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3.2 La recherche qualitative

3.2.3 Le fonctionnement des approches qualitatives

Si l’analyse qualitative est parfois considérée comme une approche inductive, elle est parfois davantage rapprochée de l’abduction. Cette proximité a été fondée sur les théorisations de C.S. Peirce, qui n’a pas utilisé de vocabulaire fixe pour désigner ce mécanisme, utilisant parfois le syntagme « inférence hypothétique » ou encore « rétrodéduction » (Dumez, 2013). Dans tous les cas, il s’agit pour Peirce d’un type d’inférence qu’il faut considérer en addition de la déduction et de l’induction.

La déduction procède par nécessité : on tire d’une ou de l’ensemble des propositions initiales une nouvelle qui en est une conséquence nécessaire. L’induction procède par généralisation d’un cas particulier observé sur toute une classe de cas assimilés. Elle permet par exemple de tirer une loi à partir de faits. Le raisonnement abductif porte quant à lui sur ce qui est probable. Il s’agit dès lors d’énoncer un principe général à partir de l’observation de faits en déterminant leurs causes possibles et de vérifier si ce principe s’applique à tous les faits observés (Angué, 2009).

Ces trois inférences constituent pour Peirce des étapes du processus scientifique. A partir d’une hypothèse donnée, on prédit un certain nombre d’effets. Ensuite, ces prédictions gagnent en vraisemblance grâce à la montée en généralisation puisqu’elles sont comparées à des effets observés. Si un fait surprenant – s’il est nouveau ou s’il constitue une anomalie – apparaît, il suffit à formuler une nouvelle hypothèse qui expliquerait cet imprévu. L’explication peut se décliner sous la forme de faits, de règles ou encore de théories ; elle peut mettre en évidence des mécanismes, ce qui l’associe à une démarche qualitative (Dumez, 2013).

Dans une approche qualitative, le chercheur essaie généralement de raconter une histoire. A partir de cas étudiés et a fortiori limités, cette histoire entend les rassembler pour comprendre et restituer quelque chose de général au-delà des cas particuliers. Il s’agit par exemple d’expliquer les enjeux collectifs qui ont encadré des épreuves individuelles et de les articuler entre eux, à l’épreuve de la littérature scientifique et des observations sur le terrain (Caiata- Zufferey, 2013). Cette histoire est établie à partir de données qui laissent percevoir des indices

105 sur une réalité inatteignable expérimentalement, mais que le chercheur tente de reconstruire avec rigueur et créativité. Il cherche la pièce manquante dans l’amas de données qu’il détient et construit des hypothèses pour expliquer le fait surprenant, en tenant compte des connaissances disponibles (Ibid.).

L’abduction ne permet pas en elle-même de favoriser une hypothèse explicative plutôt qu’une autre. Il faut donc appliquer quelques critères pour choisir les hypothèses à considérer dans un premier temps. Le premier critère réside dans la qualité de l’explication du fait surprenant observé. Le deuxième concerne la possibilité d’effectuer des tests empiriques. La capacité d’expliquer le plus de faits en étant l’hypothèse la plus économique constitue le troisième et le plus important critère. Le critère économique porte sur le temps, l’énergie, la faisabilité et la simplicité de l’hypothèse. Enfin, le quatrième critère est que l’hypothèse ne doit pas être péremptoire et laisser le champ à des recherches ultérieures (Dumez, 2013).

Pour Dumez, la validité de cette forme d’inférence n’a pas été réglée définitivement par Peirce, mais il existe des indices sur ce qui la renforcerait. Le processus de triangulation, qui renvoie à la recherche de faits non observés et indépendants pour lesquelles l’hypothèse nouvelle fonctionne, permet au moins une validation temporaire du cadre théorique élaboré (Ibid.).

Dans leur fonctionnement, les démarches qualitatives s’appuient le plus souvent sur les discours, les intentions, les actions, les interactions des acteurs qu’elle entend analyser. La recherche qualitative est souvent effectuée à partir de corpus volumineux. Dans les recherches qui ne se fondent que sur un cas ou un petit échantillon, la visée de la recherche ne peut que modifier un cadre théorique existant ou permettre d’en élaborer un nouveau. Par ailleurs, les données recueillies pour les besoins de la recherche sont souvent hétérogènes. Certains chercheurs les classent en six catégories : les observations directes, les entretiens, les notes prises par le chercheur, les documents, l’observation-participation et les artefacts physiques (Dumez, 2013).

Il existe plusieurs opérations d’analyse qualitative des données. Celles-ci sont d’ordre technique (transcription, découpage de texte, tableau, établissement de grilles de lecture) ou mentale (analogie, regroupement intuitif, confrontation à la littérature, induction). Elles peuvent concerner toutes les étapes de la recherche (Paillé and Mucchielli, 2012). Ensuite, étant donné la part d’imagination et de créativité inhérente à toute analyse de discours, cette dernière dépend beaucoup de la formation et des éléments qui constituent l’identité du chercheur. Ainsi, sa conception du monde, sa discipline d’origine et ses références théoriques influencent, entre autres, sa manière de traiter et d’interpréter les données (Fallery and Rodhain, 2007).

Les opérations d’analyse peuvent permettre d’identifier des mécanismes, de mettre en place des typologies ou encore de redéfinir des concepts existants. Dans le premier cas, il s’agit d’identifier des liens entre les phénomènes observés et l’enchaînement de causes qui a mené à leur réalisation. L’explication via l’identification de mécanisme doit être une abstraction précise et transposable sur d’autres phénomènes, qui traite d’acteurs et d’actions. L’analyse par

106 mécanismes peut permettre de se passer de lois générales, si elle fournit des explications plausibles et possibles et qu’elle peut être appliquée à différents contextes – elle ne doit pas se limiter à une explication ad hoc (Dumez, 2013). Le deuxième cas consiste à re-contextualiser des théories selon des cas différents. Les typologies obtenues peuvent être descriptives (caractérisations à partir de la théorie), classificatoires (classer les cas étudiés selon des types connus) ou explicatives/exploratoires (confrontation des prédictions théoriques avec les cas analysés).

Ces trois typologies peuvent avoir lieu à des stades différents de la même recherche (Ibid.). Enfin, la redéfinition d’un concept signifie le processus de sa délimitation, de l’élargissement de son champ ou d’élaboration de nouvelles relations avec les concepts voisins. Le processus de recherche dans ce cas permet d’inventer de nouveaux concepts ou d’établir des liens dynamiques plus précis entre la dénomination d’un concept existant et sa connotation (Ibid.).

Ces différents processus de recherche sont liés entre eux. Ainsi, un concept est défini par rapport aux autres concepts qui l’entourent et tire sa portée explicative des mécanismes qui le spécifient. En outre, les mécanismes doivent être comparés entre eux, au sein de familles ou de groupes et se prêtent à l’élaboration de typologies. Enfin, les typologies explicatives portent sur des mécanismes ou des concepts plutôt que sur des cas (Ibid.).

Ces considérations théoriques sur le fonctionnement des méthodes qualitatives nous permettent de souligner leur diversité et leur articulation selon le besoin du chercheur. Ces méthodes permettent d’accéder au sens que les individus donnent aux événements qu’ils ont vécus, notamment à travers leurs discours. Dans le cadre de notre étude, nous considérons que le stress et le coping sur des résultantes des interprétations que les individus se font des situations stressantes. Nous utilisons donc le récit de vie de Masao Yoshida pour y analyser les interprétations que celui-ci se fait de la situation extrême. Les deux dernières sections présentent un cadre théorique sur les récits et des récits de vie, puis une présentation des méthodologies qualitatives et de leur utilisation en sciences sociales. Dans cette dernière section, nous revenons sur les caractéristiques du récit de Masao Yoshida, puis des étapes que nous suivons pour son analyse.

3.3

Utilisation du récit de vie de Masao Yoshida pour une