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PARTIE – 2 – MÉTHODOLOGIE – UN PROJET DE RECHERCHE CRÉATION

2.5 Dispositif sonore

À partir de ces différentes postures, nous avons fait le choix de développer, de la conception à la réalisation et à son intégration dans le terrain, un « dispositif sonore » original, produit de la thèse. Nous avons choisi de le nommer ainsi à la lecture de la définition d'un dispositif, donné par Giorgio Agamben à savoir :

« […] tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des être vivants. » (Agamben, 2007; 31) La relative généralité de cette définition, englobant un panel très large allant au-delà de celle que nous adoptons, permet malgré tout d’expliciter de manière simple et précise, une partie de ce que nous souhaitons faire. Ce choix s'est aussi arrêté après avoir analysé les différents écrits en recherche création et en recherche architecturale. Ces domaines de recherches proposent des alternatives novatrices en termes de méthodologie. Non galvaudées par la culture scientifique et ses conventions, elles laissent un degré de liberté qui, nous croyons, permet de faciliter l'innovation. De plus, les méthodes actuelles utilisées dans les diverses disciplines concernées par l'aménagement et le design, ne sont pas à même, comme nous l'avons démontré, d'entretenir un dialogue entre l'usager, la dimension sonore et l'espace, directement lors de l'expérience sonore. Chacune d'elles présentant toujours certaines limites que nous souhaitons ici surpasser.

C'est pourquoi nous avons désiré inscrire cette thèse en recherche création et procéder à la production d'un objet original à cette recherche. Cependant comme nous en avons à maintes reprises fait allusion, celui-ci se veut être un outil méthodologique et non une œuvre sonore à part entière. Le dispositif devient donc dans ce contexte, non une œuvre d'art sonore dans le sens où elle chercherait à atteindre une certaine esthétique sonore particulière, mais uniquement un outil, un instrument méthodologique permettant de recueillir des données sensibles sur l'expérience sonore ordinaire de l'usager. Il faut alors être conscient de cette portée, car la qualité sonore ne sera pas un des critères primordiaux de notre dispositif, sauf bien sûr sa « définition »38 (Chion, 1994, 1998) par

38 La notion de « définition du son » est développée par Michel Chion et se définit ainsi : Nous appelons « définition du son » ce qu’on nomme plus couramment, mais improprement « haute-fidélité », terme inexact et relevant de la rhétorique publicitaire. En réalité, un son « reproduit » et enregistré comporte d’innombrables différences avec le son acoustique d’origine, notamment au niveau de l’espace et de la dynamique (contrastes d’intensité, qui sont par définition beaucoup plus resserrés et « écrétés » dans les enregistrements). Ce que l’on qualifie de fidélité, et qu’il faudrait mieux appeler la définition, consiste en l’appréhension de nombreux détails - des détails créés souvent par la proximité entre la source sonore et les micros, et qui sont d’ailleurs, comme Glenn Gould l’a bien analysé, inaudibles à l’auditeur en concert, sauf si l’instrument est sonorisé. La définition d’un son entendu par haut-parleur

rapport aux traces sonores de pas émis par l'usager. Comme il en sera question dans la partie suivante, l'analyse que nous avons faite de l'art sonore nous a permis d'une part, non seulement de mettre à jour les différentes catégories propres à l'art sonore, mais aussi d'identifier les notions et concepts clés soulevés au travers des œuvres. D'autre part, ce travail nous a servi afin de cibler le type particulier de traces sonores que nous souhaitions solliciter à l'aide de notre dispositif. Nous verrons dans le catalogue raisonné d'œuvres sonores que nous avons constitué, que ce type de trace n'est peu ou pas convoqué par les œuvres sonores.

C'est ainsi que nous avons choisi cette voie, c'est-à-dire celle de développer un dispositif sonore qui permet de révéler les traces sonores de « pas » de l'usager se déplaçant dans l'espace collectif urbain. Son intégration dans l'espace collectif urbain nous permettra de créer, de provoquer, des situations sonores déstabilisantes et étranges qui entraîneront un questionnement chez l'usager dans son rapport aux sons qu'il produit lors de ses actions et déplacements, et à l'espace dans lequel il prendra place.

Nous suivons ainsi le travail développé par Grégoire Chelkoff dans une recherche39, où il propose de faire des expérimentations constructives par le biais de l'installation de dispositifs architecturaux dans l'espace public, afin de rendre compte du potentiel d'action lié aux sons. Il met alors en situation les usagers et observe de quelles manières ils agissent. Ce procédé se rapprochant du nôtre, il est malgré tout différent. Tout comme l'auteur le fait remarquer, la méthode se réfère à une situation de laboratoire et un in situ. Cependant, les participants savent d'emblée qu'ils vont prendre part à une expérimentation et qu'ils ne sont donc pas dans un contexte ordinaire. L'artificialité de ce dispositif construit, quoique fort intéressant, ne permet pas, encore une fois, d'interroger les usagers directement dans leurs expériences sonores quotidiennes. C'est une autre raison pour laquelle, nous n'avons pas choisi cette avenue, qui certes, conjugue plus spécifiquement le caractère opérant du son et de l'aménagement par la construction d'un dispositif architectural, mais possède de sérieuses limites qui contreviennent à nos objectifs.

est notamment fonction de sa bande passante (plus grande si l’on monte plus haut dans les aigus et si l’on descend plus bas dans les graves), de sa dynamique (richesse et étendue des contrastes d’intensité possibles, de la plus ténue à la plus puissante), et de son étalement spatial (deux pistes ou plus, permettant d’étaler le son dans l’espace et donc de percevoir plus distinctement un certain nombre de détails). En ce sens, la définition des enregistrements sonores a certainement augmenté considérablement depuis les débuts, mais non, forcément et linéairement, leur « fidélité ». In le glossaire consulté le 4 novembre 2011, url : http://www.michelchion.com/v1

2.5.1 Objectifs du dispositif

Le dispositif sonore que nous avons développé, le fut suivant des objectifs bien précis. Nous n'expliquerons ici que les buts généraux de celui-ci. Adoptant, la posture de la théorisation en action et sur l'action, nous sommes conscients que les objectifs se transformeront et évolueront en fonction de la mise à l'épreuve du dispositif sur le terrain. Chaque moment d'expérimentation sera donc précédé d'un texte exprimant les objectifs spécifiques à cette expérimentation.

Il est désormais évident pour nous que le moyen le plus juste afin de rendre compte d'une perception, non seulement en mouvement, mais vierge de toutes modifications dues à l'artificialité de la mise en scène de la méthode ou à la simple présence du chercheur, est celle de l'intégration directement dans l'espace collectif d'un « objet », en transformant les paramètres. Ainsi, conformément à notre problématique de recherche, nous avons mis au point un dispositif sonore qui s'incorpore et s'harmonise avec le terrain afin de ne pas entacher, avant même d'avoir pu saisir les données qui nous intéressent, l'expérience sonore ordinaire des usagers. Il s'agit alors d'appréhender les usagers dans leurs expériences sonores en train de se faire, en train de se vivre et ce, sans pour autant en modifier de manière évidente sa teneur ordinaire, habituelle et quotidienne.

L'un des objectifs premiers sera donc sa discrétion. Camouflé dans l'espace collectif, le dispositif ne devra pas être perçu visuellement par les usagers. Il devra se confondre avec le site choisi pour les expérimentations. Il faudra donc analyser convenablement le site au préalable afin d'identifier les emplacements adéquats qui permettront cette installation secrète et furtive du dispositif. Seul l'aspect sonore devra être prégnant et ajusté à un niveau sonore satisfaisant permettant ainsi l'interpellation des usagers, que nous tentons d'inaugurer ici avec notre dispositif sonore.

Dans le but de faire remonter à la surface de l'expérience sonore la part productive et active liée aux traces sonores de pas et d'identifier les diverses informations cachées dans celles-ci, nous avons développé ce dispositif sonore en nous basant sur les notions de situation de dépaysement et d'étrangeté. Toutes deux, promouvant l'idée que c'est lorsque l'individu est en situation d'incertitude qu'il est le plus à même de dévoiler ce qui fait l'expérience sensible de la ville. De la même manière, à l'aide de notre dispositif sonore, nous en sommes venus à la conclusion que nous devrions venir perturber l'ordinaire sonore des usagers, en les immergeant dans des situations sonores déstabilisantes.

Évidemment, il ne s'agit pas de contrôler l'ensemble des paramètres constituant chacune des situations que nous allons mettre en place. Cette entreprise serait beaucoup trop fastidieuse, voire impossible, tellement le travail serait colossal vu la quantité infinie de variables qu'il faudrait prendre en considération. Seule l'une de celles-ci sera transformée. En effet, il s'agit d'amplifier, uniquement certaines sonorités d'ores et déjà présentes dans le paysage sonore urbain, mais ne remontant pas à la conscience sonore des usagers à savoir, celles des traces sonores de pas des usagers.

Ainsi, l'un des objectifs, plus technique, sera d'une part de venir capter ces traces sonores de pas produites par les usagers dans leurs déplacements. D'autre part ces sons, une fois captés, devront être amplifiés afin de leur donner une place sonore plus importante, d'en exagérer l'intensité sonore afin que les usagers soient happés par elle. Finalement, la seconde opération (amplification), demande par la suite, il en va de sa réussite, d'être diffusée dans l'espace urbain. Cette étape demande, comme nous allons en rendre compte dans le prochain chapitre, une analyse du site, au niveau de la composition de ses matériaux, ainsi que de sa configuration spatiale; deux facteurs influençant la propagation du son et donc le bon déroulement de notre mise en situation. Cette analyse nous permettra alors de positionner judicieusement les haut-parleurs, en gardant toujours à l'esprit que ceux-ci ne devront pas être visibles, car les usagers ne doivent pas se questionner à l'avance sur les événements en voyant ces éléments incongrus dans l'espace, et ainsi en venir à transformer l'habituel de leurs expériences quotidiennes.

De plus, nous avons aussi tenté d'effectuer le procédé précédent en temps réel. En d'autres termes, il s'agit d'effectuer les trois étapes (captation, amplification, diffusion) dans un même temps. L'usager posant le pied sur le sol entendra donc la trace sonore de son pas instantanément, mais cette fois-ci, transformée, son niveau sonore étant sensiblement plus élevé qu'à la normale. Ainsi, les usagers, vaquant à leurs occupations ordinaires, se déplaçant têtes baissées, rivés aux miasmes de l'urbanité, seront, nous l'espérons, alpagués par l'étrangeté des sonorités diffusées par notre dispositif, et réagiront. C'est cette réaction que nous observerons attentivement et que nous analyserons par la suite.

2.5.2 Dispositif évolutif

n'en est pas un qui se veut figé. Celui-ci se développe certes en fonction d'une idée de base sur laquelle nous allons entreprendre nos premières expérimentations, mais évoluera à la fois selon son efficacité technique et sa capacité à moduler l'expérience sonore des usagers dès sa mise à l'épreuve sur le terrain. Deux variables seront donc attentivement surveillées par le chercheur. D'une part, l'aspect technique ne pourra pas être négligé, il en va du bon fonctionnement des expérimentations et, d'autre part, nous serons soucieux d'observer si l'effet souhaité semble être satisfaisant et nous apporte les connaissances que nous souhaitons. Dans les deux cas, des ajustements à la fois sur place, c'est-à-dire au moment de l'expérimentation, pourront être faits, ainsi qu'un retour réflexif en aval de celle-ci, afin d'identifier la justesse du dispositif.

Ces opérations pratiques et réflexives suivent ainsi les postulats de la théorie en cours d'action et celle sur l'action. Nous croyons fermement que c'est de cette manière, en opérant des allers et retours entre la théorie et la pratique, aux différentes échelles proposées par un projet de thèse en doctorat, que nous serons en mesure d'arriver à un dispositif nous satisfaisant. Il ne faut pas non plus perdre de vue l'idée que l'ensemble de ce travail se veut exploratoire, la totalité des dispositifs développés dans le durée de cette thèse ne sont que des prototypes qui demandent à être ultérieurement réétudiés et retravaillée dans de futurs projets de recherche. Par contre, cette remarque ne remet pas en cause leurs pertinences et leurs capacités à apporter réponse à nos interrogations, mais signifie simplement qu'elles ont été, sont et seront toujours en proie au changement.