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CHAPITRE 1 A PPROCHE COMMUNICATIONNELLE ET MUSEOLOGIQUE DES

2. Diffusion et médiation des QSTS : pour une approche

2.1. Les QSTS comme objets de communication sociale

L’approche en sciences de l’information et de la communication permet de s’interroger sur les interactions suscitées par l’existence sociale des questions scientifiques et techniques sensibles. Pour cela, nous considérons ces dernières comme des « faits de discours » (Caune, 2006-a) dont la diffusion s’opère à travers un processus de médiatisation plus que de vulgarisation.

Des « faits de discours »

Caune (2006-a) décrit, à propos des nanotechnologies, les deux plans d’existence indissociables des QSTS : comme champ de recherche et de pratiques, d’une part, et comme « faits de discours » qui les inscrivent dans les champs socio-économique et politique, d’autre part. Cette dernière caractéristique les inscrit en tant qu’objet de communication sociale, c’est-à-dire comme résultant de discours construits et performatifs dans l’espace public. Il s’agit bien de communication sociale, et non de transmission de connaissances, dans la mesure où la réalité de ces questions est construite par la pluralité d’acteurs qui s’en investissent et mobilisent chacun des représentations sociales, connaissances et procédés discursifs qui leur sont propres. Ce processus de construction sociale du sens, qui fait sortir les QSTS hors du champ techno-scientifique, justifie pleinement la nécessité d’une approche en sciences de l’information et de la communication.

Dans un schéma idéal des relations entre science et société, les citoyens devraient d’abord être informés des tenants et aboutissants du débat - ce qui nécessite du temps - avant de pouvoir y prendre part. Le Marec (2002) note que c’est en réalité impossible car les débats politiques sont soumis à une temporalité très courte, tandis qu’une caractéristique de l’apprentissage est précisément d’avoir lieu sur le temps long. Il ne s’agit donc pas ici d’apprentissage mais d’appropriation et de reformulation de connaissances, aboutissant à des discours et savoirs nouveaux.

Leur performativité dans l’espace public résulte ainsi d’une interaction entre le discours construit et les modalités d’appréhension de ces questions en fonction des représentations sociales qui leur sont attachées, et des représentations liées aux différents médias ou contextes de publicisation de ces questions. Nous pensons également que la médiation d’une QSTS dans l’espace public est un lieu de confrontation ou d’interaction entre différentes visions du monde – scientifique, politique, militante, économique.

Le résultat de ces interactions dépend des acteurs concernés, de la temporalité de la médiation, mais il conduit dans tous les cas à une transformation du discours initial. Les QSTS, par leur dimension sociale, sont de fait amenées à circuler dans l’espace public, à travers différents médias, différentes instances de parole, différentes modalités d’expression. Il est intéressant d’analyser les transformations discursives au cours de la reprise d’un discours source dans diverses instances médiatiques ou sociales. Dans le cas des QSTS, non seulement le discours scientifique de référence n’est pas établi mais de plus il n’est pas le seul convoqué. Les discours scientifiques sont, au cours des processus de la médiatisation et de la confrontation à d’autres types de discours, sujets à transformation, pour des raisons qui ne sont pas celles de la vulgarisation – autrement dit la difficulté à exprimer la science en langage commun – mais qui sont liées à la conjonction d’enjeux scientifiques, économiques, politiques ou sociaux. Cela se traduit finalement par une pluralité de voix, formant ce que Moirand (2007) appelle un

« intertexte plurilogal » dans le fil du discours.

La médiatisation comme processus de construction sociale du sens

« La vérité scientifique, toute relative et acceptée comme telle dans ses sphères de production, se transforme pourtant lorsqu’elle quitte ces espaces, en certitudes incontestables. » (Fayard, 1988 : 15)

Effectivement, le processus de stabilisation des connaissances étant très long, et l’actualité des sciences et des techniques étant sans cesse en cherche d’informations nouvelles, la diffusion des sciences et des techniques dans l’espace public porte fréquemment sur des savoirs non encore stabilisés. A cela s’ajoute la diffusion de savoirs de sens commun, de représentations, d’opinions,

etc. Au cours de la circulation des discours, des fragments nouveaux de réalité apparaissent ainsi et s’ancrent solidement à travers certains mots, certains fragments de phrase qui émergent du champ signifiant interdiscursif complexe qu’est le traitement médiatique d’une QSTS (Veron, 1983 ; Moirand, 2005).

Les QSTS sont une catégorie particulière de connaissances scientifiques et techniques, du fait de l’intrication des dimensions scientifique, politique, économique et sociale. Elles répondent donc à des modalités particulières de diffusion de connaissances, qui peuvent être décrites comme un processus médiatisation au sens où l’entend Delforce (2003) :

« Par situations de ‘’médiatisation de la science’’, nous faisons référence à des situations où l’information scientifique n’est pas communiquée pour elle-même, mais pour l’éclairage qu’elle apporte où qu’on prétend qu’elle apporte, à des questions considérées comme publiques ou sociales, et non comme exclusivement, ou d’abord, scientifiques. » (Delforce, 2003 : 163)

La médiatisation est ainsi vue comme un processus de socialisation des connaissances pour une finalité autre que scientifique, où pour reprendre les termes d’Emmanuel Paris, comme une forme de médiation de la science, « une forme de médiation qui prolonge les chaines de causalité scientifique jusque dans le monde social » (Paris, 2003 : 15). Un exemple caractéristique de cette transformation est la figure du scientifique qui, dans les médias, revêt les habits de l’expert-conseiller, duquel on attend force éclairages et recommandations (Delforce, 2003). Il est moins là en tant que vulgarisateur qu’en tant que figure d’une autorité respectée, gage de légitimité de sa prise de position.

Partant du postulat que « l’information scientifique, comme toute information, mais plus encore en raison de sa complexité, demande à être mise en forme » (Tristanni-Potteaux, 1997 : 105), la conséquence de ce processus de médiatisation est un mode particulier de construction de l’information qui va au-delà des modèles classiques de l’actualité scientifique et technique ou de la vulgarisation. En effet ces questions, liées à des incertitudes scientifiques, remettent en cause la vision traditionnelle de la vulgarisation scientifique et technique qui repose sur une « science qui sait » (Moirand, 2007). Les notions d’incertitude, de controverse et de débat deviennent centrales alors qu’elles avaient été quasiment absentes de la vulgarisation jusqu’alors. La transmission de savoirs scientifiques n’est plus le seul enjeu et la logique scientifique n’est donc plus la seule convoquée (D’Almeida et.al., 2005 ; Moirand, 2007). La pluralité d’acteurs et de voix qui participent à la circulation des discours fait sortir la médiation de ces questions du processus traditionnel de diffusion des connaissances scientifiques et techniques, dans lequel les avancées scientifiques sont expliquées au public non averti par l’intermédiaire d’un médiateur ou d’un dispositif de médiation. Ici, les médiateurs – c’est-à-dire ceux qui finalement contribuent à faire le

lien entre science, techniques et société – sont multiples, et ne poursuivent pas nécessairement les mêmes objectifs.

En ce sens, la médiatisation n’est pas un processus de diffusion de connaissances mais bien un processus de construction sociale du sens. L’intérêt d’une approche en sciences de l’information et de la communication est justement de s’intéresser à la construction de ces questions dans l’espace public. Elle est un moyen d’observer, au-delà de la simple transmission de connaissances, la construction de la réalité, ou plutôt la réalité d’une question sensible telle qu’elle est la construite par les multiples interactions à l’œuvre dans ses modalités d’existence.

Jurdant affirmait : « Comme la science se réalise par la technique, elle se signifie par la vulgarisation » (Jurdant, 1969 : 153), idée reprise par Bensaude-Vincent (2003) dans son analyse des relations entre science et opinion. Mais dans le cas des QSTS, les connaissances scientifiques et techniques deviennent réelles et signifiantes, non pas seulement du fait de la vulgarisation, mais aussi des autres prismes utilisés par les acteurs participant au débat. Le paradoxe soulevé par Jurdant selon lequel la vulgarisation aboutit finalement à effacer le point de vue utilisé pour la construction du savoir et le transforme ainsi en réalité objective, est valable à ces autres modes d’accès et d’usage de la connaissance. Nous nous appuyons pour cela sur l’idée d’un continuum de sociodiffusion des sciences (Jacobi, 1984-a), plutôt que d’une rupture. Les questions sensibles et techniques sensibles s’inscrivent dans un modèle de circulation sociale des savoirs (Moscovici, 1981), où les relations entre savoirs scientifiques et opinions sont caractérisées par des rapports de continuité et d’interdépendance (Canguilhem, 1994 ; Bensaude-Vincent, 2003).

Concernant la médiatisation en particulier et compte tenu des caractéristiques des QSTS, la problématique est alors de déterminer les différentes modalités d’expression d’une question scientifique et technique sensible en fonction des choix opérés par les médias, de leur interprétation des enjeux, mais aussi de la fonction qu’ils s’attribuent dans ce processus de diffusion de questions au cœur de débats. Au sein de ce vaste processus de circulation et de construction des savoirs, la question qui nous intéresse ici concerne la spécificité de la médiation muséale et de l’exposition considérée en tant que média.

2.2 La muséologie des questions scientifiques et techniques sensibles