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Distinction entre Idéal du Moi et Surmoi

2. Le concept d'Idéal du Moi

2.4. Distinction entre Idéal du Moi et Surmoi

Cet aperçu des développements théoriques post-freudiens nous permet de repérer la pertinence d'une distinction entre Moi-idéal et Idéal du Moi. Qu'en est-il de la distinction entre Idéal du Moi et Surmoi ? Nous avons vu qu'en 1915, le Surmoi n'est pas encore introduit mais est présent à l'esprit de Freud lorsqu'il évoque l'instance critique ou la conscience morale. Nous avons également vu que dans Pour introduire le narcissisme, Freud spécifie les registres d'action de chacun, l'un étant un modèle à suivre, l'autre étant l'instance qui compare le Moi à cet idéal et se pose en gardien de la satisfaction narcissique.

En 1921, dans Psychologie des foules et analyse du Moi, Freud évoque son étude sur la mélancolie de 1916-1917 pour reparler de l'Idéal du Moi. Il propose à nouveau l'idée d'un Moi coupé en deux, dont l'une des parties s'acharne sur l'autre, pour dire que « l'instance qui peut se dissocier de l'autre moi et s'engager dans des conflits avec lui, nous l'avons appelée « idéal du moi » et lui avons attribué comme fonctions l'auto-observation, la conscience morale, la censure onirique et l'exercice de l'influence essentielle lors du refoulement. Nous avons dit qu'elle était l'héritière du narcissisme originaire, au sein duquel le moi de l'enfant se suffisait à lui-même. »70

On peut remarquer que, tout en se référant à son travail de 1914, Freud tend à confondre l'Idéal du Moi avec l'instance critique (ce qu'il ne faisait pas en 1914) et même à faire absorber l'Idéal du Moi par cette instance.

68Penot B., « Réprimer, idéaliser, sublimer », in Revue Française de Psychanalyse, 1/2001, p.73.

69Givre Ph., Commentaire du texte de F.Redl « La psychologie des bandes », in Marty F. (dir.), Le jeune délinquant,

Désir, Payot, Paris, 2002, p.104.

Pourtant, dans ce texte, l'Idéal du Moi garde par ailleurs un statut autonome et des caractéristiques spécifiques. A propos du choix amoureux, Freud dit que « l'objet sert à remplacer un idéal du moi propre, non atteint. On l'aime à cause des perfections auxquelles on a aspiré pour le moi propre et qu'on voudrait maintenant se procurer par ce détour pour satisfaire son narcissisme. »71

Plus loin, il énonce qu'« une foule primaire est une somme d'individus, qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en conséquence, dans leur moi, identifiés les uns aux autres. »72

Ainsi que le relève Janine Chasseguet-Smirgel, « dans ce texte l'Idéal du Moi garde bien ses caractéristiques spécifiques, narcissiques en particulier, et il se révèlerait bien difficile de substituer partout « Surmoi » à « Idéal du Moi ». »73

Le terme de Surmoi est introduit en 1923, dans Le Moi et le Ça. Dans ce texte, « Surmoi », « Idéal du Moi » et « Moi-idéal » sont utilisés comme synonymes. On ne peut plus repérer de différence conceptuelle entre ces notions.

Freud reprend et développe dans ce texte l'idée d'une différenciation à l'intérieur du Moi, qui génère le conflit intra-psychique, et qu'il convient selon lui de nommer idéal du moi ou surmoi. Cette différenciation est le résultat du processus d'identification en tant qu'il constitue une issue au complexe d'œdipe.

L'enfant aux prises avec le dilemme œdipien, doit renoncer à ses investissements d'objet. L'identification consiste à ériger l'objet dans le Moi, pour remplacer l'abandon de l'investissement pulsionnel de la relation d'objet. Ainsi, le Moi s'offre comme objet au Ça en en adoptant les traits.

« Cependant, dit Freud, le sur-moi n'est pas simplement un résidu des premiers choix d'objets du Ça, mais il a aussi la signification d'une formation réactionnelle énergique contre eux. Sa relation au Moi ne s'épuise pas dans le précepte : tu dois être ainsi (comme le père), elle comprend aussi l'interdiction : tu n'as pas le droit d'être ainsi (comme le père).[...] Ce double visage de l'idéal du moi dérive du fait que l'idéal du moi a fait tous ses efforts pour le refoulement du complexe d'œdipe, et même qu'il ne doit sa naissance qu'à son renversement. […] Les parents, en particulier le père, ayant été reconnus comme l'obstacle à la réalisation des désirs œdipiens, le moi infantile en vue d'accomplir ce refoulement se renforça en érigeant en lui ce même obstacle. »74

71Freud S. (1921), « Psychologie des foules et analyse du Moi », in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 2001, p.197. 72Ibid., p.202.

73Chasseguet-Smirgel J., (1973), La maladie d’idéalité, essai psychanalytique sur l’idéal du moi, Paris, L’Harmattan,

C'est en cela que pour Freud, « l'idéal du moi ou sur-moi est la représentance de notre relation aux parents. Petits enfants, nous avons connu, admiré, redouté ces êtres supérieurs, plus tard nous les avons pris en nous-mêmes. L'idéal du moi est donc l'héritier du complexe d'œdipe. »75

Cette présentation du système Surmoi-Idéal du Moi apporte de la clarté au niveau chronologique : il est affirmé comme l'héritier du complexe d'œdipe, alors que les premières évocations de l'Idéal du Moi mêlaient une origine très précoce et narcissique, à des aspects nettement plus interpersonnels (« les réprimandes d'autrui », « l'influence critique des parents telle qu'elle se transmet par leur voix »), où l'objet est spécifié dans son identité sexuelle (la libido en cause dans la formation de l'Idéal du Moi est essentiellement homosexuelle dit Freud en 1914). Cette instance autonome et entrant en conflit avec le Moi, résulte d'identifications secondaires, c'est- à-dire issues de relations d'objet total. Toutefois, Freud ne néglige pas pour autant les fondements archaïques de ces identifications, l'identification secondaire venant renforcer, dit-il, l'identification primaire.

Dans ce texte, le Surmoi a « deux visages », celui du modèle à suivre, et celui de l'interdicteur. La dimension libidinale, de soutien de l'estime de soi, est évoquée, mais c'est surtout l'aspect prohibitif, sévère, voire tyrannique du Surmoi qui est décrit. Freud, qui a introduit l'hypothèse du dualisme pulsionnel trois ans auparavant76, voit la sévérité du Surmoi comme le retournement contre le Moi du sadisme pulsionnel, ce qui fait que « plus un homme restreint son agressivité vers l'extérieur, plus il devient sévère, donc agressif, dans son idéal du moi. »77 Cette idée est reprise dans « Malaise dans la civilisation ».

Perçu d'abord comme l'intériorisation des menaces et des interdits proférés par les parents, le Surmoi sera définit en 1932 dans les « Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse » comme le résultat d'une identification au Surmoi parental, ce qui caractérise le Surmoi comme une instance transgénérationnelle et culturelle. Cette année-là, Freud spécifie l'Idéal du Moi comme une fonction du Surmoi, ce qui clarifie les rapports entre ces deux formations : « Le Surmoi, en effet, est aussi le véhicule de l'Idéal du Moi, par rapport auquel le Moi se mesure, tente de se hausser à son niveau, et dont il essaie de remplir les exigences de perfection. C'est un fait certain que l'Idéal du Moi est le résidu de l'ancienne image des parents, l'expression que l'admiration de l'enfant leur

75Ibid., p. 276-277.

76Freud S. (1920), « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 2001. 77Freud S. (1923), « Le Moi et le Ça », op. cit., p.299.

vouait pour la perfection qu'il leur attribuait. »78

On retrouve ici les modalités d'articulation entre l'Idéal du Moi et le Surmoi décrites dès1914.

Après Freud, plusieurs auteurs ont dégagé une distinction qui nous paraît pertinente entre les « deux visages » du Surmoi, à partir de la dualité pulsionnelle : l'Idéal du Moi serait lié à la libido, le Surmoi à l'agressivité.

D'autre part, plusieurs auteurs post-freudiens ont mis en évidence les racines archaïques du Surmoi, en premier lieu Mélanie Klein79

, mais également Lacan80

. Néanmoins, la relecture de « Malaise dans la civilisation » permet de trouver l'ébauche de cette idée chez Freud lorsqu'il évoque la figure première de l'Autorité, antérieure à la constitution du Surmoi : l'enfant renonce avant tout à ses désirs pour ne pas perdre son amour81

. On peut voir dans cette figure de l'autorité l'objet maternel archaïque chargé d'ambivalence, à la fois menaçant et aimé, dont Mélanie Klein suppose qu'il s'élabore à travers la position dépressive, au sortir de la position schizo-paranoïde (Klein, 1952).