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I. LA RÉVISION

1.4. Le processus de révision

1.4.2. Les paramètres de révision

Comme nous l’avons expliqué plus haut (cf. 1.3.), la révision est notamment un acte d’évaluation. Or, pour qu’une évaluation soit jugée valable, non seulement par la personne évaluée, mais aussi de manière unanime, elle doit être impartiale ou, du moins, l’être le plus possible. C’est pour cette raison que les traductologues s’accordent sur l’importance pour le réviseur de travailler sur la base de paramètres définis. Selon Hyang Lee :

Le problème de l’objectivité dans la tâche de révision nécessite dès lors de poser comme condition préalable l’existence de paramètres adéquats, lesquels ne peuvent cependant pas garantir un caractère objectif absolu à l’activité révisante, un certain degré de subjectivité étant inévitable aussi bien dans le domaine de la révision que dans celui de la traduction. (Lee, 2006 : 415)

Les paramètres auxquels elle fait référence sont les « [c]ritères servant à déterminer le degré de qualité d’un texte […] traduit et les modifications éventuelles [à apporter] au texte »

(Horguelin et Brunette, 1998 : 234). Plusieurs auteurs se sont attelés à proposer des paramètres de révision. Par souci de concision, nous ne pouvons évidemment pas tous les répertorier ici. Nous nous contenterons donc de passer en revue le modèle de paramètres de Mossop, celui de Horguelin et Brunette et, enfin, celui de Darbelnet. Les deux premiers sont reconnus en traductologie, tandis que le troisième, bien que plus ancien, s’est penché plus spécifiquement sur la révision littéraire.

Les paramètres de Mossop

Les paramètres de Mossop, au nombre de douze et classés en quatre groupes, sont les plus complexes et les plus détaillés. Hyang Lee (2006 : 417) considère qu’ils sont plus adaptés à l’editing (la révision de textes originaux), car ils mettent selon elle l’accent sur l’aspect matériel du texte (présentation, typographie, etc.). Toutefois, le point fort de la vision de Mossop réside dans les questions qu’il formule pour chaque paramètre afin que le réviseur saisisse bien leur champ d’application. Dans son étude sur les procédures de révision, Isabelle Robert (2012 : 30) propose une synthèse de ces paramètres, qu’elle classe en quatre groupes, comme Mossop. Dans le groupe A, Mossop répertorie deux paramètres qui portent sur les problèmes de transfert de sens (Transfer) :

Exactitude (Accuracy) : La traduction reflète-t-elle le message du texte source ?

Complétude (Completeness) : Des éléments du message ont-ils été omis ?

Dans le groupe B, nous retrouvons également deux paramètres qui concernent les problèmes de contenu (Content) :

Logique (Logic) : Le développement des idées a-t-il du sens ? N’y a-t-il pas de non-sens ou de contradiction ?

Faits (Facts) : Y a-t-il des erreurs factuelles, conceptuelles ou mathématiques ?

Le groupe C compte cinq paramètres relatifs aux problèmes de langue et de style (Language) :

Fluidité (Smoothness) : Est-ce que le texte est fluide ? Les liens entre les phrases sont-ils clairs ? Les relations entre les propositions d’une même phrase sont-elles claires ? Y a-t-il des phrases étranges, diffica-t-iles à lire ?

Adaptation (Tailoring) : La langue est-elle adaptée aux utilisateurs de la traduction et à l’usage qu’ils en feront ?

Langue de spécialité (Sub-language) : Le style est-il adapté au genre ? La terminologie correcte a-t-elle été utilisée ? La phraséologie correspond-elle à celle que l’on retrouve dans des textes cibles non traduits sur le même sujet ?

Idiome (Idiom) : Les combinaisons de mots sont-elles idiomatiques ? La traduction observe-t-elle les préférences rhétoriques de la langue cible ?

Code (Mechanics [sic]) : Les règles de grammaire, d’orthographe, de ponctuation, de style « maison » et d’usage ont-elles été observées ?

Enfin, le groupe D rassemble trois paramètres portant sur les problèmes de présentation physique du texte cible (Presentation) :

Mise en pages (Layout) : La manière dont le texte est disposé sur la page pose-t-elle des problèmes : interligne, retrait, marges, etc. ?

Typographie (Typography) : Y a-t-il des problèmes de formatage du texte : gras, souligné, police de caractères, taille de la police, etc. ?

Organisation (Organization) : Y a-t-il des problèmes dans l’organisation générale du texte : pagination, en-tête, notes en bas de page, table des matières, etc. ?

Pour plus de lisibilité, Isabelle Robert propose un schéma récapitulatif de ces paramètres :

Fig. 3 : Schéma des paramètres de Mossop proposé par Isabelle Robert (2012 : 31)

Les paramètres de Horguelin et Brunette

Le modèle de paramètres de Horguelin et Brunette, présenté dans la troisième édition de Pratique de la révision, est également très populaire parmi les traductologues ; Mossop s’en est d’ailleurs inspiré pour établir ses propres paramètres. Nous avons décidé de reprendre ces paramètres et non ceux de la 4e édition de Pratique de la révision de Horguelin et Pharand, car, bien que cette dernière soit plus récente, les paramètres qui y sont présentés sont les mêmes que ceux de la 2e édition, qui date de 1985. Horguelin et Brunette relèvent donc cinq paramètres, plus génériques que ceux de Mossop et « qui englobent la réalité de la pratique révisante, sans la compliquer outre mesure » (Robert, 2012 : 32) :

1. Exactitude – La première qualité que l’on doit exiger d’une traduction est qu’elle soit fidèle, c’est-à-dire qu’elle transmette intégralement et exactement le message du texte de départ. Il s’agit donc ici d’une fidélité au sens. Cette qualité est absente lorsque la transmission

est nulle (non-sens et charabia), faussée (contresens, faux sens), partielle (omissions non justifiées) ou « brouillée » (termes imprécis et nuances non rendues). En révision unilingue, il s’agit de s’assurer que l’auteur a dit ce qu’il voulait dire.

2. Correction – Ce paramètre permet de vérifier que le code linguistique a été respecté. Il concerne notamment l’orthographe d’usage et d’accord, les barbarismes, solécismes, etc. On n’oubliera pas que la correction peut varier en fonction des niveaux de langues. C’est ici qu’interviennent plus particulièrement les notions de norme et d’usage.

3. Lisibilité – Ce paramètre correspond aux critères de « transparence » (révision bilingue) et de « caractère idiomatique » (révision unilingue). Il rend compte de la démarche de la langue et vise à assurer la facilité de compréhension d’un énoncé. C’est donc la qualité stylistique du texte et sa valeur communicationnelle qui sont ici en jeu. On peut utiliser comme pierre de touche la trilogie traditionnelle – logique, clarté, concision – à la lumière des théories de l’information en ce qui concerne notamment le choix des mots, les cooccurrents, la redondance ainsi que la structure, la longueur et l’articulation des phrases (v. 2.3).

4. Adaptation fonctionnelle – Le paramètre de l’adaptation fonctionnelle permet de vérifier si le bon registre de la langue a été utilisé : tonalité neutre ou affective, langue écrite ou parlée, commune ou spécialisée, niveau littéraire, soutenu, familier… Ce paramètre peut porter sur l’ensemble de l’énoncé (texte humoristique) ou seulement sur une partie (passage du niveau soutenu au niveau familier : dialogue ou citation). Les communicateurs doivent « moduler » le message en fonction de son destinataire. Avant tout, il faut s’assurer que la réaction ne sera pas négative (incompréhension, indignation, ironie). L’adaptation fonctionnelle est particulièrement importante en révision bilingue, en raison de divergences entre faits de culture.

5. Rentabilité – Devant chaque texte à réviser, il importe de se demander si l’état du texte à revoir ne va pas exiger plus de temps et d’efforts que la réécriture à neuf ou la retraduction pure et simple. Il existe en effet des textes dont la médiocrité rend impossible toute révision efficace. Le réviseur a le devoir de les refuser, car, en pareils cas, la révision n’aboutit qu’à des résultats négatifs : 1° l’opération n’est pas rentable; 2° la qualité du produit fini n’est jamais satisfaisante; 3° la réputation du réviseur peut être compromise (il ne sera jugé qu’en fonction du texte révisé).(Horguelin et Brunette, 1998 : 36-37)

Nous constatons que, si les quatre premiers paramètres renvoient à des critères déjà mentionnés par Mossop, Horguelin et Brunette soulèvent en outre l’importance de la rentabilité. Mossop a préféré traiter cet impératif en tant que principe de révision (cf. 1.4.5).

Les paramètres de Darbelnet

Jean Darbelnet s’est intéressé aux paramètres de révision en axant son étude essentiellement sur des textes littéraires. À l’inverse, les deux modèles de paramètres de Mossop et de Horguelin et Brunette portent majoritairement sur la révision de textes à caractère pragmatique5 (Lee, 2006 : 416). C’est pourquoi nous abordons les paramètres de Darbelnet en dernier, même s’ils sont plus anciens.

5 Louise Brunette (2000 : 170) définit les textes pragmatiques comme suit : « [p]ragmatic texts, or general texts, are any contemporary non-literary documents intended for readers who share certain common interests but not

Darbelnet énumère ses sept paramètres sous forme de questions : 1. Le sens est-il exact, sur les plans global et organique ?

2. La langue d’arrivée est-elle idiomatique et astreinte à la propriété des termes ? 3. La tonalité est-elle respectée ?

4. Les différences de culture sont-elles observées ?

5. Les allusions littéraires et folkloriques sont-elles traitées judicieusement ?

6. Est-il tenu compte des intentions de l’auteur de façon à ce qu’elles ne s’extériorisent pas dans le discours ?

7. La traduction est-elle adaptée à son destinataire ? (Darbelnet, 1977 : 16)

Nous constatons que plusieurs paramètres se recoupent avec ceux présentés dans les deux modèles précédemment abordés. Lee fait toutefois remarquer que « [l]es paramètres 4 (faits de culture) et 5 (allusions littéraires et folkloriques) seront pertinents dans le cas des textes littéraires ou culturels, mais sans utilité pour des textes plus pragmatiques » (Lee, 2006 : 416).

À notre avis, les paramètres 3 (tonalité) et 6 (intentions de l’auteur) jouent également un rôle crucial en traduction littéraire, par exemple lorsque le texte source comporte des traits d’ironie ou des jeux de mots, ou un style narratif particulier.

Conclusion

En conclusion, nous estimons que le réviseur a tout intérêt à choisir des paramètres adaptés à son texte et à sa tâche, quitte à piocher ceux qui l’intéressent dans différents modèles ou à en créer lui-même. Nous constatons toutefois que, dans la pratique, les réviseurs littéraires ne s’appuient pas forcément sur des paramètres. Notre rencontre avec Sylvie Denis nous a d’ailleurs appris qu’elle n’a pas utilisé de paramètres précis, mais qu’elle a suivi son intuition (cf. annexe 1). Les autres témoignages disponibles en annexe aboutissent globalement à la même conclusion. Nous supposons que ce phénomène est dû au fait que la révision littéraire est un domaine encore récent et très peu réglementé. Nous apporterons de nouveaux éléments concernant les paramètres de révision littéraire après notre analyse de la traduction révisée au chapitre III (cf. 3.6).

En outre, les paramètres ne sont pas les seuls éléments à prendre en compte pour cibler la tâche de révision. Hyang Lee place ainsi les paramètres et les principes de révision (cf. 1.4.5.) sur le même plan, expliquant que, si les premiers constituent une base de jugement pour le réviseur, les seconds peuvent le renseigner sur la méthodologie à suivre. De plus, selon

necessarily specialized knowledge ». Elle ajoute qu’ils ne comprennent pas les types de texte spécifique, tels que les lettres à caractère commercial, les rapports financiers, les recettes ou les minutes.

Mossop (2014 : 121), le réviseur est également guidé dans sa tâche par les instructions du client.