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Chapitre 3. L’informel comme objet d’étude et la question centrale de

3.2. Appropriation informelle et compétence formelle ?

3.2.2 Compétence et évaluation

Sans remonter jusqu’à l’acception linguistique du terme et aux travaux de Chomsky, la notion de compétence peut se définir, d'une façon générale et courante, comme la capacité d’un individu à « savoir faire quelque chose », à accomplir avec succès une tâche quelle qu’elle soit. Nous notons d’emblée qu’un certain pouvoir de décision est intrinsèquement lié à cette notion de compétence, qui se retrouve dans l’origine étymologique du mot lui-même (competentia) : « Habileté reconnue dans certaines matières et qui donne un droit de décider », « être en état de juger » nous dit le Littré (éditions Garnier, Paris, 2005) ; « Capacité reconnue en telle ou telle matière, et qui donne le droit d'en juger » nous dit le Petit Larousse (édition 2008). Mais la notion de compétence, telle que devenue centrale aujourd’hui dans les discours de la formation et de l’éducation, est principalement issue de la sphère industrielle. Selon l’AFNOR, la compétence est ainsi la « mise en oeuvre, en situation professionnelle, de capacités qui permettent d'exercer convenablement une fonction ou une activité » (AFNOR 199644). Le Centre d'Evaluation, de Documentation et d'Innovation Pédagogiques (CEDIP) du ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement précise : « elle est produite par un individu ou par un collectif dans une situation professionnelle donnée. Elle est donc directement reliée à un contexte et s'observe en situation de travail. Elle est définie et validée par l'environnement direct. Elle doit être référée à un résultat (ou objectif quantitatif et qualitatif) attendu » (CEDIP 200645). La notion de compétence se décline donc en termes de performance, en fonction d'un but à atteindre, d'une tâche à accomplir, elle est alors susceptible d'évaluation. La compétence est au départ une qualification d'ordre professionnel, définie comme la coïncidence d’un contexte de production, d’une tâche à accomplir et des activités remarquables pour la mener à bien. De ce fait, la compétence est observable, transférable et évolutive. Définissable comme un « ensemble de

43 GIORDAN, André ; DE VECCI, Gérard. Les origines du savoir : Des conceptions des apprenants aux concepts scientifiques.

Delachaux et Niestlé, 1997 (Actualités pédagogiques et psychologiques)

44 AFNOR. Normes Françaises NF X 50-750 de 07/96 - Indice de classement : X 50-750 - Formation professionnelle -

Terminologie - 235,00 F HT, Juillet 1996 - 19 pages - Statut : Homologuée

45 CEDIP. Ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables. Lexique du management et de la

formation. CEDIP - Réseau d'Information Compétences et Formation, 2006 http://www.cedip.equipement.gouv.fr/article.php3?id_article=136

connaissances déclaratives, procédurales et d'attitudes qui sont activées lors de la planification et de l'exécution d'une tâche donnée », la compétence entremêle ainsi savoirs, savoir faire et savoir être (Brien 199746). Cette notion de compétence, issue du monde du travail et de l’entreprise privée, est devenue centrale aujourd’hui dans les discours de la formation et de l’éducation. Cette orientation politique s’inscrit dans un mouvement plus général de recours à la notion de compétence et de relecture de l’évaluation des élèves comme des systèmes éducatifs à sa lumière ainsi que nous le donne à voir le Programme international pour le suivi des acquis des élèves déployé depuis 2000 sous l’égide de l’OCDE (Programme for International Student Assessment - PISA47). La notion de compétence y apparaît comme inséparable du modèle de performance qui la génère. Aussi, transposée dans le domaine scolaire continue t’elle de se définir comme la capacité à convoquer et à combiner des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être permettant la réalisation d’une opération dans un contexte donné : « Ce ne sont plus les connaissances elles-mêmes qui ont de l'importance mais l'utilisation qui en est faite. La construction des compétences permet aux individus de mobiliser, d'appliquer et d'intégrer les connaissances acquises dans des situations diverses, complexes et imprévisibles » (Meunier 200548). Reflétant la conception d'un apprentissage situé, elle ne perd pas ses propriétés de « transférabilité » mais aussi « d’observabilité » et de performance. Appliquée au monde de l’éducation et de la formation, la notion de compétence intègre donc un ensemble de savoirs, savoir-faire, savoir-être. Ces éléments constitutifs sont autrement désignés comme « connaissances », « capacités », « attitudes » par le Socle commun de connaissances et de compétences, principal texte officiel en cours et fondement de la Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'École du 23 avril 2005 en France. Dispositif de certification, le B2I s’ancre dans ce texte car les niveaux 1 et 2 (école, collège) en constituent le pilier consacré à « la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication »49.

Nous l’avons souligné, on parle de compétence dès lors qu’il y a un but à atteindre et que l’on peut énoncer les indicateurs qui permettront de dire dans quelle mesure ce but aura été atteint. Les exigences d’immediateté, de rapidité, présentes dans la notion de compétence et transplantées dans le monde de l’éducation, peuvent ainsi s’opposer avec les « savoirs scolaires » au sens classique qu’ils recouvrent (Dubet 200550). L’application de la notion de compétence à l’éducation s’accompagne en outre d’une approche curriculaire du processus de formation. En effet, la

46 BRIEN, Robert. Science cognitive et formation. Québec : Presses Universitaires du Québec 1997 47 http://www.oecd.org/pages/0,3417,en_32252351_32235907_1_1_1_1_1,00.html

48 MEUNIER, Olivier. Standards, compétences de base et socle commun. Les dossiers de synthèse. Service de Veille

Scientifique et Technologique de l'Institut National de Recherche Pédagogique. Lyon : INRP, Décembre 2005 http://www.inrp.fr/vst/Dossiers/Standards/OCDE_UE/competences1.htm

49 http://media.education.gouv.fr/file/socle_commun/72/9/evaluation-grillesDNB_117729.pdf

50 DUBET, François. Les épreuves et les enjeux de la culture scolaire. In JACQUET-FRANCILLON, François ;

notion de curriculum fonde la légitimité des contenus d’enseignement non plus sur un savoir idéal de référence mais sur « le résultat de pratiques sociales, qui conduisent à valider à tel ou tel moment telle ou telle partie du savoir savant comme devant être enseignée » (Alpe 200651). Ces pratiques sociales, précisément lorsqu’elles sont liées à la pratique des TICs ou des medias interfèrent directement avec le modèle scolaire, vertical, de légitimation des savoirs. Le curriculum peut refléter non seulement les acquis scolaires de l’individu mais peut donc également intégrer comme éléments constitutifs de son parcours de formation les données de sa vie individuelle et sociale. Cette direction empruntée en grande partie par l’institution elle-même est radicalement inédite qui élargit à l’ « individu » ce qu’elle a, depuis sa création en tant qu’institution républicaine, laïque et obligatoire, délimité à l’ « élève », alphabétisé et parlant français quelles que soient ses origines familiales et régionales (Ozouf 200052). Or, la prise en compte de dispositions ou

d’apprentissages effectués en dehors de l’école repose elle-même, à nos yeux, sur une forme spécifique de compétences s’appuyant « (…) sur la capacité socialement pré- formée, et inégalement répartie, à être scolairement actif et à s’approprier scolairement le temps laissé « libre » » (Lahire 199353). La capacité à s’informer est de celles là.