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CHAPITRE 1 A PPROCHE COMMUNICATIONNELLE ET MUSEOLOGIQUE DES

1. Un effacement de la sensibilité des savoirs au profit de l’affirmation

2.2 La dialectique formelle entre savoirs neutres et savoirs sensibles

l’Alimentarium et d’Agropolis Museum se caractérisent néanmoins par une prédominance de savoirs scientifiques neutres, à l’exception de la présentation de la pyramide alimentaire ou du modèle alimentaire méditerranéen. Ces deux expositions partagent les points communs suivants : ancienneté dans notre corpus, large place laissée aux objets et à la dimension culturelle de l’alimentation… Nous pouvons ainsi d’ores et déjà les identifier comme des expositions plus orientées vers la transmission des connaissances scientifiques que vers leur contextualisation sociale.

A l’inverse, l’exposition temporaire « A Table ! » est majoritairement fondée sur des savoirs non stabilisés puisqu’elle décline les principes de l’équilibre alimentaire à travers la figure de la pyramide et ponctue ces principes de prévention et de recommandations. L’explication du rôle des nutriments dans l’organisme constitue au contraire le savoir scientifique neutre.

Les autres expositions mobilisent également les deux types de savoir, d’une manière distincte qui est intéressante à relever d’un point de vue formel. Les savoirs de base constituent le corps de l’exposition, c’est-à-dire la trame narrative et la base de la structure scriptovisuelle. Les savoirs

non stabilisés apparaissent souvent soit sous forme d’encarts, comme des parenthèses discursives dans le fil du discours, soit comme suite logique des savoirs de base. Ceux-ci apparaissent donc, aux yeux des concepteurs, comme restant essentiels à leur projet de communication, même s’ils n’en constituent finalement pas la finalité. En effet, bien que relevant d’un niveau de texte qui peut apparaitre comme secondaire, la place des savoirs non stabilisés dans les encarts ou comme conclusion des savoirs de base leur donne une place importante en termes de cheminement de lecture.

Dans la Modulothèque par exemple, les textes principaux – c’est-à-dire ceux positionnés au centre du panneau avec un corps typographique plus grand - traitent de la description des nutriments et de leur fonction dans l’organisme. Ils sont en revanche parsemés d’encarts contenant des avertissements, des conseils ou des recommandations de consommation. Ces encarts sont identifiés par des éléments symboliques tels que l’ampoule éclairée qui annonce sémiotiquement la présence d’une astuce, ou un ver de terre enroulé sur une tige de fer et qui, utilisé en noir et blanc, rappelle fortement le caducée médical.

Illustration 6. Modulothèque - Panneau consacré à la circulation des nutriments dans l'organisme

Le traitement formel différencié est également marqué à Cité Nature, comme évoqué précédemment. Les unités intégrées au parcours principal de l’exposition utilisent largement des connaissances neutres et stabilisées, à l’exception de quelques occurrences que nous aurons l’occasion de développer par la suite. L’unité « Questions de santé » est quant à elle située à la périphérie de la première partie de l’exposition, spatialement en regard de l’unité « Alimentation

et santé », et mobilise essentiellement des savoirs non stabilisés sur les liens entre habitudes alimentaires et survenue de pathologies dégénératives. La différence formelle fait ici écho à une différence discursive.

Le traitement formel différencié ainsi observé révèle la conscience d’une certaine différence de nature entre ces deux types de savoirs. Mais les raisons de cette distinction formelle ne sont pas nécessairement liées à la volonté de séparer les savoirs non stabilisés du corps principal de l’exposition. C’est aussi certainement dû à la nature même des connaissances non stabilisées, qui sont celles relatives aux recommandations de consommation ou aux liens direct entre alimentation et pathologies et qui nécessitent donc soit une interpellation directe du visiteur, soit un traitement formel prudent – certains sujets étant particulièrement sensibles.

Ces expositions se caractérisent aussi par une présence éparse de savoirs non stabilisés au sein d’ensembles consacrés à des connaissances de base. Cet extrait d’un panneau introductif de l’unité Alimentation et Santé à Cité Nature en est l’illustration :

« De récentes recherches tendent à montrer que les fruits et légumes nous aident à lutter contre l’ostéoporose en réduisant l’acidité du sang qui mobilise le calcium des os. » « Les anti-oxydants (dont les vitamines A,C, E et provitamine A) sont capables de piéger les radicaux libres et sont efficaces en prévention des maladies cardiovasculaires. » Cité Nature – Unité Alimentation et Santé

Il y a bien eu effectivement en 2002 des résultats de recherche montrant une association entre la consommation de fruits et légumes et la moindre exposition à l’ostéoporose. Néanmoins le rapport de synthèse de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) paru en 200715 précise que certaines recherches sont encore en cours sur des sujets adolescents ou jeunes adultes et qu’il faudra attendre plusieurs décennies pour en connaitre les résultats. De même, le rôle des molécules anti-oxydantes sur les radicaux libres semble aujourd’hui scientifiquement admis mais il n’existe pas à ce jour de consensus sur leur rôle dans la prévention contre les maladies cardio-vasculaires, laquelle reste une hypothèse forte mais non vérifiée (Dauchet et al., 2006). Jean Dallongeville (2009) écrit par exemple :

« Ces résultats ne permettent pas de vérifier l’hypothèse d’un rôle protecteur de la vitamine E des légumes sur les maladies cardiovasculaires ».

Il s’agit donc bien là dans les deux cas d’un savoir non stabilisé.

15 « Les fruits et légumes dans l’alimentation : enjeux et déterminants de la consommation » - Expertise scientifique collective – Synthèse du rapport d’expertise réalisé par l’INRA à la demande du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche - INRA – Novembre 2007.

Ceci nous amène à l’interrogation suivante : les savoirs sensibles, qu’ils fassent l’objet ou non d’une distinction formelle, sont-ils présentés comme tels ?