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Le pubertaire : on viole un enfant

2. Le concept d'Idéal du Moi

3.3. La perversion : une étape possible dans la voie de la relation d’objet génital ?

3.3.1. Le pubertaire : on viole un enfant

Ce qui nous intéresse ici est d’envisager la puberté et les remaniements psychiques qu’elle implique comme une véritable séduction traumatique, mobilisant comme défense l’agir pédophile vu de ce fait comme un retournement de la séduction ; ceci ne préjuge en aucun cas de l’immuabilité de cette solution comportementale à l’âge adulte, mais permet d’envisager la mise en acte comme l’expression du vécu de l’auteur.

Le pubertaire a été théorisé par Philippe Gutton comme « une sexualisation du travail psychique […] une génitalisation des représentations incestueuses […] à réfléchir par rapport à son ancrage dans le réel biologique exerçant une pression sur les trois instances et se heurtant à la barrière de l’inceste que l’œdipien infantile légua. »203

Le « pubertaire » serait en somme au psychisme ce que la puberté est au corps, et appellerait une élaboration psychique faite d’une « idéalisation organisatrice » que l’auteur a nommée « adolescens » : « Dans le pubertaire l’enfant suit tragiquement le destin d’Œdipe. Par l’adolescens, il désexualise la violence de ses pulsions et procède à un travail de subjectivation et d’historicité. »204

Comme de nombreux auteurs post- freudiens ayant consacré leurs recherches à l’adolescence, Philippe Gutton part de l’idée freudienne d’une reprise lors de la puberté des fantasmes incestueux et parricides oedipiens, mais dépasse l’idée d’une simple réédition du complexe d’œdipe sous l’égide de l’organisation génitale infantile, pour situer le processus autour d’une vectorisation des remaniements psychiques par l’idéal du moi et ce que de nombreux auteurs à la suite de R.Cahn ont nommé le « processus de subjectivation » à l’adolescence205

.

A la puberté dit Freud, les pulsions partielles et les buts pré-génitaux de l’enfance convergent sous le primat des zones génitales, « l’établissement de ce primat au service de la reproduction est donc la dernière phase que traverse l’organisation sexuelle. »206 La puberté fait du corps de l’enfant, corps narcissique/phallique, un corps génital.

Mais loin de se faire paisiblement cette « génitalisation » peut bouleverser le fragile équilibre de l’organisation psychique infantile. L’ensemble des auteurs insiste sur la violence de la transformation. Pour Gutton, « la puberté serait le dernier traumatisme que l’enfant aurait à subir. Elle est le plus important, celui qui reprend tous les autres ou rend traumatique ce qui n’était que complexe imagoïque (théorie de l’après-coup). »207

F.Marty, en prenant exemple d’une modification physique, considère que « la mue de la voix du garçon est une belle illustration de cette métamorphose (littéralement un changement de structure) en donnant à entendre la violence et l’élaboration de cette violence faite au corps d’enfance. »208

203 Gutton Ph., Le Pubertaire, Paris, PUF, 1991, p.11. 204 Ibid. p.12.

205 Cf. Cahn R., L’adolescent dans la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation, Paris, PUF, 1998 ; Richard F., Le

processus de subjectivation à l’adolescence, Paris, Dunod, 2001 entre autres.

206 Freud S. (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p.130. 207 Gutton Ph., Le Pubertaire, Paris, PUF, 1991, p.30.

Le franchissement de ce que F.Marty (2002a) nomme le « seuil pubertaire » ne peut donc se faire que sur la base d’une organisation psychique suffisamment solide. Or, nous l’avons vu, il se trouve que les adolescents auteurs d’agirs pédophiles ne peuvent s’appuyer sur un œdipe suffisamment structuré dans l’enfance, même si certains d’entre eux présentent comme nous l’avons pensé une ébauche de triangulation structurante.

Les difficultés à « secondariser » les émergences pulsionnelles par la sublimation ou le travail de la pensée, la fixation à l’objet maternel incestueux, l’inconsistance ou l’absence d’une fonction paternelle organisatrice que nous avons cherché à mettre en évidence dans nos cas cliniques sont autant d’obstacles à la possibilité d’une appropriation de ce corps génital, porteur d’une « inquiétante étrangeté », qui d’après Marty est « toujours impliquée dans les comportements violents de l’adolescent »209

. Il n’est dès lors pas étonnant qu’ils soient amenés à régresser à une organisation narcissique-phallique ou sadique-anale pour trouver des défenses suffisamment solides face aux menaces archaïques qui affleurent.

En outre, chez tout adolescent « la violence de l’œdipe génital a tendance à ramener à un inceste primordial mère-bébé et fait ressurgir l’archaïque »210, et peut-être plus particulièrement chez nos patients. Le fantasme d’union narcissique-incestueuse refait surface de manière encore plus pressante pour eux, véhiculant les angoisses archaïques qui lui sont attachées. La marge de manœuvre défensive est étroite et la menace grande, on comprend mieux que l’acte soit une des réponses les plus accessibles à ces sujets fragilisés, d’autant plus si l’on suit S.Lesourd, pour qui c’est le réel du corps qui explique la propension à l’agir des garçons à l’adolescence : « En premier lieu, c’est la musculature qui se développe, renforçant ainsi la pulsion d’emprise chez le petit mâle », nous dit-il, « Cet aspect actif sera encore renforcé par la découverte de l’éjaculation qui fait conjoindre orgasme sexuel et expulsion séminale à l’extérieur. Le garçon est poussé par le réel du corps à « s’étaler », se répandre au dehors. »211

On peut alors penser que le pubertaire, comme renforcement pulsionnel et comme génitalisation des représentations incestueuses, est une séduction traumatique (« L’ « encore-

209 Marty F. et al., Transactions narcissiques à l’adolescence, Dunod, Paris, 2002, p.58. 210 Gutton Ph., Le Pubertaire, Paris, PUF, 1991, p.47.

enfant » serait aujourd’hui séduit par sa puberté même » 212

) assimilable à un « viol » psychique . Nous allons donc tout à fait dans le sens de Ph.Gutton213

pour dire que c’est par « identification au séducteur » que l’adolescent devient pédophile.

En somme, ainsi que le formule S. de Mijolla-Mellor, « comme pour toutes les situations où les repères préalables sont remis en question, le danger de déséquilibre induit des comportements défensifs, pensée ou acte, propres à rétablir une nouvelle suture, sauf dans le cas privilégié où une érotisation suffisante a pu soutenir le désarroi. »214