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L’écart entre l’école et la maison

Chapitre 3. L’informel comme objet d’étude et la question centrale de

3.3 Une expertise informationnelle augmentée

3.3.3 L’écart entre l’école et la maison

La question des pratiques d’information et de leur inscription possible au sein d’activités scolaires recoupe celle plus générale de la relation entre l’école et les medias, distingués ici du support livresque. La moindre valeur traditionnellement accordée par l’école à l’informel, au domaine de l’expérience individuelle, et que nous avons évoquée plus haut, a trait à la conception de l’écriture et du support alphabétique comme voie de formalisation par excellence : « Les rapports entre école et

149 BERRY, Vincent. Les Guildes de joueurs dans l’univers de Dark Age of Camelot : apprentissages et transmissions

culture écrite ne s’épuisent pas dans le fait empiriquement constatable que l’école est le lieu où l’on apprend à lire et à écrire. (…) L’école comme espace et organisation du temps spécifiques, les pratiques scolaires séparées des autres pratiques sociales (les pratique d’exercice du métier en particulier), sont liées à l’existence de savoirs objectivés. L’existence de savoirs détachés des pratiques (ils s’organisent selon une logique propre – logique scripturale – qui n’est plus celle de la pratique : systématisation, formalisation, généralisation, voire même théorisation), nécessite un lieu et une activité d’appropriation spécifiques. L’école et la pédagogisation des relations sociales d’apprentissage sont liées à la constitution de savoirs scripturaux formalisés, savoirs objectivés, délimités, codifiés concernant aussi bien ce qui est enseigné que la manière de l’enseigner, les pratiques des élèves autant que celles des maîtres. La pédagogie (au sens restreint du mot) s’articule sur un modèle explicite objectivé et fixé de savoir à transmettre. Les savoirs objectivés, explicités, fixés, qu’on entend transmettre n nécessitent un mode inédit de transmission du savoir. Il s’agit de faire intérioriser par les élèves des savoirs qui ont conquis leur cohérence dans/par l’écriture (…). (…) Le mode de socialisation scolaire est donc indissociable de la nature scripturale des savoirs à transmettre : la formalité des savoirs, les formes de relations sociales au sein desquelles ils sont « transmis » sont profondément liées » (Lahire 1993150). Des questions de légitimité culturelle sont ainsi au principe des questionnements quant aux savoirs et contenus à même d’être didactisés, d’être formalisés en tant qu’objets d’enseignements et de transmission. Or, parmi les contenus informels ou non formels qui entrent en compétition avec l’école et dont elle se demande régulièrement si elle peut les laisser pénétrer le cercle des objets d’enseignement, nous trouvons entre autres la presse, la télévision, la littérature de jeunesse151, l’image, la bande dessinée, les questions d’actualité, les réseaux sociaux152, les jeux vidéos principalement sous la forme des « serious games »… Concernant les medias d’information, l’historique de leur utilisation en classe dans une double perspective d’éducation aux medias et d’éducation par les medias est encore à faire et de longue haleine (Sarmiento 1999153, Kerneis 2009154). En France, les travaux de Jacques Gonnet posent les jalons

150 LAHIRE, Bernard. Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l'“échec scolaire” à l'école primaire. Lyon : Presses

Universitaires de Lyon, 1993 (IUFM)

151 CHARTIER, Anne-Marie ; HEBRARD, Jean. Genèse des conceptions républicaines sur la lecture. In

CHARTIER, Anne-Marie ; HEBRARD. Discours sur la lecture, Paris, Fayard, 2000

152 JARRAUD, François. Les réseaux sociaux dans l’éducation. Educatec educatice Le salon professionnel de

l'éducation, 24- 25-26 novembre 2010, Paris Porte de Versailles

http://www.cafepedagogique.net/communautes/Educatice2010/Lists/Billets/Post.aspx?ID=2

JUIN, Laurence. Qui a peur de l’entrée des réseaux sociaux en classe? Les élèves!. OWNI Digital Journalism. Education, 13 décembre 2010-12-13 http://owni.fr/2010/12/08/qui-a-peur-de-l%E2%80%99entree-des-reseaux- sociaux-en-classe-les-eleves/#

153 SARMIENTO, Sergio. Les conceptions de l’éducation et des médias sous-jacentes aux actions d’éducation aux

médias : les “Classes Image et médias” de l’académie de Paris. Thèse de doctorat. Université de Paris 8. Département des Sciences de l’éducation, 1999

154 Analyse didactique et communicationnelle de l'éducation aux médias : éléments d'une grammaire de l'incertitude. Thèse de

doctorat. Université Rennes 2 Université européenne de Bretagne. Département des Sciences de l’éducation, 2009 http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/45/10/46/PDF/theseKerneis.pdf

de cette histoire et pointent la décision ministérielle de 1976155 qui autorise officiellement l’entrée de la presse dans les établissements scolaires, même si l’utilisation de la presse par certains enseignants tels que Célestin Freinet était effective depuis les années 60. La Déclaration de Grunwald sur l’éducation aux medias156 sera adoptée en 1982 par l’Unesco et le CLEMI157 créé en 1983. Pour ce qui est des dispositions plus récentes, nous renvoyons aux Douze recommandations pour l'éducation aux medias de l'Agenda de Paris158 qui en 2007 renouvellent les engagements de 1982 en particulier en matière d’évaluation, et à la résolution du Parlement européen du 16 décembre 2008 sur la compétence médiatique dans un monde numérique159. Ce dernier texte définit la compétence médiatique comme « la capacité d'utiliser de façon autonome les différent medias, de comprendre et d'évaluer de façon critique les divers aspects des medias en tant que tels et des contenus médiatiques, de communiquer ceux-ci dans divers contextes, de créer et de diffuser des contenus médiatiques (…) devant la multitude de sources disponibles, il s'agit avant tout de se doter d'une capacité de sélectionner les informations voulues parmi la profusion de données et d'images fournies par les nouveaux medias, et de les classer ». Il souligne également que « l'éducation aux medias devrait faire partie de l'éducation formelle à laquelle tous les enfants ont accès et devrait faire partie intégrante du programme scolaire à tous les niveaux d'enseignement ». L’arrivée de l’internet et du Web grand public tel que nous les connaissons aujourd’hui, constitue ainsi un changement majeur survenu depuis la déclaration de Grunwald et motivant les réflexions contemporaines. S’il en est un, le Web n’est pas un media comme les autres, qui modifie en effet profondément le paysage médiatique et a la particularité d’intégrer les supports d’information préexistants : « (…) cela ne peut qu’interpeller fortement l’éducation aux medias. (…) Dès 2005, Piette propose pour l’éducation aux medias un changement majeur, rendu nécessaire par l’évolution de la société. Il l’expose ainsi devant des professeurs-documentalistes : « Finalement, l'avènement d'Internet pose, sur le plan conceptuel, un tout nouveau défi à l'éducation aux medias. Il annonce le passage d'un paradigme d'enseignement centré sur le concept de message médiatique à un enseignement qui devrait être recentré sur le concept d'information » (Kerneis 2009). Des questions tout à fait inédites se posent dès lors, qui ne se posaient pas tout à fait dans les mêmes termes avec les supports de communication évoqués plus haut. Pour ce qui nous occupe, il nous semble que précisément le Web revêt un caractère proprement informel et qu’une vraie concurrence se fait jour entre l’internet et le modèle scolaire scriptural décrit par Lahire Il nous semble que cette rivalité s’exprime précisément en termes de pratiques, de « bons usages » comme nous l‘avons déjà spécifié, et non plus seulement

155 HABY, René. Lettre du 28 septembre 1976 : Utilisation de la presse a l’école. Circulaire n° 76-356 du 20 octobre

1976. Bulletin Officiel de l’éducation nationale, n° 38, 21 octobre 1976

156 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/DeclGrunwald.pdf

157 D’abord Centre de liaison de l'enseignement et des moyens d'information puis Centre de liaison de l'enseignement

et des médias d'information http://www.clemi.org/fr

158 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/AgendaParisFinal_fr.pdf

159http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2008-

en termes de contenus inadaptés, possiblement éducatifs ou à proscrire au contraire. La question des pratiques devient ici, à notre sens, tout à fait prégnante car ce qui entre en jeu ce n’est pas seulement ce que l’on lit ou consulte sur le Web, mais ce pour quoi on le consulte et ce que l’on y fait. « Le passage d'une économie nationale "postindustrielle" à une économie plus globale de l'information et de la connaissance entraîne de profondes mutations dans notre société. Les technologies de l'information et de la communication ne sont pas seulement des accessoires. Elles sont au nombre des outils fondamentaux de la civilisation de demain. Le système éducatif ne peut les ignorer » : au travers de ces propos tenus par Guy Pouzard160, inspecteur général de l’éducation nationale, nous percevons que l’internet et les technologies de l’information et de la communication ont pourtant et de suite été portés par les instances décisionnelles comme des leviers indispensables à l’éducation des populations, jusqu’à récemment (MEN 2010161). Pourtant, les principes de fonctionnement de l’internet reposent sur l’horizontalité et le réseau qui impliquent eux-mêmes absence de hiérarchie et décentration. Lorsque la presse, la bande dessinée ou la littérature de jeunesse, ont pu être acceptées comme support ou objet d’éducation, elles pouvaient être pensées à partir d’un lieu de référence, à côté de la culture légitime : culture populaire etc…. Avec l’internet, la conversation, la publicité, les cours en ligne, les sites institutionnels, les blogs… entrent à l’école, non pas comme documents d’étude, mais comme éléments du décor et objets potentiels d’une attention (Kessous et al 2010162).

L’informatique connectée et l’internet en particulier renforcent la porosité entre les contextes formel et informel. Ainsi s’affirme la dichotomie théorique entre « pratiques formelles », inscrites dans un contexte déterminé aux finalités précises, professionnelles ou scolaires, et « pratiques informelles », sans finalité autre que l’occupation du temps quotidien, de l’ordre du loisir, de l’anecdotique, « perçues comme résiduelles ou compensatrices » (Chambat 1994). Cependant, avec la dilution dans la sphère quotidienne d’usages auparavant cantonnés à des contextes scolaires ou de production et inversement, avec la polyvalence et la nomadisation d’outils diachroniques, cette distinction perd de son tranchant. En évoquant cette discrimination formel/informel au principe de la qualification des pratiques ordinaires des jeunes avec l’internet, nous anticipons sur une

160 POUZARD, Guy. Rapport officiel de l'Inspection Générale de l'Éducation Nationale sur l'utilisation du multimédia dans les

enseignements : Présenté par Guy Pouzard Inspecteur Général de L'Éducation Nationale Groupe EVS - Président de la commission "informatique et techniques de communication". 1997

http://etablissements.ac-amiens.fr/0601178e/rapportpouzard2.html

161 MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE DE LA JEUNESSE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE. Plan

de développement des usages du numérique à l'école. Dossier de presse du Jeudi 25 novembre 2010

http://media.education.gouv.fr/file/novembre/18/2/Plan-de-developpement-des-usages-du-numerique-a-l- ecole_161182.pdf

162 KESSOUS, Emmanuel ; MELLET, Kevin ; ZOUINAR, Moustafa. L'Économie de l'attention : Entre protection

des ressources cognitives et extraction de la valeur. Sociologie du Travail, vol.3, n°52, 2010 http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00520512_v1

conclusion particulièrement marquante et tout à fait commune aux enquêtes que nous allons détailler au chapitre 5. Ce constat est celui qui marque l’écart grandissant entre l’école et la maison, et suivant lequel les pratiques internautes et numériques se développeraient plus largement au domicile. Cet écart s’énonce en termes d’assiduité d’une part, en termes de nature de pratiques d’autre part : les pratiques de socialisation, de communication et de jeu étant largement absentes du contexte scolaire. Ensuite et toujours selon ces enquêtes, Médiappro 2006 en particulier, cet écart école/maison semble se situer y compris sur le plan de l’appropriation et des apprentissages. Il nous semble pourtant de plus en plus difficile de démêler les différents usages possibles du Web tel qu’il évolue actuellement. Les usages ludiques et socialisants impliquent de plus en plus des actions d’ordre documentaire et inversement. Car, de la même façon que ces technologies, qui leurs sont contemporaines, ne sont à leurs yeux pas si « nouvelles », ce que les spécialistes qualifient de « Web 2.0 »163, « Web social » ou « participatif », s’apparentent dans leurs représentations à l’internet « tout court ». Quotidiennement, les jeunes amendent leur profil Facebook, plébiscitent des vidéos sur Youtube ou Dailymotion et les partagent, copient collent des images trouvées à partir de Google ou de Flickr, consultent Wikipédia… Le quotidien, l’informel, réunit tous ces éléments car il devient difficile d’associer un lieu et une situation d’information. Occupant peu à peu tous les interstices de la vie quotidienne, les TICs opèrent une jonction troublante entre loisir et travail, gourmands des mêmes techniques, convoquant des savoir faire analogues. C’est cette possible porosité des domaines qui nous interroge et qui bouscule la « validité des différenciations opérées par les recherches dans les usages selon les situations d’usage » (Chambat 1994164). Situations d’autant plus inextricables du fait du syncrétisme technologique, du resserrement de tous les services vers le support numérique de l’information et donc du mélange des genres entre les situations d’usage et les types de pratiques. Nous agissons de plus en plus en dehors de tout lieu, de tout contexte : pas besoin par exemple de se déplacer pour effectuer des démarches administratives, pour effectuer un achat… les règles juridiques également ainsi que les processus de normalisation, figures mêmes de la formalité, s’en trouvent bousculés (Perriault 2010165). Le Web renforce la porosité des usages et finalement, d’un certain point de vue, « l’informalité » des usages, en cela il entre en totale contradiction avec les principes de l’école en tant qu’institution et en tant que projet éducatif.

163 O’REILLY. What Is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software. Web 2.0

Conference 2005. 30 septembre 2005 http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html

164 CHAMBAT, Pierre. « Usages des technologies de l'information et de la communication ».Technologies et Société, 6(3),

1994

165 PERRIAULT, Jacques. La norme numérique : Savoir en ligne et Internet. Paris : CNRS éditions, 2011 (CNRS

Le contexte qui occupe notre propos, c’est donc cette vie quotidienne marquée par la coupure non pas entre l’école et la maison, qui relève plutôt du non formel, plus proche du formel que l’informel, mais plutôt d’abord entre l’école et l’internet. Et nous pourrions finalement nous demander dans quelle mesure l’école encourage l’accès et l’appropriation d’un « véritable » internet lorsqu’il s’agit avant tout d’envisager la responsabilité des usagers dans un usage légal de ressources pré sélectionnées et de protection des données personnelles166 : « En conséquence, on dira que les savoirs formels sont essentiellement concentrés autour des systèmes sémiotiques conventionnels et formalisés qui ont tendance à la fermeture. Le plus souvent, ils sont sensibles (ou résultent) des approches réductionnistes et analytiques et sont en conséquence particulièrement compatibles avec les medias linéaires, verbaux et textuels. D’où la préférence que leur accorde l’école qui est restée le domaine du logos. Autre conséquence, on dira que les autres savoirs relèvent de domaines encore peu ou mal explorés, compris, ou valorisés. Parmi eux figurent les domaines complexes, possédant un très grand nombre de variables, peu déterminés, dynamiques, peu prévisibles, soumis à de grandes variations et très sensibles à leurs environnements. On peut y placer quelques-uns de nos plus grands savoirs tels que : savoir vivre, savoir vivre ensemble, savoir communiquer, savoir parler, savoir voir, savoir apprendre, savoir être parent, savoir enseigner, etc. Ces savoirs construits dans des situations d’immersion sont particulièrement difficiles à réduire et à décomposer. Ils résistent à la description, et précisément à la formalisation. Ce faisant, ils échappent particulièrement aux modes de transmission les plus scolaires » (Darras 2001167). L’écart est constitutif de la pensée des usages du quotidien et marque donc notre objet d’étude. Michel De Certeau emploie la métaphore du « braconnage » pour désigner ce que les gens font réellement avec les outils dont ils disposent, et envisager, surtout, leur marge de manoeuvre personnelle. C’est en effet dans cet écart que De Certeau localise l’appropriation créatrice. C’est également cet écart qui permet la pratique par la part d’individualité qui s’y exprime : « l’usager devenu autonome façonne sa propre pratique et libère, à travers la médiation de la technique, sa subjectivité » nous permet de préciser Josiane Jouet (Jouet 1993168). Les activités liées au divertissement juvénile peuvent sans doute être en grande partie associées à cet espace temps du loisir et du quotidien, par opposition aux cadres structurés de l’école et du travail soumis à une certaine productivité cognitive ou éducative. Nous pensons beaucoup plus délicat d’appliquer une telle association en ce qui concerne précisément les pratiques d’information. La dichotomie entre formel et informel abordée dans ce chapitre anticipe, nous l’avons noté, sur l’écart entre l’école et la maison qui

166 MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE DE LA JEUNESSE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE. Plan

de développement des usages du numérique à l'école. Dossier de presse du Jeudi 25 novembre 2010

http://media.education.gouv.fr/file/novembre/18/2/Plan-de-developpement-des-usages-du-numerique-a-l- ecole_161182.pdf

167 DARRAS, Bernard. Les formes du savoir et l’éducation aux images. Recherches en communication, n° 16, 2001

http://sites-test.uclouvain.be/rec/index.php/rec/article/viewFile/3191/2991

168 JOUET Josiane. Usages et pratiques des nouveaux outils de communication. In SFEZ, Lucien (dir.). Dictionnaire

caractérise les pratiques juvéniles connectées selon la plupart des enquêtes connues sur le sujet. Suivant cette ligne de fracture, nous aurions donc d’une part le contexte scolaire formel et de l’autre le quotidien informel. Cependant, pour ce qui est des pratiques d’information, la coupure n’est donc pas aussi franche, puisqu’en matière de compétences infodocumentaires nous avons montré que la formalité était finalement assez fragile, puisque les préoccupations scolaires empiètent sur le temps personnel en même temps que prévaut de plus en plus la valeur expérientielle dans les dispositifs institutionnels en cours de positionnement. Du point de vue des pratiques informationnelles, nous ne pouvons donc pas ranger si nettement d’un côté l’apprendre, de l’autre le divertir : « Il y aura lieu, dans les années à venir, d’approfondir les études sur les usages des machines à communiquer, d’en affiner les indicateurs statistiques, en tenant pour probable qu’ils ne sont pas uniquement motivés, ou en tout cas qu’ils le seront de moins en moins, par la seule recherche de la distraction. Car intervient dans cette évolution ce qui est encore une inconnue, à savoir le rôle de la jeunesse », écrivait Jacques Perriault en 1989 dans sa Logique de l’usage. La distinction radicale entre formel et informel, entre méthodologie et « école de la vie », entre « culture de l’écran » et « pensée réflexive », ne semble en effet pas si féconde : « Critiquer dans l’école l’ « artificiel » en l’opposant à l’ « authentique », à la « vie », au « réel », c’est faire comme si l’école était hors formation sociale, hors réalité, alors qu’elle en est, au contraire, l’un des constituants essentiels » (Lahire 1993169). « Ces deux pôles (formel - informel) sont-ils effectivement à concevoir en opposition, comme semble le suggérer le langage courant à travers les distinctions classiques entre théorie et pratique, ou entre abstrait et concret... ? Ou est-il possible d’envisager un autre type de relation entre ces pôles ? (…) Par rapport aux savoirs formels, les savoirs informels pourraient être qualifiés d'intuitifs, partiels ou encore fugaces. On aurait tort cependant, me semble-t-il, de traiter ces deux types de savoirs selon une logique d'opposition pure et simple. Cette logique d'opposition paraît stérile et ruineuse, de même que toutes les dichotomies classiques (du type théorie - pratique, abstrait - concret, objectivité - subjectivité...) pour penser ce rapport » (Charlier 2001170) : mais si le qualificatif d’ « informelles » est ainsi apparu au cours de ce chapitre comme ne recouvrant pas totalement la complexité contextuelle des usages informationnels, cette dénomination et la réflexion qu’elle suppose présentent l’intérêt paradoxal de nous éclairer sur la réalité propre que recouvre cependant, l’informel. Il n’est pas seulement l’envers du formel ou du non formel… Il nous semble donc qu’annuler totalement cette distinction brouillerait donc un peu plus encore les pistes car il faut savoir d’où il est