffusion ou le relais plus ou moins massifs d’informations, d’évènements, et la conversation entre abonnés. L’inscription de ces usages informationnels sur l’internet sont également à replacer au sein des pratiques des medias en général, l’internet s’intégrant dans l’horizon médiatique que constituaient traditionnellement presse écrite et medias audiovisuels. Les pratiques informationnelles des jeunes avec l’internet nous apparaissent ainsi évanescentes et diluées, agrégées aux pratiques numériques en général. Le concept de « pratiques » apparait lui-même relativement flou à force d’être usité. Ainsi proposons nous de retracer l’épaisseur et de démêler la cohérence de ces pratiques d’information, activités et motivations ordinaires des jeunes sur l’internet, d’interpeller leur présence en tant que pratiques. Cela nous amène à revenir sur la notion de « pratique » ou de « pratique informationnelle », détour réflexif momentané mais indispensable pour nous autoriser à parler de pratiques informationnelles informelles des jeunes sur l’internet en tant que telles.