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1.3 Les auditions de Masao Yoshida

1.3.1 Publication des auditions de l’ICANPS

L’ICANPS a auditionné près de 772 individus, pendant environ 1 479 heures. Parmi eux, on trouve des cadres, des employés et des membres des comités d’entreprises et d’organisations telles que TEPCO, la NISA et la NSC. Des politiciens comme les maires de Futaba et d’Okuma – sur lesquels se trouve le site de la centrale, le Premier ministre Naoto Kan et les membres de son cabinet ont également été interrogés. Enfin, les membres de l’ICANPS se sont entretenus avec des résidents des communes proches de la centrale et ont visité un centre d’accueil des évacués (ICANPS, 2011, 2012).

L’intention du Gouvernement de publier ces auditions n’est pas claire dans un premier temps. Cependant, la presse parvient à se procurer certaines transcriptions de ces auditions et en publie des passages. Ainsi, le 20 mai 2014, Asahi Shimbun42, met en ligne « The Yoshida

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Testimony », un récit de l’accident nucléaire utilisant les auditions de Masao Yoshida comme source principale et dont certains extraits sont cités verbatim. Parmi les descriptions de l’accident vécu à l’intérieur du site, une révélation provoque un tollé médiatique. En effet, Asahi

Shimbun avance que 90 % des cadres présents sur le site de la centrale se sont enfuis après l’explosion du réacteur 2 pour se réfugier à la centrale de Fukushima Dai Ni, désobéissant ainsi aux ordres de Yoshida (The Asahi Shimbun, 2014).

Cette assertion va à l’encontre du discours tenu par les responsables de TEPCO, qui assure que l’opérateur a évacué de lui-même la majorité des travailleurs de manière temporaire. Cette publication apparaît à une période où la société japonaise débat sur l’opportunité de redémarrer les réacteurs arrêtés par précaution. Pour certains observateurs, Asahi Shimbun utilise sa tribune pour attaquer TEPCO, notamment sur son incapacité à communiquer de manière transparente sur l’accident. La compétence de la compagnie à maîtriser la sécurité des installations serait par ailleurs décrédibilisée par le fait que certains cadres, parmi les plus aguerris, ont abandonné leur poste durant l’accident (Fackler, 2014).

Pendant l’été, d’autres extraits des auditions de Yoshida sont divulgués dans la presse japonaise, et notamment dans Sankei Shimbun, un autre quotidien important dans l’archipel mais opposé politiquement à Asahi. En août, Sankei prétend avoir pris possession des transcriptions des auditions et accuse Asahi d’avoir déformé les faits et interprété fallacieusement les transcriptions43. En effet, pour la rédaction du journal, l’abandon de la

centrale s’est plutôt effectué dans la confusion et non dans une intention de désobéir à Yoshida. Défavorable au Gouvernement de Naoto Kan, Sankei en profite également pour railler la gestion de l’accident par le Kantei (“Fukushima No. 1 chief feared nuclear doom for eastern Japan” 2014).

Refusant jusqu’ici de publier les transcriptions malgré les demandes répétées de la presse, le Gouvernement annonce fin août qu’il cède à la demande générale afin de rétablir la vérité sur les propos du directeur de la centrale (Yoshida, 2014). Le 9 septembre 2014, l’intégralité des auditions est téléchargeable sur le site web du Kantei44. Acculée, la direction d’Asahi Shimbun publie un éditorial où elle s’excuse des allégations initiales publiée dans le journal et renvoie son rédacteur en chef45. Elle effectue également des corrections dans le récit de

l’accident publié sur leur page internet, en prenant soin de garder la version initiale (The Asahi Shimbun, 2014).

43 Cette accusation a été suivie par d’autres journaux.

44 A l’origine, tous les documents étaient disponibles à l’adresse suivante, mais semblent inaccessibles

aujourd’hui : http://www.cas.go.jp/jp/genpatsujiko/hearing_koukai/hearing_list.html

45 Notons que ces excuses concernaient également des articles publiés dans les années 1980 et 1990, où un auteur

prétendait avoir « recruté » jusqu’à deux-cent esclaves sexuelles coréennes pour les camps militaires japonais. Les premières indications d’erreur dans son récit avaient été publiées dès 1992 par des historiens de l’archipel.

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1.3.2 Les auditions de Masao Yoshida

Le directeur de la centrale est né en 1955 à Osaka. Il effectue des études d’ingénierie nucléaire au sein de l’Université de Tokyo et est embauché par TEPCO en 1979, où il prend des fonctions très diverses. En effet, au cours de sa carrière, il alterne des postes à Fukushima Dai Ichi, Fukushima Dai Ni et le siège social de TEPCO. Ces postes sont généralement en lien avec la maintenance des installations nucléaires ou la production d’électricité. En 2007, à la suite de restructurations du siège social, il devient directeur du département « gestion des installations nucléaires », où il s’occupe notamment de suites du séisme de Chûetsu survenu la même année. Ce dernier est à l’origine de l’accident de Kashiwazaki-Kariwa et Yoshida doit mettre en place le retour d’expérience et la mise en conformité des autres centrales de TEPCO. Le 28 juin 2010, il est affecté à la direction de la centrale de Fukushima Dai Ichi. Il dirige de ce fait la cellule de crise sur site durant l’accident du 11 mars et les opérations menées sur les réacteurs durant les mois suivants. Il est contraint de démissionner de ses fonctions en décembre 2011 pour des raisons de santé. Masao Yoshida est mort le 9 juillet 2013.

Les auditions de Yoshida sont publiées en même temps que celles de dix-huit autres personnes46. Parmi elles figurent des membres du Gouvernement – dont Naoto Kan, des

membres d’agences de contrôle de la sécurité nucléaire ou encore des professeurs. Mais c’est bien au directeur de la centrale qu’est alloué l’espace le plus important, avec onze différents documents (sur trente-sept), soit près de quatre cents pages d’échanges (cf. Tableau n°2).

Date (et heures47) de

l’audition Sujets abordés

Volume du compte-

rendu Enquêteurs présents à l’audition

22/7/2011

(de 10h25 à 15h06)

L’accident et les

actions entreprises 59 pages

Yôtarô HATAMURA, Kunio YANAGIDA, Masao FUCHIGAMI, Shinji OGAWA, Tsunemasa KATÔ, Toshitaka NAGATA

29/7/2011

(de 10h25 à 14h50)

L’accident et les

actions entreprises 61 pages

Yôtarô HATAMURA, Kunio YANAGIDA, Masao FUCHIGAMI, Tsunemasa KATÔ, Atsushi OIKAWA, Toshitaka NAGATA. 8/8/2011 (de 10h01 à 17h13) 9/8/2011 (de 9h54 à 15h53) L’accident et les actions entreprises

1 37 pages Tsunemasa KATÔ, Tetsu CHIBA L’accident et les

actions entreprises

2 31 pages

46 Le 25 décembre 2014, le Gouvernement japonais met en ligne sur son site internet cent vingt-sept nouvelles

auditions.

46 L’accident et les actions entreprises 3 35 pages L’accident et les actions entreprises 4 68 pages L’accident et les actions entreprises (Document) 48 pages 9/8/2011 (de 16h à 17h) Mesures concernant l’eau

contaminée 4 pages Kôta OKADA 13/10/2011 (de 16h à 17h) Prévision avant le 24 mars de l’existence d’eau fortement contaminée

7 pages Tomomitsu TAKASHIMA, Kôta OKADA 6/11/2011

(de 11h à 16h20) L’accident et les actions entreprises 66 pages Tsunemasa MATSUMOTO, Yûki OKADA KATÔ, Akira 6/11/2011

(de 16h26 à 19h02)

L’accident et les

actions entreprises 37 pages Tsunemasa OKUZAWA KATÔ, Hiroko

Tableau n° 2 : Liste des auditions de Yoshida publiées par l’Etat japonais.

Ces auditions se déroulent sur six séances différentes entre le 22 juillet et le 6 novembre 2011, pour une durée totale avoisinant les vingt-huit heures d’entretien. Elles ont lieu au Japan Football Village (J-Village), un centre d’entraînement de football situé à proximité de la centrale à Futaba, dans la Préfecture de Fukushima48. Elles sont enregistrées sur un appareil

numérique. Comme le montre le tableau n°2, treize membres différents de l’ICANPS ont participé à ces entretiens. Toutefois, les documents ne précisent pas lequel d’entre eux pose les questions. En effet, ces documents se présentent pratiquement tous sous la forme d’un compte- rendu en forme Question / Réponse. La seule exception concerne l’audition du 13 octobre où le document est organisé en thématiques spécifiques, suivies par un compte-rendu des réponses de Yoshida.

Les questions des enquêteurs balaient une période de temps large. Elles se focalisent sur la gestion de l’accident nucléaire, notamment entre le séisme du 11 mars et les efforts fournis le 15 mars après l’explosion du réacteur 2, mais vont également au-delà de cette plage. Ainsi, les enquêteurs abordent d’autres éléments - reliés pour eux à l’accident - tels que le manque de

48 Seule la réunion du 13 octobre, qui a duré une heure, a lieu dans le bâtiment antisismique de la centrale de

47 préparation des équipes de la centrale, l’expérience professionnelle de Yoshida, ou encore la gestion des eaux contaminées sur le site à la suite de la catastrophe.