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III. ANALYSE DE LA TRADUCTION RÉVISÉE

3.3. Le versant littéraire

3.3.1. Analyse du paratexte

Le paratexte, c’est-à-dire l’« [e]nsemble des éléments éditoriaux qui accompagnent un texte publié et qui orientent la lecture (titre, dédicace, préface, notes, etc.) »25, permet au lecteur de se faire une première opinion du roman. Irène Langlet (2006 : 50) écrit d’ailleurs que le paratexte du roman de science-fiction, qu’elle restreint toutefois à la quatrième de couverture, influence la manière dont le lecteur conçoit l’œuvre, dans une plus grande mesure que pour une œuvre réaliste. De son côté, Hewson (2017b : 10 et 16) estime qu’il permet au critique d’établir des hypothèses sur les résultats de l’analyse au niveau macrostructurel.

25 http://gr.bvdep.com/robert.asp, consulté le 27 juin 2017.

Nous exposerons nos observations concernant la préface, l’épigraphe et les titres des trois parties de l’œuvre, qui présentent des différences entre la version originale et les traductions.

Préface

Dans les deux versions françaises, le début du roman s’ouvre sur une préface intitulée « Une introduction circonstanciée », retranscrite dans l’annexe 5. Le lecteur y découvre les circonstances de l’écriture de The Gods themselves, vraisemblablement exposées par l’auteur, ainsi qu’une dédicace à Robert Silverberg. La traduction révisée présente strictement la même introduction que la première traduction, ce qui veut dire que Sylvie Denis ou les éditions Gallimard ont choisi de garder telle quelle cette « introduction circonstanciée » et, surtout, que celle-ci était déjà présente dans la traduction de Jane Fillion, parue une année seulement après la version originale.

Contre toute attente, cependant, cette préface n’apparaît ni dans l’édition originale de Bantam, ni dans celle de Panther. Ainsi, son origine en français reste un mystère ; nous n’avons pas pu vérifier si elle se trouve dans d’autres éditions anglaises, mais il est bien mentionné dans l’édition de Bantam que celle-ci contient le texte intégral de la première version hardcover.

Ainsi, nous pourrions penser que Denoël a créé cette préface de toutes pièces. Toutefois, la préface française comporte des éléments typiques du style d’Asimov, comme des propositions entre parenthèses (cf. 3.3.2.). Nous supposons donc que ce texte a bien été écrit par l’auteur et qu’il était présent dans une autre édition anglaise que celles que nous avons pu consulter. Par ailleurs, il convient de noter que la toute dernière partie de la préface est tout de même présente en anglais sous forme d’une note de bas de page résumée. Nous avons signalé en gras les nombreux ajouts opérés dans les versions françaises, qui marquent ce que Hewson (2017e : 13) appelle un accroissement du texte :

Asimov, p. 3 (note de bas de page) Fillion, p. 10 et Denis p. 12 Author’s Note: The story starts with section 6. This is

not a mistake. I have my own subtle reasoning. So, just read, and enjoy.

Au fait, j’oubliais. Le récit débute par le chapitre 6.

Ce n’est nullement une erreur. J’ai eu, pour agir ainsi, de très subtiles raisons. Lis donc mon récit tel qu’il se présente, cher lecteur. J’ose espérer que tu y prendras quelque plaisir.

Dans l’édition de Panther/Granada, cette note n’apparaît pas en bas de page, mais au tout début du roman, juste après l’épigraphe. La toute dernière phrase y est légèrement plus travaillée que dans l’édition de Bantam : « The story starts with section 6. This is not a mistake. I have my own subtle reasoning, so just read and, I hope, enjoy. » Nous ne connaissons et ne comprenons pas la raison de ce changement.

Cette introduction donne au lecteur francophone une impression de proximité avec Asimov.

En expliquant le contexte d’origine de son roman, il crée un lien avec son lecteur, qu’il invite ensuite chaleureusement à lire son récit. Le lecteur anglophone, lui, commencera la lecture d’un regard plus neutre.

Épigraphe

À défaut d’une préface, les deux éditions originales présentent une épigraphe sous forme de dédicace :

Asimov, p. vi (Bantam) Asimov, (Panther) Denis, p. 9

To mankind, and the hope that the war against folly may someday be jour peut-être nous remporterons la guerre contre la folie des hommes

Nous n’avons pas trouvé cette épigraphe dans la traduction de Jane Fillion. Ainsi, même si nous notons un léger changement de perspective dû à l’utilisation de la première personne du pluriel, Sylvie Denis (ou l’éditeur) a remédié à cette omission.

Titres des parties

Comme nous l’avons relevé au point 2.2.1., les titres des parties du roman font référence à la citation de Friedrich Schiller. Nous les avons recopiés ici, tels qu’ils apparaissent au début de chaque partie, en gardant la typographie exacte :

Asimov, p. 1, 67, 169 Fillion, p. 13, 85, 199 Denis, p. 13, 109, 255

TROISIEME PARTIE : … luttent en vain

PREMIERE PARTIE : Contre la stupidité…

DEUXIEME PARTIE : … les Dieux eux-mêmes…

TROISIEME PARTIE : .. luttent en vain

Nous commencerons par commenter le nombre élevé d’erreurs typographiques de la version de Jane Fillion : l’emploi de majuscules et la typographie des points de suspension (emplacement et espacement) ne sont pas harmonisés. En revanche, malgré une coquille dans les points de suspension du troisième titre, la version de Sylvie Denis est beaucoup plus uniforme.

En outre, dans les deux traductions françaises, les titres des parties apparaissent également dans l’en-tête de chaque page de droite de la partie correspondante. Dans l’en-tête de la page de gauche, c’est le titre du roman qui est repris. Dans les deux versions, la typographie est uniformisée et correcte pour tous les titres ; nous constatons toutefois que dans l’en-tête de la

version de Jane Fillion, le titre du roman est écrit avec des points de suspension alors qu’il n’y en a ni sur la couverture ni ailleurs : « LES DIEUX EUX-MEMES… ».

Nous précisons par ailleurs que les titres des chapitres de l’édition Denoël comportent également des erreurs typographiques, par exemple « (Chapitre 6, fin) » au lieu de « Chapitre 6 (fin) » à la page 57. Ces erreurs ont été corrigées dans la traduction révisée.

Le réel problème de la traduction des titres des parties réside dans l’omission du point d’interrogation à la fin du troisième titre dans les versions françaises. Joseph Patrouch nous éclaire sur la présence du point d’interrogation :

[The fact that the novel was too long] suggests the possibility of a three-part novel: (I)

“Plutonium-186”, (II) the para-men, and (III) men and para-men together solving their problems. The aliens are clearly associated in Asimov’s mind with the middle phrase of the Schiller quote, “the gods themselves”. In “Plutonium-186” Lamont has fought against the stupidity of the Establishment and failed. What more natural than to retitle the first section

“Against Stupidity”? Only now a problem arises: The last part of the quote doesn’t fit very well, because in the expanded version the solar system is eventually to be saved. It will not ultimately be a “vain” contest. So Asimov simply adds a question mark to the last title […]

(Patrouch, 1974 : 266)

Le lecteur qui n’est pas très attentif n’y verra que du feu ; nous avons nous-même compris tardivement la présence du point d’interrogation. Néanmoins, les deux traductrices ont omis un élément qui altère l’interprétation des sous-titres dans le texte traduit. Sans le point d’interrogation, la phrase de Schiller perd de son sens dans le contexte du roman.

Bilan

L’effet général des éléments paratextuels sur le lecteur est double. D’une part, le lecteur francophone a une tout autre représentation que le lecteur anglophone de l’identité d’Isaac Asimov : en français, l’auteur semble sûr de lui, charismatique, cultivé, tandis qu’en anglais, on commence la lecture sans avoir été « en contact » avec l’auteur. D’autre part, le lecteur anglophone a plus de chances de saisir la présence du point d’interrogation dans la référence à Schiller.

En outre, le lecteur de la première traduction est confronté à plusieurs erreurs typographiques.

Dans la traduction révisée, la quasi-totalité des fautes a été corrigée, ce qui rend la lecture nettement plus agréable. Le lecteur anglophone, lui, ne rencontre presque pas de coquilles tout au long du texte.