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CHAPITRE 1 A PPROCHE COMMUNICATIONNELLE ET MUSEOLOGIQUE DES

1. Un effacement de la sensibilité des savoirs au profit de l’affirmation

2.2.1. Un facteur dominant parmi plusieurs hypothèses : l’absence de transposition

Nous nous sommes interrogés sur les causes possibles de variation de postures au sein d’expositions traitant d’une même QSTS. La première posture, dite « informative » est caractéristique de deux expositions de notre corpus, à savoir celles de l’Alimentarium et celles d’Agropolis Museum. Ces deux expositions partagent d’autres points communs qui nous laissent envisager des éléments de corrélation avec la posture de médiation adoptée face au traitement d’une QSTS.

Des hypothèses écartées : l’approche muséologique et le positionnement institutionnel

Un premier élément de corrélation pourrait être l’approche générale qui est faite de la thématique, avec l’idée que le point de vue dominant de l’exposition sur l’alimentation et le regard du concepteur sur cette thématique se ressentent dans la manière de traiter les questions scientifiques et techniques sensibles. Mais là encore, les résultats de notre analyse ne nous permettent pas de confirmer pleinement notre hypothèse. En effet, Agropolis Museum, l’Alimentarium et « Bon Appétit » proposent, nous l’avons vu, une vision culturelle de l’alimentation, abordant l’ensemble des facteurs qui contribuent à influencer l’acte alimentaire. Pourtant, « Bon Appétit » adopte aussi, lorsqu’il s’agit des liens spécifiques entre alimentation et santé, une posture prescriptive, contrairement aux deux autres expositions. Le discours de « Bon Appétit » fait certes davantage appel à une certaine forme de relativisation des recommandations, donc sans discours d’autorité explicitement marqué, mais le projet de prévention reste présent.

Les résultats de cette analyse ne nous permettent pas non plus de confirmer l’hypothèse d’une influence du positionnement socio-institutionnel dans lequel s’inscrit l’exposition. Chacune des deux postures regroupe en son sein des institutions de nature très différente. Cela est particulièrement visible au sein des deux expositions relevant de la première posture, tant leur positionnement est aux antipodes. Agropolis Museum est un musée créé à l’initiative d’un ingénieur agronome œuvrant dans les institutions de recherche sur les agricultures dans les pays en développement, financé exclusivement par des fonds publics ; à l’opposé l’Alimentarium a été créé à l’initiative de l’entreprise Nestlé et financé exclusivement par sa fondation. Dans la seconde catégorie, les institutions sont plus hétéroclites mais ne partagent pas non plus de point commun notoire : société privée pour la production de « A Table ! », institution publique de CST pour « Bon Appétit », institution privée avec des financements publics et privés pour Cité Nature…

Enfin, la dimension permanente ou temporaire de l’exposition ne semble pas non plus être une variable pertinente. L’abandon de ces hypothèses nous amène à nous recentrer sur celle liée à la temporalité des QSTS.

Une perméabilité de l’exposition à la présence sociale des QSTS ?

Un premier élément de corrélation entre les expositions et les postures de médiation serait lié à la temporalité de l’exposition. Les deux expositions véhiculant une posture informative sont en effet les plus anciennes, celle de l’Agropolis Museum ayant été inaugurée en 1994 et celle de l’Alimentarium en 200118. Il s’agit d’une époque où la thématique des rapports entre alimentation et santé était beaucoup moins prégnante dans la sphère sociale et politique. Rappelons que, du moins en France, c’est le Plan National Nutrition Santé de 2001 qui a initié une grande partie du retour sur la scène sociale de cette thématique : diffusion de messages de communication santé publique (dans les médias et via des brochures), mise en place de nouveaux financements pour la recherche et pour la mise en œuvre de projets d’éducation à la nutrition et à la santé, etc.

Nous envisageons donc ici une corrélation entre la présence sociale d’une QSTS et son traitement dans l’exposition. Le dispositif d’exposition semble montrer une certaine perméabilité aux modalités de communication d’une QSTS hors de la sphère muséale. Nous revenons ici à l’une des caractéristiques forte des questions scientifiques et techniques sensibles, à savoir leur temporalité. Quand nous procédons à l’analyse des expositions d’Agropolis Museum et de l’Alimentarium, nous regardons aujourd’hui le traitement d’une question sensible dans deux expositions conçues à une époque où cette question sensible n’en était pas encore une, ou en

tous cas n’en revêtait pas toutes les caractéristiques (savoir en train de se faire, mais absence de prégnance sociale). Et naturellement, la posture de médiation adoptée ne diffère plus, ou très peu, de celle retenue pour le reste de l’exposition. Ces deux expositions, qui traduisent une approche culturelle de l’alimentation, proposent également une vision de type culturelle des liens entre alimentation et santé et une diffusion de nature culturelle de la culture scientifique et technique.

A contrario, les autres expositions de notre corpus ont toutes été créées durant une période de forte présence sociale et médiatique de la thématique Alimentation et Santé : mise en œuvre du PNNS, essor des livres et publications sur la manière de bien se nourrir, etc. Or ces expositions semblent adopter une posture et un discours similaires à ce qu’il est possible d’observer dans le traitement médiatique et politique de cette question, avec in fine une absence de transposition muséographique.

Paradoxalement, le directeur de l’Alimentarium nous a confié lors d’un entretien réalisé en 200819 qu’il regrettait la trop faible présence dans son exposition permanente de thèmes liés à la santé, et qu’il ne parvenait pas à en expliquer la raison.

« C’est un manque. C’est un manque, comme l’actualité aussi. Peut-être le manque le plus important. L’actualité alimentaire. Ce qui est à la une dans la presse n’est pas chez nous. […]. L’actualité pas… immédiate. Si on peut dire l’actualité de longue durée, ce qui est à la presse pendant des mois et des mois, pour donner une information vraiment sérieuse de base. […]. Mais ça manque, totalement. Non la santé, je ne sais pas pourquoi, je ne peux pas vous dire, c’est pas un choix délibéré…oui, elle n’est pas très présente. »

Cela conforte notre idée de perméabilité de l’exposition puisque nous pouvons sans doute supposer que l’exposition de l’Alimentarium, si elle avait été conçue deux ou trois ans plus tard, aurait certainement accordé naturellement davantage de place à cette thématique.

L’absence de transposition muséographique telle que nous l’avons observée est donc engendrée par la perméabilité du média exposition aux modalités d’existence sociale des questions scientifiques et techniques sensibles. Ceci interroge du coup la capacité des institutions muséales à favoriser une « mise en culture » de la science à travers ces questions, alors même qu’elles sembleraient de prime abord particulièrement adaptées à cet objectif.