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II. L’ŒUVRE DANS SON CONTEXTE

2.1. La science-fiction

2.1.1. Qu’est-ce que la science-fiction ?

Nous avons tous une idée plus ou moins précise de ce qu’est la science-fiction. Nous tenterons toutefois de circonscrire précisément cette notion afin de mieux en saisir les implications textuelles et traductionnelles. Selon David Seed (2011 : 1) tout d’abord, il n’existe pas de définition unanimement acceptée de la SF. Et pour cause, il s’agit d’un vaste domaine. D’une part, elle a investi de nombreux supports : la littérature, « le cinéma, la bande dessinée, les séries télévisées et les arts graphiques » (Labbé et Millet, 2001 : 5). Plusieurs théoriciens s’accordent même à dire que la science-fiction n’est pas seulement un genre ou même un mouvement, mais un « champ », tel que l’envisage Pierre Bourdieu dans sa théorie des champs. D’autre part, elle emprunte souvent des caractéristiques propres à d’autres types de texte : le roman d’aventure s’associe avec la rigueur du texte scientifique, faisant parfois intervenir également la légèreté du roman à l’eau de rose, l’intrigue recherchée du polar ou la magie de la fantasy.

Dans ce travail, c’est à la science-fiction en tant que genre littéraire que nous nous intéressons essentiellement. Il convient à ce propos de commencer par préciser qu’elle relève en réalité de la paralittérature, qui s’oppose à la littérature classique, établie et canonique. Marc Angenot (1974 : 10) définit la paralittérature comme « l’ensemble des modes d’expression langagière à caractère lyrique ou narratif que des raisons idéologiques et sociologiques maintiennent en marge de la culture lettrée ». C’est en quelque sorte une littérature plus populaire, qui englobe

notamment le roman policier, le roman d’aventure, le roman-feuilleton, le roman de gare et le roman de science-fiction. Pour autant, la science-fiction et l’ensemble des genres paralittéraires ne sont pas forcément aussi mal écrits qu’on voudrait le croire.

Pour revenir à la définition de la science-fiction même, nous pourrions proposer simplement celle du Grand Robert électronique, qui indique qu’il s’agit d’un « [g]enre narratif faisant intervenir des événements ou un univers imaginaires utilisant des données de la science ou de la technologie contemporaine en les extrapolant notamment par anticipation dans le temps […] ou en les modifiant »8. Nous souhaitons toutefois aller plus loin et nous pencher sur les éléments indispensables qui constituent l’œuvre de science-fiction. La définition du Grand Robert électronique, si elle n’est pas exhaustive, met en lumière trois de ces composantes, que Labbé et Millet (2001 : 9) ont eux aussi répertoriées de leur côté : « les références au futur, à la science, à l’évolution de l’homme et des sociétés humaines ».

Les références au futur : les récits de SF se déroulent presque invariablement dans le futur ou dans une temporalité à caractère futuriste. Toutefois, l’histoire peut tout à fait avoir lieu dans le présent ou le passé. C’est le cas par exemple de l’uchronie, qui narre le déroulement

« alternatif »9 d’événements ayant réellement eu lieu dans notre réalité, ou du steam punk, comme nous le verrons au point 2.1.4.

Les références à la science : la science et la technologie occupent une place qui peut être plus ou moins importante dans le récit. À l’occasion de la table ronde Science et cinéma : la relativité au cinéma (Centre national de la recherche scientifique, 2017), le cinéaste Quentin Lazzarotto expliquait la différence entre ce qu’il a appelé la « science-action » et la « science en action ». Dans la « science-action », la science n’est qu’un prétexte pour mettre en scène une histoire ; « c’est un décor, quelque chose qui nous fait plaisir », explique Lazzarotto. Il cite l’exemple de la saga Star Wars : les aventures des personnages sont le moteur de l’intrigue, l’univers technologiquement évolué qui y est décrit ne fait figure que d’arrière-plan. Dans la « science en action », l’histoire met en scène la science et s’interroge à son sujet ; elle « retrace l’argumentaire scientifique » qui a permis d’arriver à une découverte. Le film Interstellar, qui s’interroge sur la substance de l’Univers, en est l’exemple parfait.

8 http://gr.bvdep.com/robert.asp, consulté le 31 mars 2017.

9 Dans le domaine de la science-fiction, l’adjectif « alternatif » est fréquemment utilisé pour décrire notamment des personnes, des mondes et des univers fictifs, différents, mais fondés sur des personnes, mondes ou univers existant réellement (ou de manière fictive eux aussi). Par exemple, il pourrait exister un univers « alternatif », comme le nôtre, mais dans lequel les dinosaures existeraient encore aujourd’hui ou dans lequel Donald Trump n’aurait pas été élu.

Notons que la plupart des auteurs de science-fiction adoptent une perspective plutôt positive sur la technologie ; pourtant, l’œuvre de SF peut également mettre en garde contre les dangers des progrès techniques, comme la série de films Terminator.

Les références à l’évolution de l’homme et des sociétés humaines : l’aspect sociétal occupe toujours un rôle, même s’il est parfois minime, dans l’œuvre de science-fiction. L’utopie et la dystopie sont les deux types de récit qui s’affrontent sur ce plan. La première met en scène une société imaginaire et idéale, dans laquelle tout va bien ; ce genre peine souvent à éveiller l’intérêt du lecteur, comme l’expliquaient Catherine Dufour et Philippe Curval lors de la conférence Utopie & science-fiction : un pléonasme ? (AOA Production, 2017). La dystopie, elle, dépeint une société également imaginaire, mais souvent inspirée des dérives de la société de l’auteur et qui empêche ses citoyens d’atteindre le bonheur ou les prive de leurs libertés.

Brave new world d’Aldous Huxley en est un exemple bien connu. Toutefois, à l’instar de la science, la société et l’évolution de l’homme peuvent ne jouer qu’un rôle secondaire : nous le voyons par exemple dans des œuvres telles que Do androids dream of electric sheep? de Philip Kindred Dick, qui a inspiré le film Blade Runner.

Enfin, nous avons relevé un quatrième élément constitutif de la SF, suggéré dans la citation d’Asimov présente dans l’introduction de ce travail : la dynamique critique, engagée et parfois même contestataire dans laquelle s’inscrit le genre. Labbé et Millet (2001 : 363-366) ne l’évoquent pas directement en tant que composante fondamentale, mais ne nient pas pour autant le rôle subversif que peut jouer la science-fiction : les auteurs y voient un moyen de dénoncer les abus et les travers de la société ainsi que les risques potentiels qu’elle court. À cet égard, la dystopie ne laisse aucun doute quant à son objectif. Le space opera (cf. 2.1.4.) dépeint souvent un contexte de guerre interraciale, inspiré lui-même de conflits nationaux ou internationaux réels (Langlet, 2015 : 5). L’uchronie permet également de porter un regard critique sur l’Histoire (Labbé et Millet, 2001 : 363). Toutefois, d’autres sous-genres de la SF peuvent également comporter une critique du monde : The Gods themselves, comme nous le verrons au point 2.6., met par exemple en scène deux univers où l’égoïsme mal placé de certains individus bénéficiant d’un statut social élevé pourrait conduire à l’extinction de toute vie, humaine et extraterrestre, dans leurs galaxies respectives ; l’œuvre incite également le lecteur à réfléchir sur sa confiance en nos ressources énergétiques.

Dans la même optique, toujours lors de la conférence Utopie & science-fiction : un pléonasme ?, Catherine Dufour déclarait : « si vous voulez trouver des gens heureux, il ne

faut aller voir ni les écrivains de science-fiction, ni leurs lecteurs, car ce sont des gens qui s’interrogent, qui regardent, qui se posent des questions, qui s’inquiètent » (AOA Production, 2017). Nous retrouvons sous son ton cynique l’esprit critique auquel Asimov et Langlet, pour ne citer qu’eux, font allusion.