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2.3 Définition de marqueurs de stress et de coping à partir des extraits de l’audition

2.3.2 La désobéissance de Yoshida pour éviter la catastrophe

Le deuxième extrait porte sur la décision d’injecter de l’eau dans le réacteur 1 le soir du 12 mars, alors que le bâtiment réacteur a explosé plus tôt dans la journée et que les réserves en eau douce s’amenuisent.

« [Yoshida] : Oui. On en a beaucoup parlé. Pour nous, nous avions

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l’opération. Le siège était au courant et j’avais fait un rapport pour dire qu’on avait commencé l’injection d’eau de mer à 19h04.

On a dit beaucoup de choses à propos de ça. Mais, je vais être très franc avec vous, assez vite après le début de l’opération, j’ai reçu un coup de fil de Takekuro, qui était chez le Premier ministre. Et là, ça va peut-être être un peu différent de ce qui a été communiqué à la presse vers le 20 mai. Mais, si je vous rapporte fidèlement le contenu de ce que j’ai entendu au téléphone, il a dit : « le Premier ministre n’a pas encore donné son accord concernant l’injection d’eau de mer ». Et il m’a ordonné d’arrêter l’injection d’eau de mer. Oui, c’est Takekuro qui me l’a ordonné. Il ne m’a donné aucune explication, ni contexte. Il m’a juste dit d’arrêter.

Alors j’ai tout de suite contacté le siège en rapportant ma conversation avec Takekuro et je leur ai demandé s’ils étaient au courant. Je pense qu’à ce moment-là Komori n’était pas là, il devait être à une conférence de presse ou quelque chose comme ça. J’en ai donc parlé avec Takahashi. On avait jugé qu’il était difficile de passer outre et qu’on allait arrêter. Seulement, comme nous avions déjà envoyé de l’eau dans le réacteur, nous avons décidé de présenter ça comme un essai. Un essai pour voir si le circuit était viable ou pas. D’ailleurs, il me semble que c’était le siège qui avait imaginé cette histoire d’essai. Parce que, voyez-vous, nous, on ne pensait absolument pas à ce genre de chose. Et donc, nous avons décidé de présenter l’injection de 19h04 comme un essai d’injection.

On avait donc fini de faire l’essai et on allait s’arrêter. On avait décidé de s’arrêter. Seulement, moi, arrivé à ce stade, je n’avais aucune intention d’arrêter l’injection d’eau. De plus, ils parlaient d’un arrêt, mais on ne savait même pas combien de temps allait durer cet arrêt. Ils auraient parlé d’un arrêt de trente minutes, passe encore. Mais un arrêt avec aucune garantie de reprise. Pour moi, il n’était pas question de me soumettre à un tel ordre. J’ai décidé de faire à ma manière. Alors, j’ai effectivement annoncé à ceux qui se trouvaient à la table de crise qu’on allait arrêter, mais j’avais discrètement pris à part le responsable du groupe « sûreté », XXXXX, qui était en charge de l’injection et lui avais dit que j’allais annoncer à la cantonade qu’on allait arrêter l’injection, mais que lui, à aucun prix, ne devait arrêter d’envoyer l’eau. Ensuite j’ai fait un rapport au siège pour dire qu’on avait arrêté.

Après, on se retrouve dans les discussions du vingt-septième rapport. Plus tard, je ne sais plus à quelle heure, l’autorisation d’injecter arrive du Premier ministre, sans doute juste avant le vingt-septième envoi, et, du coup, on fait un rapport annonçant, après l’essai, le début de la véritable injection à 20h20, qui sera l’objet de cette vingt-septième information.

78 […]

[Yoshida]

Takekuro était à la résidence du Premier ministre et comme la résidence ne faisait pas partie de la téléconférence, il m’a téléphoné. Je lui ai dit qu’on ne pouvait pas faire une chose pareille, qu’on venait juste de commencer l’injection, après tout le mal qu’on s’était donné. Pour parler tout à fait franc, il m’a dit de manière très autoritaire d’arrêter de discutailler et d’arrêter (l’injection). Ça m’a révolté, mais j’ai raccroché. Puis j’ai contacté le siège en les informant de ce que me disait Takekuro et en leur demandant si, de leur côté, ils avaient aussi reçu des ordres. Mais Takahashi n’a pas été très clair, je n’arrivais pas à savoir s’ils avaient eu des directives ou pas. Peut-être en avait- il reçu et tentait-il ainsi de les ignorer ? L’idée m’a effleuré. Il faudrait l’interroger en personne.

[…] [Yoshida]

Ah, je pense que la plupart pensaient qu’on l’avait arrêtée. »

Les travailleurs doivent refroidir le cœur endommagé du réacteur, mais manquent d’eau douce pour y parvenir. Yoshida demande donc de mettre en place un réseau d’injection d’eau de mer. Pour cela, les opérateurs comptent utiliser une quantité d’eau de mer amenée par le tsunami qui s’était accumulée dans une piscine près du réacteur 3.

La cellule de crise notifie au siège de TEPCO le début de l’injection. Mais le vice Président-Directeur Général Takekuro lui donne l’ordre d’arrêter la manœuvre, sans autre explication que l’absence d’accord du Premier ministre. Le siège se montre inflexible malgré les explications de Yoshida et ignore les efforts qui ont été effectués sur le terrain pour permettre d’établir le circuit d’eau de mer. Or, Yoshida est conscient de l’obligation de continuer à refroidir le réacteur et demande au responsable sûreté de la centrale de continuer l’injection, mais rapporte son arrêt aux autorités.

Yoshida fait part de son énervement et de sa frustration dans cet extrait. Alors qu’il est déterminé à injecter de l’eau de mer, qu’il considère comme indispensable, l’attitude du siège de TEPCO le révolte. Tiraillé entre l’injonction des autorités et l’obligation de sécuriser l’installation, Yoshida choisit d’ignorer la première. Conscient que le siège de TEPCO est loin de concevoir la réalité du terrain et peu convaincu des arguments avancés, il privilégie ce qu’il estime être plus urgent, quitte à mentir lors de son rapport officiel aux autorités.

Pour lui, le danger que représente le réacteur à ce moment-là est supérieur à la tension que peut créer un conflit avec le siège ou avec le Gouvernement. Il résout cette tension en choisissant l’option qui lui paraît la plus juste et la mieux à même d’atténuer la menace qui se présente face à lui.

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