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I. LA RÉVISION

1.1. Désambiguïsation

La traductologie reste vague sur les notions de révision et de retraduction. De manière générale, les ouvrages ne s’accordent pas sur l’emploi du vocabulaire relatif aux procédés dérivés de la traduction : il n’est pas rare qu’un terme ne soit pas clairement défini ou ait une signification différente selon l’auteur, ou que plusieurs termes soient utilisés pour se référer à un même concept. Dans nos recherches, nous avons pu observer que « retraduction »,

« révision » ou « editing » sont des termes souvent employés à mauvais escient. Isabelle Robert (2012 : 9) dénonce un « flou terminologique », tandis que Liliane Rodriguez (1990 : 64) invoque une tendance à la « polymorphie ».

1.1.1. La retraduction

La retraduction est un concept ambigu. De manière générale, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’un « sous-phénomène de la traduction », comme le suggère Liliane Rodriguez (1990 : 63).

2 Par souci de concision, nous désignerons dans ce travail la révision de traductions littéraires sous le terme de

« révision littéraire », pour la distinguer de la révision en tant que processus correctionnel, que nous nommerons

« activité révisante ». Lorsque la distinction n’a pas besoin d’être faite ou que la signification va de soi, nous nous permettrons de parler plus sobrement de « révision ».

Pour aller plus loin, nous avons répertorié trois significations différentes pour le terme de

« retraduction ». En premier lieu, dans le Grand Robert électronique, nous pouvons lire la définition suivante : « [t]raduction d’un texte lui-même traduit d’une autre langue »3. Ce type de traduction, réalisé par l’intermédiaire d’un « texte-pivot », est également appelé

« traduction par relais ». Yves Gambier (1994 : 413) explique que cette pratique n’est pas rare et qu’elle permet principalement « l’accès à des cultures peu répandues – par exemple un ouvrage en arabe égyptien rendu en finnois via une version anglaise ».

Nous constatons toutefois que, dans divers articles et textes consacrés à ce sujet, le terme

« retraduction » est employé en tant que synonyme de « rétrotraduction », procédé « qui consiste à traduire de nouveau une traduction vers sa langue de départ » (Gambier, 1994 : 413). Le Neveu de Rameau de Diderot, traduit en allemand par Goethe, puis retraduit en français par ignorance, est un exemple souvent cité dans l’histoire de la rétrotraduction.

Enfin, Gambier (1994 : 413) relève un troisième sens : il écrit que « la retraduction serait une nouvelle traduction, dans une même langue, d’un texte déjà traduit, en entier ou en partie ».

C’est cette dernière acception qui nous concerne dans le cadre de ce travail. Şehnaz Tahir Gürçağlar (2009 : 233) ajoute que la retraduction renvoie à la fois à l’acte de retraduire et à son résultat, c’est-à-dire au texte retraduit. Pour compléter cette définition, nous nous appuyons sur les propos d’Elisabeth Tegelberg, qui souligne les différences entre traduction et retraduction :

[G]râce au temps qui s’est écoulé depuis la première traduction, le retraducteur bénéficie de la distance qui lui permet de se faire du texte d’origine une vue plus globale et plus approfondie.

Il dispose également d’une ou de plusieurs traductions antérieures et, dans bien des cas, de comptes rendus et d’études faits à propos de cette/ces traduction/s. De même, de nouvelles connaissances sur l’époque où la première traduction a été effectuée peuvent contribuer à de nouvelles prises de position susceptibles d’être utiles au retraducteur. (Tegelberg, 2011 : 455) Ainsi, selon elle, la retraduction relève d’un travail plus éclairé, plus mûr, que la traduction, qui est faite à « chaud », pour reprendre la terminologie d’Isabelle Vanderschelden (2000 : 9).

De nombreux spécialistes suggèrent également que la retraduction respecte davantage le texte source. C’est le cas de Paul Bensimon, qui allègue que « [l]a retraduction est généralement plus attentive que la traduction-introduction, que la traduction-acclimatation, à la lettre du texte-source, à son relief linguistique et stylistique, à sa singularité » (Bensimon. 1990 : X).

3 http://gr.bvdep.com/robert.asp, consulté le 14 février 2017.

Antoine Berman (1990 : 3) va jusqu’à affirmer qu’une retraduction est « une grande traduction » et qu’elle est plus proche de la perfection qu’une première traduction.

1.1.2. La révision littéraire

Comme nous l’avons signalé plus haut, la révision et la retraduction sont deux activités différentes, qu’il ne faut donc pas confondre. Bryan Mossop constate que l’erreur est pourtant commune :

In literary translation, situations arise when the term ‘revision’ (in the sense of correction or improvement of a translation) should be used but isn’t. A publisher may bring out a ‘new translation’ of Proust, but it is not really freshly translated from the French; it is a revision of a previously published translation, which is treated as a draft. (Mossop, 2014 : 117)

Et pour cause, comme l’écrit Tegelberg (2011 : 466), « il n’est pas toujours évident de tracer la limite entre une retraduction et une révision d’une traduction ». Outi Paloposki et Kaisa Koskinen (2010 : 45-46) ont d’ailleurs recensé plusieurs cas de « retraductions » qui sont en réalité des révisions et inversement. Afin de définir l’activité de révision et de la distinguer de la retraduction, nous nous appuierons sur les quelques travaux rédigés sur le sujet ainsi que sur l’expérience de traducteurs.

Paul Bensimon (2008 : 80), tout d’abord, écrit que la révision « est un type de retraduction qui ne dit pas son nom ». Une première constatation s’impose : si la révision s’apparente bien à la retraduction, elle ne jouit pas pour autant du même statut. D’ailleurs, il apparaît que les éditeurs préfèrent vanter une « retraduction » ou une « nouvelle traduction », mentions plus accrocheuses, qu’une « traduction révisée ».

Isabelle Vanderschelden, dans une approche plus pragmatique, décrit en quoi consiste concrètement la tâche de la révision : « [revision] involves making changes to an existing TT [target text] whilst retaining the major part, including the overall structure and tone of the former version » (Vanderschelden, 2000 : 1).

Elisabeth Tegelberg fournit une description encore plus approfondie :

Il arrive qu’il soit indiqué de faire une révision de la traduction déjà existante au lieu d’entreprendre une retraduction au sens propre du terme. Une telle révision peut s’imposer au cas où la traduction déjà faite ne contient qu’un nombre limité d’erreurs ou de choix peu réussis au niveau du style, n’étant pas trop compliqués à corriger et ne se situant pas au niveau textuel (cf. Vanderschelden 2000: 3). Le fait d’opter pour une révision plutôt que pour une retraduction implique qu’on attribue à la traduction existante de telles qualités que celle-ci doit être essentiellement conservée malgré la présence d’expressions et de formules considérées comme moins bien choisies. Danc [sic] ce cas-là, c’est souvent le facteur temps qui est à

l’origine de la révision, ayant donné lieu à des modifications dans l’usage de la langue et dans les conditions socio-culturelles des lecteurs. (Tegelberg, 2011 : 466)

Ainsi, Tegelberg confirme que la révision est bien un processus analogue à la retraduction.

Nous constatons toutefois que, si ces tâches sont toutes deux nécessairement consécutives à une première traduction, seule la révision s’appuie directement sur le texte de cette première traduction. Rien n’empêche pour autant le retraducteur de consulter les versions précédentes s’il le désire (Vanderschelden, 2000 : 4). Tegelberg nous fait également remarquer que la révision intervient sur une traduction jugée relativement correcte, avec des passages de qualité et une minorité de modifications à apporter. Vanderschelden est du même avis et souligne le caractère « recyclable » de la traduction initiale :

[Revision] can embrace a wide variety of alterations ranging from simple copy-editing to extensive rewriting, and it normally takes place if the existing version contains a limited number of problems or errors, such as inaccuracies, mistranslations, or stylistic infelicities.

The TT has flaws, but it is still worth ‘recycling’. (Vanderschelden, 2000 : 1-2)

James Grieve, à l’occasion de la table ronde au sujet des retraductions de Proust, donne son point de vue sur les situations (rares selon lui) dans lesquelles on peut procéder à une révision :

Il existe des traductions qui se prêteraient très facilement à cette opération [la révision].

Surtout s’il s’agit de textes clairs, simples, dont la première traduction a été bien faite, où le premier traducteur n’a pas commis de grossières erreurs de compréhension, où le style ne pose pas à chaque page de problèmes sériels, multiples, profonds, où il est question de rectifier des défauts bien précis, d’éliminer tel contresens, de remplacer tel adjectif par tel autre, bref d’opérer des interventions microchirurgicales visant des vocables particuliers. Ainsi, la traduction anglaise de l’Étranger de Camus, que publie en 1946 Stuart Gilbert, traducteur chevronné, membre de l’équipe qui, avec Valery Larbaud et d’autres, avait entrepris pendant les années trente la traduction française de l’Ulysse de James Joyce ; sa version de l’Étranger se prêterait à merveille à la révision. Il suffirait de rectifier vingt-cinq contresens et une demi-douzaine de fautes d’impression ou d’erreurs de transcription, de bien comparer, phrase par phrase, le texte traduit avec l’original, et de traduire en anglais deux expressions : "café au lait" et "de trop", qui subsistent dans le texte anglais. Et voilà, passez muscade, pour deux ou trois heures de travail au niveau le plus élémentaire, la révision est faite. (Monod et Jaujard, 1991 : 41)

Jean Gattegno précise toutefois que ce cas, où la traduction initiale est proche de la perfection et qu’une révision minimaliste est suffisante, est rarissime (Monod et Jaujard, 1991 : 60).

En résumé, bien que la révision et la retraduction soient similaires, leur degré de remaniement varie et les modifications adoptées ne sont pas de même nature. Les spécialistes ne s’accordent toutefois pas précisément sur les modifications qui relèvent de la retraduction et celles qui appartiennent à la révision. Paloposki et Koskinen, elles, préfèrent ne pas tirer de conclusions universelles et laissent le débat ouvert :

Do “orthographic” corrections go under the process of revising, while “stylistic” corrections would merit the title of retranslation? […] A minimalist revision might only entail few orthographic improvements; at the other end of the continuum the text is entirely reworked so that it blurs the dividing line between revision and retranslation. (Paloposki et Koskinen, 2010 : 44)

Tout comme elles, nous sommes incapable de dégager des critères précis qui permettraient de déterminer avec exactitude où le terme de révision ne convient plus et où intervient la nécessité de parler de retraduction. De nombreux facteurs entrent en jeu et, bien souvent, il faut tenir compte d’éléments externes à la traduction initiale, tels que des motifs éditoriaux, ce qui rend cette distinction extrêmement complexe. Nous nous contenterons donc, dans ce travail, d’établir la limite en reprenant la métaphore de Vanderschelden, selon laquelle la révision s’opère sur un texte « recyclable ».

Pour terminer, nous ajouterons que les auteurs semblent souvent faire une distinction implicite des tâches de révision et de retraduction selon qu’elles s’appliquent au texte intégral ou seulement à une petite portion du texte. Ainsi, dans le cadre d’une traduction révisée, le réviseur peut devoir procéder à la « retraduction » d’une phrase ou d’un passage. Cela ne fait pas pour autant de son travail une retraduction au sens large du texte.

1.1.3. L’activité révisante

Si la traductologie reconnaît l’existence de la révision littéraire et décrit certains de ses aspects théoriques, comme nous venons de le voir, elle ne semble pas faire mention d’une procédure à suivre pour réviser de manière systématique une traduction d’œuvre littéraire.

Toutefois, lors de nos recherches, nous avons constaté que la révision littéraire semble s’appuyer sur les règles de l’activité révisante ; du moins, rien n’indique le contraire. De ce fait, nous prendrons pour base de travail la théorie relative à l’activité révisante et déterminerons, en nous appuyant également sur nos propres constatations, les principes à respecter et la procédure à suivre pour réviser une traduction littéraire. Dans cette optique, nous commencerons par expliquer sommairement en quoi consiste cette activité révisante.

De façon très générique, le Grand Robert électronique définit la révision comme l’« amélioration (d’un texte) par des corrections »4. Cette première définition dépasse notre champ d’étude et nous amène donc à reprendre la distinction communément faite entre la révision bilingue, c’est-à-dire la révision des traductions, et la révision unilingue, qui

4 http://gr.bvdep.com/robert.asp, consulté le 15 février 2017.

concerne les textes originaux (Horguelin et Pharand, 2009 : 3). Brian Mossop, bien qu’en d’autres termes, définit ces deux concepts de la manière suivante :

[R]evising means reading a translation in order to spot problematic passages, and making any needed corrections or improvements. Editing is this same task applied to texts which are not translations. (Mossop, 2014 : 1)

La révision bilingue, celle des traductions, que Mossop nomme simplement « revision », est donc celle qui nous intéresse ici.

Dans ce contexte, la définition donnée par le Comité européen de normalisation (2006 : 5) vient spécifier la tâche de la révision : « examiner une traduction pour vérifier son adéquation avec l’objet convenu, comparer le texte source (2.13) et le texte cible (2.15) et recommander des mesures correctives ». Nous soulignons toutefois que, selon son mandat, le réviseur peut être amené à modifier directement le texte, comme l’écrit Mossop, plutôt qu’à notifier au traducteur les passages à corriger. C’est majoritairement le cas en révision littéraire.

En outre, la plupart des auteurs s’accordent sur l’importance de faire une distinction supplémentaire, à savoir entre la révision et l’autorévision, également appelée relecture (Horguelin et Pharand, 2009 : 4) ou vérification (Comité européen de normalisation, 2006 : 10). Ces deux activités obéissent en effet à des besoins et des procédures différents.

Ainsi, pour résumer, la révision telle que nous l’entendons dans ce travail est à la fois un acte de relecture de la traduction, incluant une comparaison entre le texte source et le texte cible, et un acte de correction, voire d’amélioration, effectués par une personne autre que le traducteur.

Nous soulignons le fait que l’activité révisante intervient « sur un produit considéré comme non fini et fait donc partie intégrante du processus de production de la traduction » (Robert, 2012 : 15). En revanche, la révision littéraire intervient sur un produit fini.