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PARTIE – 3 – CATALOGUE RAISONNÉ D'OEUVRES SONORES

3.3 Élaboration d'un catalogue raisonné d'œuvres sonores

Devant la prolifération et la variété des œuvres sonores présentées par les artistes en art sonore, une question s'est vite posée : de quelle manière aborder cette multiplicité et ainsi éviter de s'y perdre ? À cette interrogation, nous formulons l'hypothèse que c'est à travers l'élaboration d'un catalogue raisonné d'œuvres sonores que nous pourrons organiser en fonction de critères spécifiques que nous définirons, l'abondance de ces œuvres sonores.

Effectivement, le principe général d'un catalogage raisonné est celui d'ordonner des références en développant une méthodologie systémique sous forme notamment de fiches. Ces dernières, permettent à la fois de consigner, d'archiver, de construire un vivier, une base conséquente de données afin de mener des analyses et de laisser suffisamment d'ouvertures à d'éventuelles extensions de ce recueil (Chelkoff, 2003). En art, cet outil est aussi utilisé depuis longtemps, il correspond à une liste annotée et intelligible de l'ensemble des œuvres d'un artiste. Le catalogage s'effectue toujours suivant une logique bien spécifique. Celle-ci est liée par exemple, à un sujet bien précis ou à des critères particuliers qui guident sa création. L'élaboration d'un catalogue raisonné est donc celui qui se forme selon une méthodologie parfaitement étudiée.

C'est en suivant cette logique que nous avons procédé à la création d'un catalogage singulier d'œuvres sonores. Celles-ci furent ainsi abordées en fonction de certaines caractéristiques qui permettaient, dès le premier relevé, d'élaguer certaines œuvres sonores qui ne correspondaient pas à notre cadre de sélection. Celui-ci fut dans un premier temps relativement ouvert. Il s'agissait simplement d'identifier des œuvres sonores qui établissaient, promouvaient de nouvelles relations entre le son, l'espace et l'usager.

En révélant les situations sonores particulières créées par les œuvres sonores à partir du son, de l'espace et de l'usager, le catalogue raisonné devient un outil qui rend compte de la diversité des enjeux et des intérêts qui lient ces trois aspects de l'expérience sonore. Il permet d'en dévoiler les différentes articulations tout en précisant par quels moyens techniques, conceptuels et théoriques l'œuvre sonore en arrive à tisser ces liens et à modifier l'expérience sonore.

Ainsi, suivant cette piste, nous avons donc procédé à la création d'un catalogue raisonné d'œuvres sonores mettant en avant des situations sonores particulières. Celles-ci sont liées, dans un premier temps, à cette relation qu'entretient l'œuvre sonore avec le son, l'espace et l'usager. Afin de nous aider à développer notre catalogue, la méthode de la fiche analytique fut utilisée.

Aspect important de notre catalogue raisonné d'œuvres sonores, ce dernier ne fut en aucun cas figé. En effet, au fur et à mesure de la création des fiches analytiques des œuvres sonores, les

critères de sélection des œuvres se sont affinés. Divers stades de fiches se sont ainsi succédés. Ceux-ci permettent de mieux saisir les phases d'évolution de nos réflexions ainsi que l'intérêt de la création de ce catalogage.

3.3.1 Les fiches analytiques des œuvres sonores

Pour chaque œuvre sonore étudiée, une fiche analytique a été produite. Chacune d'entre elles, construite dans le but de cataloguer et d'identifier une œuvre sonore. Les fiches ainsi obtenues, n'avaient en aucun cas comme objectif de présenter un inventaire d'artistes en art sonore, mais bien celui de discerner uniquement les œuvres sonores qui d'une manière ou d'une autre répondaient à nos critères.

Notre intention en créant ces fiches était donc d'organiser de manière systémique un ensemble d'œuvres sonores en fonction de critères spécifiques. Ceux-ci devaient agir tel des filtres, laissant s'introduire au travers de leurs maillages les œuvres qui répondaient à nos critères de sélection. Au final, quatre sélections successives ont été réalisées. À chacune de ces étapes, un affinement s'est opéré concernant les critères et ce, en fonction des analyses effectuées et des lectures menées parallèlement à ce travail. Donc, à chaque phase, une fiche analytique spécifique prend en compte les réflexions précédentes.

En plus de ces filtres, qui donnent leurs spécificités aux fiches, elles comprennent aussi d'autres éléments plus factuels, mais tout aussi nécessaires. En effet, certaines informations sont intégrées aux fiches. Elles seront à la fois utiles lors de l'analyse et de la synthèse, mais aussi, afin de permettre une lecture plus aisée et compréhensible des différentes œuvres sonores choisies.

Dans un premier temps, chaque œuvre sonore est identifiée par un numéro qui correspond tout simplement au moment où elle fut inventoriée. Il s'ensuit, une section entière de la fiche dédiée à la présentation de l'œuvre où les éléments suivants sont identifiés : le titre de l'œuvre, le ou les auteur(s) de l'œuvre, l'année de réalisation de l'œuvre et le lieu de sa présentation. Ensuite, une seconde section est réservée à la description de l'œuvre à savoir, une mise en contexte donnant les éléments importants à connaître afin de mieux comprendre l'œuvre sonore en question. Ces derniers éléments correspondent à ce qui se retrouvait dans la toute première version des fiches analytiques. Ces parties évolueront effectivement au cours des trois phases qui suivront.

Comme nous en avons déjà fait part, la première sélection cherchait à identifier des œuvres sonores dont les dimensions sonore, usagère et spatiale s'avéraient mises en tension. Malgré le caractère moins distinctif de ces fiches initiales, celles-ci permirent de réduire considérablement le

nombre d'œuvres sonores. Le critère le plus sélectif était celui lié à la dimension spatiale, car il ne s'agissait pas uniquement de désigner des œuvres sonores qui se présentaient dans un espace quelconque, la plupart étant de ce type, mais bien celles qui se présentaient dans l'espace public.

Ainsi 38 œuvres sonores furent sélectionnées. En plus des éléments factuels correspondant à l'œuvre sonore cités précédemment, trois autres critères de sélections étaient utilisés afin de révéler ces œuvres sonores. Chaque œuvre sonore était alors décrite en fonction du rôle qu'elle permettait d'engendrer entre le son, l'usager et l'espace (public). Il était donc question à travers de cette première version des fiches analytiques, de répondre à trois questions :

Quel rôle joue le son dans l'œuvre sonore? Quel rôle joue l'usager dans l'œuvre sonore? Quel rôle joue l'espace dans l'œuvre sonore?

Il s'agissait, par l'intermédiaire de ces questions, de saisir les moyens mis en œuvre par l'œuvre sonore afin d'interpeller l'usager lors de son expérience sonore. Ensuite, une autre partie de la fiche permettait d'identifier les relations qui s'établissaient entre le son, l'espace et l'usager toujours en lien avec l'œuvre sonore étudiée. Pour terminer, dernière information inscrite sur la fiche, les différents concepts et notions auxquels l'œuvre sonore se référait ouvertement ou à ceux et celles que notre analyse nous permettait de relier46.

Dans un second temps, et suite à une première analyse des œuvres sonores retenues, nos réflexions nous ont amenés à préciser davantage nos critères de sélection. Cette étude, nous fit remarquer que peu d'œuvres sonores faisaient référence aux sons ordinaires produits par les usagers lors de leurs expériences quotidiennes situées en espace public. C'est à ce moment que nous avons souhaité modifier les caractéristiques des fiches analytiques donnant lieu à la création d'une deuxième version.

En effet, notre sélection se resserrant, les œuvres sonores devaient désormais être à la fois intégrées à un espace public et utilisées comme matières sonores, celles produites par les usagers. C'est à cette période de notre réflexion, que la notion de trace sonore fit son apparition pour la première fois. Encore à un stade embryonnaire, ses contours se dessinaient malgré tout. Afin de mieux définir cette notion prometteuse, il fut décidé d'ajouter une section de notre fiche analytique dédiée à cette fin.

Ainsi, les œuvres sonores, usant à présent des sons produits par les usagers, étaient décrites

en fonction de ce que nous avions nommé à l'époque, de la nature des traces sonores qu'elles employaient. Deux aspects de la trace sonore étaient alors détaillés à savoir, d'une part, s'il s'agissait de traces sonores audibles ou inaudibles et d'autre part, s'il était question de traces sonores contextualisées ou décontextualisées.

Par traces sonores audibles, nous entendions, celles qui, dans le quotidien de l'usager, pouvaient être perçues habituellement par celui-ci. Les traces sonores inaudibles se définissaient quant à elles, comme celles non-entendues par l'usager dans son quotidien. Cette deuxième fiche analytique, devait aussi nous indiquer si les œuvres sonores exploitaient des traces sonores issues directement du contexte dans lequel elles étaient diffusées (traces sonores contextualisées) ou si elles provenaient plutôt d'un contexte complètement autre (traces sonores décontextualisées).

L'ajout de ces deux descripteurs, nous permit d'approfondir nos connaissances sur les sons mis en œuvre par les œuvres sonores afin de s’immiscer dans le quotidien des usagers et en transformer l'expérience. De plus, le fait de recueillir de l'information sur les traces sonores nous servit à développer à partir de cette base empirique notre notion de trace sonore.

Finalement, suite à l'élaboration de cette deuxième fiche et à la reprise de l'ensemble des œuvres sonores, une troisième fiche fut conçue. Les réflexions menées sur nos œuvres sonores nous conduisirent à creuser davantage cette notion de trace sonore et nous indiquèrent qu'elle devenait de plus en plus centrale dans notre travail.

Désormais, les œuvres sonores devaient à la fois générer cette relation entre le son, l'usager et l'espace, mais ces trois éléments se précisaient. L'intégration de la notion de trace sonore, venait donc affiner le type de sonorités dont les œuvres sonores se devaient de traiter, c'est-à-dire des traces sonores produites directement par les usagers. De plus, cette focalisation sur les traces sonores ordinaires produites par l'usager spécifiait du même coup le type d'usager que nous recherchions au travers de ces œuvres sonores. Il était maintenant question, du fait de cette spécificité, de sélectionner des œuvres sonores qui tentaient d'interpeller directement les usagers dans leur quotidien donc des usagers ordinaires se déplaçant dans l'espace public urbain.

En plus, la notion de trace sonore venait affiner nos critères de sélections en renseignant sur les sonorités utilisées par l'œuvre sonore et en indiquant de quelles manières elles permettaient d'engendrer cette relation avec l'espace et l'usager. En analysant, l'œuvre sonore par le biais du filtre de la trace sonore, il nous était désormais plus aisé de comprendre, de distinguer les possibilités qu'entraînait la trace sonore dans cette relation qu’elle opère avec et sur l'expérience sonore de l'usager.

furent ajoutées. L'une concernant les spécificités techniques liées à l'œuvre sonore (captations, diffusions), se retrouvant auparavant dispersées dans la mise en contexte de l'œuvre. Ces aspects techniques, quoique quelques fois difficiles à trouver, pouvaient nous être d'une grande utilité lors de la conception de notre propre projet de création. Une seconde section était aussi consacrée à l'intégration d'images, de sons et de vidéos, permettant une meilleure compréhension des œuvres sonores. L'objectif étant désormais d'intégrer nos fiches sur un site internet donc de transférer le tout dans un format numérique.

La grande différence de cette dernière fiche était liée à sa partie plus analytique. Dans un premier temps, il s'agissait, tout comme pour les précédentes fiches, d'indiquer de quelles manières l'œuvre sonore prenait en compte le son, l'usager et l'espace tout en pointant l'entremêlement de ces trois dimensions de l'expérience sonore qu'établissait l'œuvre sonore. Par la suite, une nouvelle section fut construite en lien avec le développement que nous faisions en parallèle sur la notion de la trace sonore.

Ainsi, deux parties ont été créées, la première concernant les différentes catégories de traces sonores (empreinte, indice, mémoire, écriture, processus) que nous avions identifiées. La seconde, en lien avec les caractéristiques (sources, situations, expérimentations) que prenaient les traces sonores dans les œuvres sonores.

Quatrième et dernière évolution des fiches analytiques de notre catalogue raisonné d'œuvres sonores, le fut en lien avec la notion d'attention sonore. Celle-ci, suite à l'élaboration de cette troisième phase de sélection d'œuvres sonores, de leur analyse et des réflexions que nous menions simultanément, nous a amenés à mettre en avant cette notion. Ainsi, nous avons repris l'ensemble des œuvres sonores en s'intéressant spécifiquement aux manières que les œuvres arrivaient à capter l'attention sonore des usagers. Différent d’un critère de sélection, il s'agissait plutôt d'identifier, de révéler les différents moyens (techniques, conceptuels, etc.) mis en place afin de s'immiscer dans le quotidien de l'usager. De cette manière, nous serions en mesure de saisir avec précision les différentes méthodes par lesquelles la trace sonore réussissait à interpeller l'usager directement lors de son expérience sonore quotidienne.

Ainsi parmi la totalité des œuvres consultées et triées en fonction de l'évolution de nos critères, seulement 38 d'entre elles on été retenues dans un premier temps. À l'issue des quatre phases de filtration qui suivirent, nous avons terminé avec un total de 21 œuvres sonores correspondant à nos critères de sélection. Le tableau 1 présente de manière synthétique l'ensemble des éléments qui constituent ces fiches et permet de mieux saisir le développement de ces quatre

stades.

Tableau 1 Synthèse de l'évolution des fiches analytiques

n° Description/ mise en contexte Analyse Notion et concept

Traces sonores Modalités

de captation de l'attention sonore 1 - titre, auteur(s), année, lieu - description de l'œuvre sonore

- rôle du son, espace, usager dans l'œuvre sonore - relations qu'entretiennent le son, l'espace et l'usager - ceux sollicités par l'œuvre sonore 2 - titre, auteur(s), année, lieu - description de l'œuvre sonore

- son : nature, type de son, mode de

transmission, traitement sonore - espace et usagers : types, description et prise en compte dans l'œuvre sonore - ceux sollicités par l'œuvre sonore - audibles, inaudibles - contextualisées, décontextualisées 3 - titre, auteur(s), année, lieu - image, vidéo, audio - description de l'œuvre sonore

- son : nature, type de son, mode de

transmission, traitement sonore - espace et usagers : types, description et prise en compte dans l'œuvre sonore - ceux sollicités par l'œuvre sonore - catégories :

empreinte, indice, mémoire, écriture, processus

- caractéristiques : trace sonore et source : audible vs inaudible

contextualisée vs décontextualisée - trace sonore et situations : attendues vs inattendues habituelles vs inhabituelles

- trace sonore et expérimentation : perçue vs aperçue attention vs inattention 4 - titre, auteur(s), année, lieu - image, vidéo, audio - description de l'œuvre sonore

- son : nature, type de son, mode de

transmission, traitement sonore - espace et usagers : types, description et prise en compte dans l'œuvre sonore - ceux sollicités par l'œuvre sonore - catégories :

empreinte, indice, mémoire, écriture, processus

- caractéristiques : trace sonore et source : audible vs inaudible

contextualisée vs décontextualisée -trace sonore et situations :

- intrusive - portative - prédic-tibilité / intensité - inter-activité / récréativité

attendues vs inattendues habituelles vs inhabituelles

- trace sonore et expérimentation : perçues vs aperçues

attention vs inattention

3.3.2 Les sources documentaires interrogées

Afin de poursuivre cet objectif concernant l'élaboration d'un catalogue raisonné d'œuvres sonores et ainsi se forger un premier corpus empirique, une recherche documentaire fut effectuée. Celle-ci se devait d'être la plus exhaustive possible et balayer un ensemble suffisamment large de disciplines artistiques car, comme il en a été question en amont dans ce texte, l'art sonore, nommé comme tel, est somme toute, relativement récent. Cependant, il apparaît sporadiquement à différentes époques, notamment au travers de la poésie, de la musique et de la sculpture.

Tout d'abord, notre investigation s'est attardée à la consultation de nombreux ouvrages de références en histoire de l'art et en art sonore ainsi que sur la lecture de monographies d'artistes dont le travail fut lié de près au développement de cette forme d'Art. Par la suite, et ce depuis quelques années, un intérêt grandissant concernant l'art sonore est apparu, favorisant la publication de périodiques spécialisés en art sonore ou de numéros spécifiques des revues plus traditionnelles dont le sujet traitait précisément celui de l'art sonore. Nous avons ainsi pu profiter de cet engouement afin de consulter une panoplie d'œuvres sonores plus actuelles les unes que les autres.

Finalement, contrairement à d'autres formes d'art, visuelles en majorité, où le format papier permet de rendre compte relativement fidèlement des œuvres d'art, l'art sonore fait, quant à lui, figure d'exception. Le fait de travailler avec cette matière invisible et quasi impalpable qu'est le son, demande alors un passage obligé vers d'autres moyens d'archivage et de présentation. Les médiums plus conventionnels ne peuvent rendre justice aux subtilités contenues dans une œuvre sonore par le biais de la seule écriture ou de l'image. Ainsi, nombre d'œuvres sonores cataloguées l'ont été en consultant des centres de ressources en ligne sur internet. Ces derniers, permettent d'accéder directement aux sites internet des artistes et collectifs d'artistes et de pouvoir naviguer à travers l'ensemble de leurs œuvres sonores. Il est alors possible d'écouter et de visionner des vidéos des œuvres sonores tout en se référant à de la documentation écrite. De multiples sites internet de festivals en art sonore furent aussi examinés ainsi que des blogs spécialisés ouvrant davantage l'éventail de nos œuvres sonores et notre perception du monde de l'art sonore.

travers des livres, revues, sites internet et blogs entre 2008 et 2011. La variété de nos lectures nous permit de découvrir non seulement toute la richesse et le nombre impressionnant d'œuvres sonores qui se créent partout dans le monde, mais d'identifier certaines tendances. C'est notamment à partir de cette lecture que nous avons pu effectuer notre première analyse des œuvres sonores en identifiant une typologie d'œuvres sonores.