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PARTIE – 2 – MÉTHODOLOGIE – UN PROJET DE RECHERCHE CRÉATION

2.7 Entre micro-expérimentations et expérimentations

Le dispositif sonore se positionne dans une perspective d'expérimentation. Par le fait qu'il transforme l'existant, il place les usagers dans des situations sonores déstabilisantes particulières. Il est donc question de mettre en place des expérimentations afin de soumettre nos hypothèses au terrain et nous permettre d'identifier, non pas si elles sont vraies ou fausses, mais si elles sont fertiles et ce, tant au niveau pratique que théorique. Par contre, contrairement à une expérimentation classique en science appliquée, par exemple, il n'est pas question de démontrer qu'à un certain niveau sonore l'usager dirige la tête vers la source sonore ou, que certaines fréquences interpellent davantage l'usager. Certes ces effets seront sûrement observés lors des expérimentations et nous leur porterons aussi une attention, mais nous essayerons plutôt de comprendre le processus qui s'installe dès lors que l'expérience sonore ordinaire de l'usager se voit modifiée.

Les expérimentations que nous avons effectué ne sont donc pas de même nature que pourraient donc l'être celles développées dans le cadre par exemple, d'une recherche en science pour l'ingénieur. Sans toutefois en évacuer toute la véracité et la pertinence, il est nécessaire de le spécifier et de ne pas positionner et comprendre nos expérimentations de la même manière. Ainsi, le simple fait de la difficulté de reproductibilité de nos expérimentations due à notre problématique de recherche, nous situe dans une autre catégorie d'expérimentation. Nous avons plutôt souhaité faire différentes expérimentations dans des lieux différents gardant évidemment les mêmes objectifs généraux et le même protocole général, mais modifiant le dispositif à la lumière de ce que nous avons pu analyser lors de l'expérimentation qui la précède, transformant alors les objectifs et le protocole spécifique à chaque expérimentation. Ainsi, nous avons préféré nommer cette phase de prototypage du dispositif, micro-expérimentation, car elle se fait pendant une courte période de temps, sur différents sites et selon des objectifs bien précis. Ceux-ci seront évidemment décrits

spécifiquement avant chaque micro-expérimentation que nous présenterons dans la prochaine partie concernant notre cheminement et les analyses que nous avons faites.

C'est en suivant cette idée d'exacerber les traces sonores de pas des usagers à même leurs déplacements quotidiens, que nous avons entamé la conception d'un dispositif sonore. Le premier travail a été de faire le tour de l'équipement disponible au laboratoire dans lequel nous effectuons cette recherche, ceci dans une économie de temps et de moyens. Cet inventaire terminé, il fallait trouver différents sites pour mettre en place le dispositif et voir concrètement de quelle manière nous pourrions capter les sons des « pas », les traiter par une simple amplification et les diffuser par la suite en temps réel dans l'espace choisi.

2.7.1 Phasage des expérimentations

Deux phases d'expérimentations ont été réalisées. La première comporte trois micro-expérimentations menées de mars 2009 à mai 2010. La seconde phase comprend, quant à elle, une seule expérimentation, conclusive, qui s'est déroulée en mars 2012. La première micro-expérimentation a eu lieu à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble (ENSAG) en mars 2009. Les deux suivantes ont été établies à Nantes et dans sa région. Une deuxième micro-expérimentation a eu lieu en avril 2010, en collaboration avec le laboratoire d'artistes APO 33. La troisième s'est déroulée en mai 2010 dans la région nantaise lors de l'événement Archipelagos. Finalement, la dernière expérimentation fut installée une seconde fois à Grenoble (ENSAG), mais sur un autre site.

Il est donc question d'une première phase axée sur le prototypage du dispositif où nous explorons diverses idées, techniques, etc. La seconde, représente l'aboutissement du dispositif suite aux trois micro-expérimentations que nous avons effectuées. Cette phase n'est donc plus celle de l'exploration et de la vérification, mais bien l'étape conclusive où nous menons de manière plus systématique notre expérimentation, laissant de côté l'aspect lié à la conception et à la construction du dispositif. Il s'agit alors de se concentrer sur l'observation des attitudes des usagers dont génère l'intégration de notre dispositif.

2.7.2 Choix des terrains

Le choix des sites d'expérimentations n'est pas laissé au hasard, mais doit répondre à certains critères bien spécifiques. D'emblée, les sites d'interventions doivent être considérés comme des espaces collectifs, qu'il s'agisse de trottoir, de jardin, de place, de square, de passerelle piétonne, de terrasse, d'esplanade, etc., il est nécessaire que leur caractère soit public. Certains types d'usages doivent aussi être présents afin de pouvoir être sélectionnés. En effet, l'attente et le passage sont les deux usages qui nous importent et qui doivent y être représentés. D'une part, le passage est nécessaire, la présence d'usagers qui se déplacent est primordiale afin de solliciter notre dispositif et nous permettre d'observer leurs réactions. D'autre part, l'attente est aussi importante, car il nous semble intéressant de voir et d'analyser ce qui diffère au niveau de ceux qui produisent et entendent les sonorités et ceux qui ne font que les entendre. L'attente est pour nous celle prise dans le sens où l'usager peut, s'il le souhaite, séjourner momentanément ou plus longuement dans l'espace. Le passage, quant à lui est donc celui où l'usager peut choisir de traverser l'espace simplement pour passer d’un point à un autre, sans y rester plus longtemps que son parcours ne le demande.

2.7.3 Protocole d'observations

Afin de rendre compte des multiples réactions des usagers face à l'intégration de notre dispositif dans l'espace public urbain, nous utilisons différents types d'outils dans le but de recueillir nos données et de les archiver. Cette opération nous permet, par la suite, de revenir sur nos matériaux lors de la période d'analyse. Tout comme l'outil méthodologique que nous avons créé et que nous nommons dispositif sonore, les méthodes ici présentées ne représentent que celles, plus générales, que nous avons employées. D'autres s'adjoindront à elles en fonction du déroulement des différentes expérimentations. Selon l'analyse que nous ferons lors des deux phases d'expérimentation, les outils et méthodes de collectes de données seront ajustés afin de rendre compte, le plus efficacement possible, des transformations opérées par l'intégration du dispositif et à l'amplification des traces sonores de pas qu'il produit.

Image 2 : Journaux de bord du chercheur

Le journal de bord41

L'utilisation du dispositif sonore permet de répondre aux deux volets de notre questionnement à savoir celui d'entamer une réflexion sur les différentes modalités techniques et opératoires concernant la matière sonore et celui de permettre d'observer et de rendre compte des types possibles d'information que les traces sonores de pas peuvent nous donner sur l'espace, le son et l'usager. Afin d'archiver et de noter l'ensemble des étapes et événements qui se sont passés tout au long de la recherche, il nous fallait une méthode qui nous permette de noter rapidement et sans trop de contrainte tous ces éléments. Nous avons alors procédé à la rédaction d'un journal de bord. Ce dernier sert à rendre compte, jour après jour, de l'évolution du travail de manière chronologique. Ainsi, date, heure et conditions de l'événement à noter, ont été relevées et transcrites dans le journal de bord. Cet outil permet d'inscrire des informations de niveaux d'interprétations et de références différents. En effet, il a été utilisé afin de consigner l'évolution continuelle de notre pensée sur l'expérience sonore et afin de mettre à jour l'ensemble des étapes du cheminement en lien avec l'élaboration technique du dispositif sonore. Finalement, le journal de bord fut aussi fort utile lors de l'observation experte que nous avons effectué sur les différents terrains d'expérimentations. Le fait

41 Pour en savoir davantage sur le journal de bord, lire le chapitre 11, « Moment du journal et journal des moments » in HESS, 2008, page 192.

d'obliger le chercheur à écrire systématiquement l'intégralité du déroulement d'un événement ou d'une observation dans le journal de bord, permet de ne pas se faire piéger et de se retrancher dans les opinions et préjugés de départ, tout en offrant la chance de pouvoir avoir un recul sur le travail. Bien sûr, nous n'avons pas noté que ce que nous trouvions intéressant, en laissant de côté ce qui pouvait sembler de prime abord comme trivial, l'objectif étant de rendre compte, le plus exhaustivement possible, de la globalité de ce qui se passe.

Le journal, dans notre cas, n'était pas uniquement un espace d'écriture, mais aussi celui d'un assemblage d'enregistrements sonores, de photographies et de croquis qui s'annexèrent à notre réflexion tout au long de la recherche. Le journal de bord comprend alors un ensemble de données techniques, réflexives et auto-réflexives et finalement ethnographiques se développant en trois moments distincts soit : « avant », « pendant » et « après » la mise en place de notre dispositif dans l'espace public urbain. « L'avant » correspond à la préparation (lecture, réflexion, conception du dispositif, mise en place du dispositif) qui précède l'observation sur le terrain. Une fois le dispositif installé, cette étape liée à ce que nous avons appelé le « pendant » et, finalement, « l'après » qui est un retour réflexif sur les deux temps précédents, vise à transformer et améliorer autant le dispositif que la théorie sur l'expérience sonore.

Le journal de bord devient donc pour notre recherche, une des sources principales d'information que nous analysons afin d'en faire ressortir un savoir, des connaissances sur notre sujet. En effet, nous allons constamment relire les réflexions et données retranscrites dans le journal afin de faire évoluer les pistes de réponses à nos hypothèses. Il ne s'agit pas simplement d’archivage afin de se souvenir de ce que nous avions fait à un moment précis, mais d'informations prises sur le vif ou d'idées spontanées qui nous viennent à l'esprit en lien avec notre recherche.

« Ainsi, si le journal de terrain capte, au jour le jour, les perceptions, les évènements vécus, les entretiens, mais aussi les bribes de conçu qui émergent, avec un peu de recul, la relecture du journal est un mode de réflexivité sur la pratique. » (Hess, 2008; 196)

L'important est d'y revenir fréquemment et de relire ces écrits, ces notes et de réécouter les bandes sonores afin d'en faire émerger des éléments clés qui permettront de faire avancer notre réflexion théorique tout autant que pratique. Il est donc question d'un journal de bord dynamique et multi-médiatique. Il s'avère fort utile afin de mener le type de démarche que nous envisageons c'est-à-dire celle de la réflexion en action et sur l'action. À tout moment nous serons portés à revenir sur

ce que nous avions déjà écrit, ce qui influencera notre écriture du moment. Suite à la passation des micro-expérimentations c'est en relisant l'ensemble du journal de bord que nous pourrons faire émerger de nouveaux savoirs.

L'observation experte

« Le but des méthodes d'observation est de comprendre comment les gens se comportent dans l'environnement et comment l'environnement lui-même peut modifier leurs comportements » (Uzzel et Romice, 2003; 66)

Malgré la grande richesse des données recueillies par l'ensemble du travail mené en rapport avec la création d'un dispositif sonore, il était nécessaire cette fois-ci d'obtenir un type de données, issues de la modification des repères sensibles des usagers qui advient dès lors que nous intégrons notre dispositif dans l'espace collectif urbain. Afin de saisir ces données, la méthode qui nous semblait la plus appropriée et qui nous permettait de rendre compte rapidement des « effets » de l'implantation de notre dispositif sur l'expérience sonore ordinaire de l'usager, est celle de l'observation. En effet, dans le but de répondre à notre hypothèse de départ, nous avons élaboré un protocole d'observation mettant l'accent sur l'examen du comportement et des conduites des usagers directement sur le site. La consigne que nous nous étions donnée était très simple : observer ce qui, chez l'usager (comportement, attention particulière, conduites, micro-mouvements, etc.), semble être en lien avec la transformation que le dispositif opère sur les sons et sur ce qu'il produit dans l'environnement. Semble-t-il être interpelé par les sons issus par l'intégration de notre dispositif ? Si oui, de quelle manière ? Qu'est-ce qui dans ses comportements et conduites nous l'indique ? L'ensemble des observations est instantanément retranscrit dans le journal de bord du chercheur afin de tout inventorier et laisser le moins de place possible à la fuite d'information due à une trop longue attente de transcription. Il va de soi, qu'il ne s'agit pas uniquement de commentaires écrits comme nous en avons déjà glissé quelques mots, mais bien d'un mélange, de ces commentaires, de photographies et de prise de sons, tous pris sur le vif et donc in situ.

L'observation prend donc dans cette thèse deux fonctions particulières. D'une part, elle aura une fonction de rendre compte de la pertinence et de la fécondité des effets produits par l'implantation de notre dispositif sur l'expérience sonore de l'usager. D'autre part, dû au caractère itératif du travail, d'autres hypothèses émergeront nécessairement en cours de route et donneront dans ce cas-ci, une fonction heuristique à l'observation. Ces nouvelles idées devront, à leur tour, être

mises à l'épreuve dans le contexte de secondes expérimentations, dans le cadre même de cette recherche comme il en sera question ici, ou inéluctablement lors de nouveaux champs d'investigations. Ce qui donnera une opportunité au développement d’autres projets de recherches.