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Essayons de retrouver la perception que ces gens ont des abords d’une ville. Si on ouvre à nouveau l’Encyclopédie de Denis Diderot et Jean d’Alembert, on se rend compte que plusieurs termes différents sont employés, dont certains qui sont encore utilisés aujourd’hui. Cependant, ils ont à l’époque un sens sensiblement différent. Ainsi, la « banlieue » n’a plus une acception géographique mais judiciaire. C’est « une lieue à l’entour de la ville, au-dedans de laquelle se peut faire le ban, c’est-à-dire, les proclamations de la ville et jusqu’où s’étend l’échevinage et la justice d’icelle ». Le terme « septaine » peut lui être synonyme puisqu’il s’agit de « la banlieue, le finage ou territoire dépendant d’une ville ». Cette notion de droit se retrouve donc également dans le terme de « territoire » puisque

compris comme une « certaine étendue de terrain qui dépend d’une province, d’une ville, seigneurie, justice, ou paroisse ». Il est néanmoins ambigu car cette notion de droit est associée à une notion géographique. Le « territoire » peut en effet désigner à la fois l’étendue de terrain et la justice qui y est appliquée, mais il peut également ne désigner que le terrain : « le territoire est souvent différent du ressort, car le territoire désigne le pays et le ressort désigne la justice à laquelle ce lieu ressortit ».

Le latin médiéval, au travers du Mediae Latinitatis Lexicon Minus de J.-F. Niermeyer51, est plus prolixe et plus diversifié. Ainsi il nous parle du « pagus », territoire ou campagne d’une civitas (chef-lieu, généralement siège d’un évêché), également synonyme de plat-pays. Le « territorium », quant à lui, est largement polysémique. Il peut être aussi bien, on l’a vu, le pagus que le territoire d’une cité, un diocèse, un finage, le territoire séculier d’un évêque, une circonscription judiciaire ou un terroir labourable. Plus près de la ville se trouvent la « quinta », « zone de cinq milles en profondeur autour d’une cité », ou la « bannileuga » : banlieue (au sens de l’Encyclopédie) d’une ville. Ce terme peut cependant être également employé dans d’autres cas. Cela peut être la « zone de territoire ayant la largeur d’une lieue, soumise à la justice établie dans un château fort », l’enceinte immunitaire d’une abbaye ou l’amende pour un délit commis dans la banlieue. Enfin, au contact même de la ville se trouvent le « vicus », « bourg, agglomération près d’une cité épiscopale ou d’une abbaye », ou le « suburbium », « faubourg aggloméré à un château, un monastère ou une ville modestement fortifiée ». Mais ce dernier terme peut également désigner « le territoire dont une cité est le centre, le pagus ou le diocèse ».

En conclusion, en tenant compte des divers termes et sens, on peut distinguer trois échelles de perception pour ce que sont les abords d’une ville. Tout d’abord, un vaste terrain appelé plutôt pagus, territoire ou plat-pays et qui correspond à l’ensemble de la campagne dépendant d’une ville. De façon plus restreinte, la banlieue ou la quinte (terme beaucoup moins courant que banlieue) correspondent à l’espace d’application de la justice de la ville. Enfin, le suburbium ou le vicus désigneraient les faubourgs de la ville.

Ainsi, pour les gens de l’époque, la caractérisation des abords de la ville qui nous intéresse dans notre recherche, c’est-à-dire l’étude d’un espace plus petit que le plat-pays mais plus vaste que les faubourgs, est surtout juridique : les termes employés désignant une circonscription administrative et non la caractérisation géographique de cet espace. Afin d’éviter la confusion avec la banlieue actuelle, le terme « banlieue » aura donc dans notre recherche un sens uniquement juridique. La ban-lieue (ou en allemand Bannmeile52) est le

terrain hors les murs sur lequel s’appliquent les mêmes droits juridiques et qui est soumis au

51 Niermeyer 1976.

52 De bann : le ban, et meile : la lieue d’Empire, également appliquée à Metz, d’une valeur de 7500m

(Lexicon 1980).

même pouvoir de commandement que dans les murs53. Le ban (« pouvoir public, celui qu’a

son possesseur d’ordonner et de punir »54) mettant un terme au droit d’un autre seigneur. Ce

sens s’applique quelle que soit la réalité du terrain (quartiers urbains, champs, villages…) que cette circonscription recouvre.

Les définitions insistent également sur l’idée d’une étendue de territoire d’un rayon d’une lieue autour de la ville et sur laquelle s’applique le ban de cette ville. Or si la lieue commune française fait environ 4500 m, la lieue d’Empire a une mesure de 7500 m et il en existe encore d’autres valeurs. Des problèmes pratiques se posent donc en contrepoint d’une définition universelle.

En France, les banlieues disparaissent en tant que juridictions avec la réforme administrative décrétée par l’Assemblée Constituante lors de la Révolution française. Le paysage administratif de la France est alors complètement bouleversé et remodelé. C’est l’apparition des régions, départements, cantons et communes avec leur sens actuel.

- Loi du 14 décembre 1789 : la commune devient la cellule administrative de base. Au cours du débat, Thouret, Sieyès et Condorcet se prononcent pour la mise en place de 6.500 municipalités contre l'avis de Mirabeau. Pour les premiers, la démocratie est plus forte dans les grandes communes, mieux adaptées pour permettre l'expression populaire. Pour Mirabeau, le maintien des structures éparpillées permet de mieux contrôler les citoyens et garantit au pouvoir central une plus grande sérénité. Finalement, la loi unifie le statut des communes et leur donne leur actuelle dénomination mais leur délimitation est largement reprise de celle des 44 000 paroisses constituées dès le Moyen-âge. Elle précise que : « Les corps municipaux auront deux espèces de fonctions à remplir ; les unes propres au pouvoir municipal ; les autres propres à l'administration générale de l'État et déléguées par

ant ainsi de la ville

elles aux municipalités ». Les membres du conseil général de la commune et le maire sont élus pour 2 ans.55

Le choix de réutiliser les limites paroissiales pour créer les communes entraîne donc parfois un fractionnement des banlieues, les paroisses périphériques se détach

centrale et devenant communes indépendantes56. Ainsi, les limites communales

actuelles ne correspondent pas forcément aux anciennes limites de la banlieue.

53 Bochaca 1997. 54 Gauvard 2002.

55 Création de la commune d’après le site de l’Assemblée nationale, Histoire et Patrimoine / La

décentralisation (1789 - 2010).

56 Bochaca 1997 p. 8 : « Les paroisses rurales suburbaines, promues au rang de communes,

acquirent alors leur autonomie vis-à-vis de la ville ».

Enfin, cette impression, que les gens de l’époque n’aient eue d’intérêt à caractériser les abords immédiats de leur ville que d’un point de vue juridique, est confirmée par les représentations des villes de l’époque moderne. Entre le 16e et le 18e siècle, les

représentations du dehors de l’enceinte répondent plus à des effets « de mode », des conventions de dessin, qu’à une réalité57. En effet, en se basant sur l’exemple de Bordeaux,

l’extra-muros n’est représenté qu’à partir du 17e siècle et sert plutôt, au départ, d’anti-portrait

à la ville. La ville est magnifiée (que l’on choisisse de mettre en exergue la ville royale, les

racines romaines ou d’au maginaire.

r une réalité qui ne

rée « Bannmeile », et du Dictionnaire historique des institutions d’Alsace,

tres facettes encore) au détriment d’un extra-muros i