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PARTIE – 2 – MÉTHODOLOGIE – UN PROJET DE RECHERCHE CRÉATION

2.3 Qu'est-ce que la recherche création en architecture?

Comme il est écrit à la fin de la précédente section de cette thèse, il sera question dans celle-ci, de nous positionner par rapport à l'ensemble des postulats liés à la recherche création, aux théories issues des sciences de l'éducation et aux réflexions menées sur les théories en design. Nous allons alors revenir sur les différents principes que soutiennent ces doctrines et comprendre en quoi elles nous permettent d'avancer dans notre propre cheminement théorique et méthodologique.

Sachant que cette thèse s'insère dans un laboratoire de recherche situé dans une école d'architecture, nous allons ensuite explorer de quelles manières il est possible de faire de la recherche création en architecture, voire dans une thèse en architecture. En d'autres termes, que veut dire faire de la recherche création dans le cadre d'une thèse en architecture? Certains éléments de réponse feront donc fi de points de vue divergents du nôtre. Nous élaborons ici simplement les éléments qui guideront par la suite notre pensée méthodologique et réflexive. Les divers arguments ayant d'ores et déjà été démontrés dans la première section de ce chapitre.

À travers notre compréhension des diverses lectures sur la recherche création, différents postulats liés à celle-ci nous interpellent. Tout d'abord, elle permet de rendre compte de la complexité des problématiques rencontrées en art touchant une multiplicité d'acteurs. Des problématiques complexes dans le sens que la recherche création permet de gérer des problèmes uniques, instables, incertains, liés à une subjectivité avouée et enrichissante ainsi qu'à une dimension sociale, de par son caractère public, voire politique et critique.

Or, cette mise à l'épreuve sociétale demande la création, la production d'une œuvre originale qui s'insère dans la sphère publique. Cet artéfact est le point central qui distingue la recherche création des autres types de recherches. Celui-ci permet d'instaurer une tentative de réconciliation entre la théorie et la pratique, à savoir que ces deux pôles de connaissances ne sont pas totalement opposés. La production est présentée par certains comme suffisante à la recherche, c'est-à-dire que l'œuvre constitue la recherche en soi et le simple fait de passer par un processus de création permet

d'affirmer ce statut31. D'autres ont plutôt tendance à mettre en avant l'idée que « ce qui fait recherche », correspond à la réflexion qui s'opère en rapport avec le cheminement, le processus à travers lequel l'artiste-chercheur s'engouffre en faisant un acte de création. Le résultat serait donc textuel, accompagnant la production tel un complément réflexif sur diverses thématiques liées, soit aux processus de création ou à une particularité de la pratique artistique sur laquelle l'artiste-chercheur tente de trouver une réponse. Finalement, la dernière façon de considérer la production d'une œuvre originale à l'intérieur d'une recherche, va de paire avec l'idée que cette création devient un élément clé dans la production de connaissances et ne se limite donc pas à la seule production d'une œuvre artistique dont l'objectif serait plutôt à saveur esthétique. Elle est alors considérée comme un outil méthodologique permettant non pas de valider des théories, mais de les mettre à l'épreuve dans des situations concrètes afin d'en connaître la teneur effective. Cette avenue nous semble plus pertinente afin de faire avancer la connaissance. C'est pourquoi nous avons choisi d'en entériner les principes dans cette thèse.

En ce qui nous concerne, la création intégrée à la recherche, nous servira de moyen afin de transformer notre terrain d'investigation et ainsi pouvoir mener nos expérimentations et nos observations. La recherche création permet donc de mettre en place une méthodologie qui allie expérimentations et conceptualisations. Ces deux phases sont ainsi jointes par la création d'un outil méthodologique installé dans un contexte particulier et qui permet d'apporter de nouvelles connaissances. L'emploi du temps de l'artiste-chercheur oscille ainsi entre des moments de création, d'expérimentations sur le terrain et d'autres d'analyses et de théorisation.

Nous ne considérons pas la recherche création comme celle où le dessein serait celui de produire une œuvre artistique se suffisant à elle-même et qui aurait donc comme objectif d'acquérir une certaine valeur esthétique. La recherche création est pour nous celle qui au travers de la création d'un « objet » quelconque, implanté dans un contexte réel, permet de transformer des situations ordinaires et d'agir tel un levier afin de révéler des aspects cachés de l'expérience sensible. Nous adoptons ainsi la définition que Lysianne Léchot Hirt (2008) donne de la recherche création après avoir mené une vaste investigation auprès des acteurs de la recherche création, les questionnant précisément sur ce qu'est la recherche création.

« Research creation, basically defined as research activities, in design and in art, which incorporate the creation process (or the conception process) in a research

31 C'est le cas des artistes et chercheurs du CalArts (California Institute of the Arts) qui soutiennent que tous projets d'art sont des projets de recherche création.

process » (Léchot Hirt, 2008; 151)

Cet enthousiasme porté par la recherche création, concernant la mise en valeur dans la recherche scientifique d'une part significative de pratique – car il s'agit bien de cela – a aussi été étudiée et théorisée dans d'autres domaines professionnels comme nous avons pu l'écrire. En effet, certains penseurs issus des sciences de l'éducation – c'est d'ailleurs en partie de ceux-ci que les chercheurs-créateurs se sont inspirés – ont permis de mettre à jour différents concepts qui nous seront utiles. D'une part, les méthodes ethnographiques qu'ils utilisent, tant du côté d'Elbaz que de celui de Leinhardt ou de Munby, nous indiquent de quelles manières il nous est possible de saisir un savoir pratique en train de se produire et surtout qu'il en existe bien un. D'autre part, un concept comme celui de la « métaphore du praticien » nous permet de déceler dans le langage du praticien des indices, des catégories de métaphores qui peuvent ainsi être reliées à des compétences issues de leurs expériences pratiques.

Ces théories nous amènent à celles développées par les théoriciens en design qui ont su montrer de quelles manières les designers procèdent afin d'en arriver à leurs fins. Dans un premier temps, fortement ancrées dans les principes cartésiens de la rationalité et de la logique, œuvrant à la manière des ingénieurs, les méthodes étaient alors axées sur la résolution de problèmes (pratique ou théorique). Graduellement, un glissement méthodologique s'est effectué, allant vers une conception plus nuancée du processus méthodologique. La complexité des problématiques dont les designers ont à s'occuper ne peut être résolue par l'intermédiaire d'une unique pensée rationnelle. Elles reposent donc sur la capacité des designers à s'adapter à cette instabilité, à cette incertitude et à adopter des méthodes plus flexibles. C'est ainsi qu'ont été développées celles du « wicked problem » et du « primary generator » qui ne concentrent plus leur attention sur la recherche de « la » solution, mais tentent plutôt, par le biais d'expérimentations, de tester différentes solutions afin de trouver la plus satisfaisante.

Ces deux modèles de la recherche en design, dessinent la voie à l'une des conceptions sur l'importance et la compréhension du savoir pratique à laquelle nous adhérons dans cette thèse, c'est-à-dire celle de la théorie en action et sur l'action développée par Schön. Les méthodes utilisées par le designer, créateur ou concepteur, peu importe le nom que nous lui donnons, ne sont plus celles suivant le paradigme rationnel, mais épousent désormais celui d'un tournant réflexif. Il s'agit alors d'une recherche qui se construit, dans un premier temps, directement dans la pratique et dans un second, qui réfléchit sur cette même pratique, pour enfin revenir sur le terrain de la pratique. C’est un modèle itératif qui varie en termes de temporalité et de durée selon la profession dont il est

question. Cette démarche nous semble intéressante car elle permet de rendre compte du savoir qui émerge de la pratique, du fait d'en interroger les tenants et les aboutissants à même l'action en train de se faire et ultérieurement, et à une autre échelle, sur l'ensemble d'une situation pratique dans laquelle le praticien aura acté.

Ces points étant désormais clarifiés, reste maintenant à répondre à la question qui fait office de titre de cette partie de la thèse à savoir, qu'est-ce que la recherche création en architecture ? C'est-à-dire, quels liens tissons-nous entre ces théories, ces concepts, ces méthodes et notre sujet de thèse qui, de son côté, s'intègre dans un contexte de recherche doctorale en architecture? Même s'il ne s'agit en aucun cas du pourquoi précisément de cette thèse, nous croyons nécessaire d'éclaircir ce sujet car il en va du positionnement méthodologique qui sera suivi dans cette thèse.

2.3.1 Entre recherche création et recherche projet

Mis à part le volet pratique, dont l'intégration dans notre projet est entre autre nécessaire à la construction méthodologique de cette thèse, il semble malgré tout risqué d'affirmer que nous positionnons cette thèse en recherche création. De plus, cette thèse n'en est pas une en art, mais bien une se développant dans le contexte d'un programme de doctorat en architecture. Alors, une question doit se poser, comment allier recherche création et recherche en architecture, le tout dans le cadre d'une thèse de doctorat?

Tout d'abord, il est important de mentionner, comme nous l'avons déjà souligné en amont, le fait que la recherche création est encore en quête de légitimité, afin d'être considérée comme un domaine spécifique de la recherche scientifique. Elle souffre, au sein même de sa communauté, d'un flou entourant d'une certaine manière, sa « consistance », c'est-à-dire, ce qui « fait » la recherche création. Est-ce le fait de produire une œuvre artistique? Est-ce le fait de produire un savoir? Et ce savoir, de quelle teneur est-il? La recherche création doit-elle donner lieu à une production écrite? De plus, il n'y a toujours pas de consensus quant aux modalités d'évaluation des thèses menées en recherches créations, chaque institution appliquant ses propres règles. Au final, il n'existe pas d'acception précise et arrêtée concernant la recherche création. Ces imprécisions épistémologiques et méthodologiques peuvent à la fois, comme nous venons de l'écrire, nuire à la crédibilité scientifique des recherches créations, mais aussi, permettre une ouverture bénéfique à la découverte de nouveau savoir, non contrainte aux dogmes pouvant parfois freiner l'innovation.

En ce qui nous concerne, nous devons aussi nous questionner sur les liens entre la recherche création et la recherche doctorale en architecture. Celle-ci, aussi en quête de définition, notamment en France, n'existe que depuis 2005, mérite que nous en expliquions rapidement certains points. Dans un article, Alain Findeli et Anne Coste (2007)32 se sont posés la même question à savoir : quels étaient les postulats soutenant la recherche architecturale ? Ils en arrivent finalement à proposer un modèle théorique que nous allons mettre ici en perspective.

L'architecture est une discipline du « projet », elle permet d'anticiper et d'appréhender la complexité de notre monde. Elle associe deux moments de la création : la conception et la réalisation (Boutinet, 2004). Elle s'inscrit ainsi dans une philosophie pragmatiste qui, possède un fort ancrage empirique. Le projet d'architecture en est donc un pragmatique, qui, par le biais du terrain et de l'action, permet de mettre à l'épreuve une idée, une hypothèse et d'en constater la fécondité.

Le projet d'architecture perturbe aussi quelque peu les postulats habituels concernant la distinction traditionnelle solidement installée en recherche scientifique entre l'objet et le sujet. Toute recherche demande un objet, celui-ci n'existant pourtant pas de manière spécifique dans notre domaine. En architecture, l'objet devient le projet délitant par la même occasion cette séparation historique. En effet, étant le projet d'un sujet, il joint ainsi de manière intelligible l'objet et le sujet (LeMoigne, 1986).

La thèse en architecture n'est pas non plus celle en histoire, en sémiotique ou en sociologie de l'architecture (recherche sur l'architecture), elle doit s'en distinguer car ces dernières rejettent finalement leur ancrage professionnel au profit d'un autre sensiblement mieux armé scientifiquement que peut l'être l'architecture (Findeli et Coste, 2007). Le projet d'architecture, quoique certains en expriment la concordance, n'est pas toujours un projet de recherche, il ne permet pas la construction de nouveaux savoirs, se référant la plupart du temps à des connaissances existantes. Si connaissances nouvelles il y a, celles-ci seront fortuites et spécifiques au projet en particulier.

Par contre, le projet d'architecture se distingue, tout comme la recherche création d'ailleurs, par le fait qu'il permet d'engendrer des artéfacts comme résultats. Ceux-ci sont le reflet de savoirs, mais toujours selon Findeli et Coste, ils ne peuvent être considérés, pris isolément, comme une forme de connaissance. Tout le problème réside dans le rôle que doit prendre cette création dans le projet de recherche. Findeli et Coste poursuivent en définissant l'architecture comme une discipline

dont le regard serait « diagnostique », multipliant les efforts afin de trouver les solutions les plus appropriées à l'amélioration et à la préservation de la qualité de vie des habitants.

« L'architecture, en effet, est concernée par le projet d'habitabilité du monde, par la façon dont le projet rejoint (ou non) le projet des hommes d'habiter le ou leur monde » (Findeli et Coste, 2007; 144)

Le projet d'architecture aurait donc comme finalité, d'une part, celle de la volonté de faire avancer les théories sur le projet d'architecture, de fournir de nouvelles connaissances sur son processus et, d'autre part, d'essayer d'offrir de nouvelles et meilleures perspectives d'habitabilité. Il y a donc nécessité d'intégrer une large part de pratique dans le projet de recherche. Le projet d'architecture doit être compris comme un « problème » de recherche (Findeli et Coste, 2007) et c'est sa transposition en problématique qui permettra ou non le bon déroulement de la thèse en recherche architecturale.

Contrairement à la recherche création, qui met l'accent davantage, voire quasi essentiellement sur la part créative de l'acte de projet (Findeli et Coste, 2007), les auteurs proposent une approche à la recherche qu'ils nomment « recherche projet ». Celle-ci, suppose alors que « l'activité de projet relève de la philosophie pratique (ou éthique) et non plus seulement d'une

pratique créative »33. En d'autres termes, la recherche projet, positionne le « projet » au même niveau que le « terrain » propre aux sciences sociales ou le « laboratoire » en ce qui concerne la recherche expérimentale (Findeli, 2004).

La recherche projet en est donc une qui intervient dans des situations particulières cherchant à en transformer le déroulement à travers un ancrage dans le projet. Ce projet doit permettre d’une part, la mise en place d'un protocole d'observation et d'analyse sur la réalité qu'il transforme et d'autre part, permettre une meilleure compréhension des acteurs qui prennent part au projet. La recherche projet en est aussi une qui applique une approche réflexive, itérative, se déployant en deux volets : l'un en cours d'action et l'autre sur l'action. Finalement, cette approche de la recherche doit construire de la connaissance dans trois champs différents liés à la recherche architecturale : la théorie, la pratique et la pédagogie du projet.

En résumé, nous avons donc procédé à un savant mélange ou à un bricolage raisonné (Fortin, 2006)34 de différents modèles méthodologiques issus de ces domaines, mixant théorie et

33 Findeli, A. et Coste A., 2007, page 153.

34 Fortin S., « Apports possibles de l'ethnographie et de l'autoethnographie pour la recherche en pratique artistique » in Gosselin, P., LeCoguiec, E., (eds), 2006. La recherche création : pour unecompréhention de la recherche enpratique

pratique. Déjà, nous avons dû nous poser la question à savoir, pourquoi aller vers la pratique? Non pas que nous la questionnons spécifiquement, mais par contre, c'est à partir d'elle que nous avons développé notre problématique de recherche. Elle s'est construite suite à quelques années de pratique professionnelle en aménagement et en design urbain, ainsi qu'à d'autres en recherche et en enseignement. Notre domaine de recherche étant intimement lié à la pratique et à l'opérationnalité, c'est l'une des raisons majeures qui nous a incité à l'intégrer de manière conséquente dans ce projet de recherche.

À la lumière des différentes approches de la recherche, dont nous avons précédemment présenté une synthèse, il nous semble difficile de prendre partie pour l'une ou l'autre de ces démarches et de nous positionner. Malgré tout, nous avons choisi d'adopter dans cette thèse une posture de recherche qui s'appuie sensiblement sur les postulats proposés par la recherche création. Celle-ci, quoique controversée quant à sa véracité scientifique, nous laisse malgré tout plus de latitude quant au déroulement de cette thèse qui se veut exploratoire. Nous croyons que situer notre travail de recherche dans une approche plus classique et formatée, freinerait l'accès à certains savoirs cachés, inaccessibles via ces démarches conventionnelles. Nous allons maintenant préciser notre approche de la recherche et notre positionnement méthodologique.

L'intégration d'un projet de création à même le projet de recherche est selon nous une nécessité. Elle nous permettra d'appréhender les usagers à même leurs expériences sonores de la ville, en train de se produire. Ce point est l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas choisi de positionner cette thèse en recherche projet et de conserver, dans le titre de notre thèse, « l'appellation » recherche création. La recherche projet propose une scission entre la part productive de la pratique et celle plus réflexive. Le projet de conception devient dans cette approche une simple annexe à la recherche réflexive. Nous souhaitons pour notre part, suivre la démarche prônée en recherche création qui positionne le projet de création au cœur du projet de recherche et non pas comme « un à côté » de la thèse.

Cependant, il est important de préciser davantage notre positionnement par rapport à la recherche création et surtout, en ce qui concerne la présence de la production d'un artéfact à même le projet de recherche. Contrairement à la recherche création qui s'emploie quasi exclusivement à rendre compte dans la thèse de la part créative contenue dans la pratique, donc dans la production, nous n'avons en aucun cas l'intention de mettre l'accent sur notre processus de conception. En effet, et en ce sens, nous rejoignons cette fois-ci la recherche projet. L'objectif de notre thèse n'est pas

d'approfondir une pratique particulière, mais de comprendre de quelle manière celle-ci peut faire émerger des connaissances, tant au niveau pratique que théorique. On comprend alors que la production d'un objet comme finalité de la thèse n'est pas non plus une orientation que nous souhaitons suivre. Celui-ci devient, comme nous l'avons déjà écrit en amont, un outil méthodologique. La part créative et pratique sert donc à la production d'un outil méthodologique original s'intégrant totalement dans le projet de recherche. Aucune intention esthétique n'est visée quant à la production de cet outil. Finalement, le projet de design (au sens large) ne correspond pas au projet de recherche en soi comme le voudrait la recherche projet. Il est plutôt un moyen créé à l'intérieur d'une problématique singulière, afin d'instaurer un autre dialogue entre les différentes composantes qui la constituent. Nous procédons alors à une hybridation entre les postulats soutenus par la recherche création et ceux de la recherche projet.

Cette approche originale et exploratoire de la recherche nous semble à ce stade, suffisamment justifiée. Par contre, elle reste encore relativement générale. Des questions restent