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CHAPITRE 1 A PPROCHE COMMUNICATIONNELLE ET MUSEOLOGIQUE DES

1. Analyser la mise en exposition de QSTS

1.2. A NALYSER LA MISE EN EXPOSITION DANS LE CAS DE QSTS : CONSTRUCTION DES

1.2.1. L’auteur face à la mise en exposition de QSTS

Nous avons adopté le postulat que l’exposition résulte d’un processus de mise en exposition qui est lui-même la mise en forme d’une intentionnalité. Ce concept d’intentionnalité a pour corollaire la notion d’auteur, qu’il soit individuel ou collectif. C’est la stratégie de communication de l’auteur qui s’incarne dans le dispositif d’exposition à travers l’acte volontaire de mise en

exposition. Cette stratégie incarne également une certaine forme de médiation et de rapport au savoir, que nous aborderons dans un second temps.

Engagement et point de vue dans l’exposition

« Une exposition à caractère culturel est une situation d’énonciation concrète : un concepteur (ou énonciateur) s’adresse à un visiteur (ou énonciataire) par l’intermédiaire d’un discours plurisémiotique (objets, espaces, langages) dont l’organisation de tous les éléments vise à convaincre l’énonciataire. Les énoncés (écrits ou oraux) produits et reçus dans l’exposition constituent l’aboutissement de choix discursifs opérés par le concepteur d’exposition : lexique, syntaxe, registre de langue, modalités discursives, supports. » (Poli, 2002 : 48)

Il existe aujourd’hui une certaine forme de consensus sur l’impossible éviction du point de vue dans l’exposition, l’acte d’écriture – textuelle et spatiale – n’étant jamais neutre (Jacobi, 1999, 2005 ; Chicoineau, 2004). C’est en ce sens que l’analyse de la discursivité dans l’exposition est pour nous révélatrice des intentions et stratégies des concepteurs. Ce qui nous intéresse ici plus particulièrement, c’est la représentation de faits contestés par ailleurs, autrement dit de QSTS, et la manière dont l’exposition et ses auteurs se positionnent à leur sujet. Nous opérons là une différence entre la nature des sciences et des techniques en général, qui, en tant qu’activité et production humaines, est évidemment objet de points de vue et d’enjeux en fonction de contextes particuliers (Macdonald, 1998), et la nature des questions scientifiques et techniques sensibles, qui, à un moment donné, se caractérisent par la publicité d’un débat impliquant une multitude d’acteurs.

Si la notion d’intentionnalité est centrale dans notre recherche, nous n’allons pas jusqu’à affirmer que la volonté communicationnelle détermine seule la nature du dispositif et la production de sens. Notre hypothèse est, au contraire, que la mise en exposition résulte d’un processus de négociation complexe, et qui le sera d’autant plus qu’il s’agit de QSTS. Ce processus de négociation est lié à la conciliation nécessaire d’un ensemble de facteurs : nature du savoir à exposer, objectifs communicationnels, contraintes institutionnelles, etc. Nous postulons que ce processus de conciliation se traduit de manière discursive et formelle dans le dispositif d’exposition.

L’enjeu est alors de repérer, à travers l’analyse des dispositifs construits par les concepteurs, les traces du processus de négociation ayant abouti à une forme particulière de mise en exposition. Comment ont-ils concilié savoirs, intentions et intérêts pour produire une construction sociale sur un thème sensible ? Autrement dit, il s’agit d’identifier les contraintes, les objectifs, et les choix (Hooper-Greenhill, 2000 ; Macdonald, 1998) qui ont conduit les auteurs à adopter une posture

face à un savoir pour lequel le consensus scientifique n’existe pas et caractérisé par une présence médiatique étendue. Dans le cas des questions scientifiques et techniques sensibles, cette posture est en effet intimement liée à la nature du savoir concerné, celui-ci impliquant par nature une prise de position et un engagement marqué.

De l’auteur à l’institution : quel mode de légitimation ?

Les questions scientifiques et techniques sensibles renouvellent ainsi les interrogations liées à la position d’auteur dans les expositions en général et dans celles de sciences et techniques en particulier. En effet les questions sensibles appellent par nature une prise de position, des opinions, des jugements de valeurs, traversés par des représentations ou des intérêts contradictoires. C’est cela même qui leur confère leur sensibilité au-delà de l’instabilité des savoirs.

Paradoxalement les expositions de science ont la particularité de ne pas être, ou très rarement, signées. Mais comme l’écrit Arnold (1998), l’acte auctorial est sans ambiguïté pour la plupart des visiteurs : il n’émane pas d’individus mais de l’institution qui présente l’exposition, cette institution légitimant par ailleurs le point de vue présenté, quel que soit son caractère contradictoire ou controversé. Le point de vue perçu par les visiteurs est ainsi très marqué par la représentation qu’ils ont de l’institution (Arnold 1998 ; Le Marec, 2001, 2002).

Or le musée, et plus largement les institutions muséales, font habituellement référence à un corps de connaissances constitué à diffuser (Schiele, 2001). Qu’en est-il dans le cas des QSTS ? Les travaux de Davallon (1999) sur le « contrat communicationnel » (Jeanneret et Patrin-Leclère, 2004) dans l’exposition et le musée montrent un double processus de garantie scientifique de l’exposition. D’une part c’est l’institution muséale qui garantit la validité de l’exposition, d’autre part ce sont les règles constitutives de l’exposition elle-même qui rend cette validité possible. Ces règles constitutives font que le visiteur reconnait l’exposition comme « un dispositif (…) qui respecte les règles scientifiques de traitement du savoir ». Or l’intégration des musées à leur environnement social peut déplacer le point d’appui de la garantie, des savoirs à des faits ou des événements (Davallon, 1999), ou du vrai à la transparence (Schiele, 2001). Que se passe-t-il quand la communication supplante le vrai comme enjeu principal, quand la conformité au savoir scientifique n’est plus une règle constitutive de l’exposition ?

Cette question, laissée en suspens par Schiele (2001) est primordiale pour l’analyse de la mise en exposition de questions scientifiques et techniques sensibles. Car la notion de véracité du discours s’avère inadéquate dans le cas de savoirs non stabilisés et débattus dans d’autres

instances sociales. Sinon, pourquoi et sur quelles bases retiendrait-on un argument scientifique plutôt qu’un autre, lorsque controverse il y a ? Face à la pluralité de discours et de voix qui caractérisent la publicisation des questions scientifiques et techniques sensibles, quel référentiel adopter ? Sur quoi fonder la légitimité des savoirs ?

Moirand (2007) note que la médiatisation des questions de société se caractérise parfois par une transformation des discours scientifiques, pour des raisons qui ne sont pas liées aux contraintes de la vulgarisation mais à la conjonction d’enjeux scientifiques, politiques, économiques ou sociaux. Dans les médias, cela se traduit par une pluralité de voix formant un intertexte plurilogal dans le fil du discours (Moirand, 2005). Qu’en est-il dans le processus de mise exposition ?

Construction des indicateurs et sélection des marqueurs

L’attention portée au discours à travers l’énonciation, la modalisation et les rapports de légitimité ainsi induits doit permettre d’observer le positionnement des concepteurs et leur intentionnalité communicationnelle. Elle doit aussi révéler l’attitude choisie face à une science du doute. Il s’agit donc ici de déterminer l’usage qui est fait du savoir scientifique et pour quelle intention ou finalité communicationnelle. C’est la raison pour laquelle nous portons notre analyse sur les choix discursifs, révélateurs d’une intention de communication : s’agit-il d’informer le visiteur ? de le convaincre à un point de vue ? de lui faire prendre conscience d’un fait ? de l’inciter à agir ? de l’amener à réfléchir ?

Il s’agit donc bien de considérer le discours comme « l’activité de sujets inscrits dans des contextes déterminés », en d’autres termes « comme une unité de communication associée à des conditions de production déterminées, c’est-à-dire qui relève d’un genre de discours déterminé »

(Maingueneau, 1996 : 28). Et à travers l’analyse de la nature du discours à l’intérieur du genre qui est celui de la vulgarisation et/ou de la communication scientifique, il s’agit d’observer plus particulièrement quelle est la fonction du discours. Nous nous appuyons dans ce but sur la typologie d’Adam (1992), qui définit cinq types de séquences textuelles : le récit, la description, l’argumentation, l’explication et enfin le dialogue. Nous y ajoutons une catégorie de discours présente dans la typologie d’Egon Wehrlich mais non retenue par Adam, celle de l’instruction ou de la prescription, que pour notre part nous appellerons aussi parfois injonction.

L’énonciation est une indication essentielle de l’expression d’un point de vue de la part du producteur, éventuellement de sa revendication ainsi que des arguments développés pour asseoir ce point de vue, « toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le premier

l’intention d’influencer l’autre en quelque manière » (Benveniste, cité par Poli, 2002 : 21). Ce sont donc prioritairement les marqueurs énonciatifs qui vont nous permettre d’identifier la présence des différents types de discours dans les unités analysée :

- Discours narratif  présence de repères temporels ;

- Discours descriptif  présence de repères spatiaux, présent ou imparfait descriptifs. - Discours explicatif  énonciateur neutre, présent de vérité générale ;

- Discours argumentatif  indices d’énonciation, expression de l’opinion ou du jugement ; - Discours prescriptif  utilisation de l’impératif et du subjonctif.

Nous nous intéresserons aussi d’une manière générale aux marqueurs de subjectivité, par exemple repérables par des signes de ponctuation comme « ? » ou « ! », ainsi qu’aux différents procédés énonciatifs utilisés pour faire réagir le visiteur : fournir des chiffres sans possibilité de comparaison, utiliser le conditionnel, faire de l’humour… (Poli, 2002 : 62-63). Enfin nous serons particulièrement attentifs à la modalisation comme marqueur de l’expression du doute ou de la certitude. Le doute peut se manifester par l’emploi du conditionnel ou d’adverbes modalisateurs visant à nuancer une affirmation mais aussi par la divulgation d’informations sur le contexte de production de savoirs scientifiques ou sur des opinions discordante, avec pour conséquence le fait de relativiser les connaissances énoncées. Inversement, nous pensons que l’absence de contextualisation participe d’une modalisation de la certitude.

L’énonciation, bien que définie par Benvéniste comme « la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation » (in Maingueneau, 1996 : 36), ne repose pas sur un seul énonciateur mais sur l’interaction entre des énonciateurs ou sur une polyphonie. Le nombre d’énonciateurs et le rapport de légitimité établi entre eux par le dispositif d’exposition sera aussi une indication importante du point de vue adopté. Néanmoins, le discours textuel n’est évidemment pas le seul vecteur d’un parti pris. C’est pour cela que la sélection et l’organisation des thèmes ainsi que les choix iconographiques et le cas échant d’objets ou autres dispositifs ont été pris en compte dans la grille d’analyse

L’analyse de la mise en exposition ne doit pas se limiter à une approche socio-sémiotique visant à appréhender la relation sociale installée entre le producteur et le visiteur, mais doit s’étendre à la prise en compte de l’opérativité symbolique de l’exposition par une analyse de l’exposition comme fait de culture et de langage (par exemple le système de pensée sur lequel s’appuie l’exposition). Il s’agit donc d’élargir l’analyse à l’exposition en situation spatiale et sociale.

1.2.2. L’exposition comme opérateur de médiation : enjeux pour les QSTS