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CHAPITRE 1 A PPROCHE COMMUNICATIONNELLE ET MUSEOLOGIQUE DES

1. Un effacement de la sensibilité des savoirs au profit de l’affirmation

1.3. U NE POSTURE AUCTORIALE MARQUEE ( EN TOUTE IMPERSONNALITE )

1.3.2. De la prudence à la certitude

En effet, les expositions analysées se caractérisent par une énonciation largement impersonnelle et indéterminée, remarquable notamment à travers l’emploi de formules passives. On retrouve ici l’énonciation caractéristique des discours de vulgarisation, largement impersonnelle et intemporelle. L’Alimentarium fait également figure d’exception en matière de transparence et de signature de la mise en exposition, avec une occurrence explicite de l’intervention du concepteur d’exposition et une explication de la démarche de sélection effectuée pour la constitution d’une unité d’exposition, comme par exemple dans le cartel suivant :

« Le choix présenté ici correspond à une consommation moyenne en Suisse ». Alimentarium – Unité sur l’équilibre alimentaire

De manière générale, il y a peu d’énonciateurs secondaires dans les discours, hormis de manière indirecte les auteurs d’études scientifiques, les nutritionnistes, les médecins ou les organismes publics de santé publique.

Dans les discours de type normatif ou prescriptif, l’énonciateur principal - en l’occurrence le concepteur de l’exposition - est particulièrement visible. Les normes sont énoncées généralement par des énonciateurs secondaires indéterminés – que l’on suppose être les scientifiques ou les

pouvoirs publics – et relayées par l’énonciateur principal à travers l’exposition. Ce relai est modalisé de deux sortes : certitude ou mise à distance et/ou relativisation.

La modalisation de la certitude est utilisée pour asseoir un discours d’autorité concernant les recommandations de consommation ou les effets de certains aliments sur la santé, comme c’est le cas à Cité Nature. Ce type de modalisation tend à transformer certains savoirs scientifiques en savoirs de sens commun, à travers des formules de type « On sait que… ». Elle est souvent associée à un discours préventif :

« L’huile de colza, les poissons gras et les crustacés contiennent des acides gras poly -insaturés, les oméga 3, qui peuvent diminuer le risque de maladies cardiovasculaires de 40 % . »

« Les anti-oxydants ( dont les vitamines A,C, E et provitamine A) sont capables de piéger les radicaux libres et sont efficaces en prévention des maladies cardiovasculaires. » Cité Nature – Unité Questions de santé

Dans ce dernier extrait, si la première affirmation est communément admise, la seconde fait encore débat. La modalisation de la certitude contribue ici à évincer l’idée d’une « science en train de se faire ».

La modalisation de relativisation est au contraire utilisée pour atténuer la valeur autoritaire des prescriptions nutritionnelles. L’emploi du conditionnel n’y est pas tant la marque d’un doute que celle d’une reconnaissance, de la part de l’auteur, d’un écart certain entre un idéal de consommation et la réalité des pratiques (Alimentarium et Agropolis Museum). C’est à l’Alimentarium encore une fois que la mise à distance est la plus visible, à travers une rhétorique dialectique de l’écart entre idéal et réalité – pour montrer justement qu’il s’agit d’une norme et non d’une recommandation – avec la conscience des multiples contraintes qui pèsent sur l’acte alimentaire. Le discours normatif sur les bonnes pratiques alimentaires est toujours modalisé au conditionnel, comme le montrent ces extraits de la partie « Manger » :

« Chaque jour, nous devrions absorber 2 à 3 litres d’eau, dont 1 à 2 litres sous forme de boissons, (…) »

« Idéalement, les besoins en énergie devraient être couverts au moins à moitié par les glucides, au plus un tiers par les lipides, le reste par les protéines. »

« Il devrait être possible de manger de manière équilibrée, quels que soient les aliments à disposition, l’absence d’un aliment pouvant être compensée par un autre du même groupe. En réalité, l’équilibre alimentaire dépend étroitement de l’approvisionnement et des ressources financières, du contexte social et politique. »

Dans cette exposition, l’énonciateur secondaire que représente l’instance de formulation des recommandations nutritionnelles est soit indéterminé (« On considère que… », « Par convention »), soit incarné par la Société Suisse de Nutrition, seule « institution » extérieure explicitement présente dans le discours d’exposition en tant qu’énonciateur.

A Agropolis Museum, le discours prescriptif s’adresse moins visiteur-consommateur qu’aux instances responsables de la politique alimentaire et de sa diffusion : scientifiques, économistes, pouvoirs publics…

« Pour manger mieux, il faut améliorer les sciences de la nutrition, la diététique, l’information des consommateurs… et élever le pouvoir d’achat car la sous-nutrition et la malnutrition résultent aussi de la pauvreté. »

Agropolis Museum

Nous retrouvons ici une similitude avec l’approche générale de l’alimentation véhiculée au sein des expositions : les expositions qui privilégient la dimension sociale et non individuelle des liens entre alimentation et santé relativisent les recommandations dans cette perspective. Cette deuxième forme de modalisation exprime également une certaine prudence face à des savoirs non stabilisés. Elle est présente notamment à Agropolis Museum et l’Alimentarium, mais également à Cité Nature pour l’expression de recommandations récentes :

« Il semble que dans les pays industrialisés, les obèses soient plus nombreux parmi les groupes sociaux les plus pauvres, alors que dans les pays en développement, ils seraient plus nombreux parmi les populations urbaines et favorisées. »

L’Alimentarium – Espace Digérer –

« Les nutritionnistes semblent d’accord pour conseiller ce type d’alimentation appelé ‘’modèle méditerranéen’’. »

Agropolis Museum

A Cité Nature il est intéressant d’observer que les savoirs scientifiques non stabilisés sont souvent exprimés au conditionnel, tandis que les recommandations de consommation qui découlent de ces mêmes savoirs sont affirmées avec certitude, traduisant ainsi un engagement auctorial certain.

Ces deux formes de modalisation traduisent des postures auctoriales différentes. La première posture est celle d’un auteur impersonnel, sûr de ses affirmations et engagé dans leur promotion, qui n’hésite pas à interpeller le visiteur sur ces propres pratiques. La seconde est également celle d’un auteur a priori impersonnel, mais s’exprimant avec une certaine forme de distance face à des

recommandations reconnues comme extérieures à l’institution. Nous entrevoyons ici la dernière caractéristique des deux postures auctoriales, à savoir la relation au visiteur.

1.3.3. La relation entre l’auteur et le visiteur : du « vous » au « nous »