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2 « Conditions de rencontre » U NE PROBLÉMATIQUE FORMULÉE PAR LE MILIEU ASSOCIATIF

U N PROTOCOLE THÉÂTRAL POUR UNE ENQUÊTE

C’est la metteur en scène Monique Hervouët qui accepte d’accompagner cette démarche en travaillant avec les deux compagnies de théâtre sur un texte issu d’entretiens et reprenant les termes de la problématique énoncée par la M.C.M.. Les sociologues du C.E.S.U.R et du -L.A.U.A 71 se chargent de la collecte de paroles sous forme d’entretiens

70 La Maison des Citoyens du Monde est un collectif regroupant, à Nantes, 45 associations de solidarité internationale et de défense des droits de l’homme. Le partenariat avec les deux compagnies de théâtre va reposer sur la volonté de quelques militants et de la permanente, Agnès Chek, dont l’engagement va être décisif.

71 Centre d’Etudes sur le Social et l’Urbain : Bernard Vrignon, anthropologue ; LAUA : Anne Bossé (double formation architecture et sciences sociales), Elisabeth Pasquier (sociologue) ; Mélanie Faugouin et Marie Laure Guennoc (architectes).

semi-directifs enregistrés auprès des deux échantillons. La participation des chercheurs varie suivant les positions et rôles de chacun, trois des enquêteurs sont de jeunes chercheurs qui se sont saisis de cette expérience pour mettre à l’épreuve leurs savoir- faire en matière d’enquête de terrain, dans un contexte de décentrement par rapport au monde de la recherche, en résonance avec leur propre parcours hybride (architecture et sciences sociales), la question de la représentation faisant particulièrement écho avec les questions posées à l’architecture dans sa phase de construction en tant que discipline universitaire. Un des enquêteurs, anthropologue de formation, va s’y trouver impliqué prioritairement en fonction de ses responsabilités militantes à la Maison des Citoyens du Monde, la position de l’auteur de l’article est encore différente du fait de l’imbrication de ce projet dans son histoire personnelle (lien avec la compagnie de théâtre).

Monique Hervouët établit des règles qui vont dicter le protocole d’enquête et le passage de l’enquête au spectacle. Ces règles repartent d’une expérience précédente 72 et du principe d’équité rejoué à différents niveaux (égalité des temps de parole, choix des costumes par exemple…) :

− chaque comédien interprète un personnage correspondant à une personne et une histoire de vie ;

− les textes sont le résultat d’un travail de montage à partir des enregistrements décryptés, respectant totalement les manières de dire et la construction du discours ;

− l’essentiel du travail de montage est confié aux chercheurs qui doivent parvenir à un texte calibré sur un temps de jeu visé de 10 minutes pour chaque interprète ; − le début de chaque texte doit correspondre à un « pic émotionnel » (consigne que

les chercheurs mettront un moment à saisir !) ;

− les comédiens et le metteur en scène ne découvriront l’identité de leur personnage qu’à l’issue des représentations et seulement si les personnes interviewées décident de sortir de l’anonymat. Ni les comédiens, ni le metteur en scène n’ont accès aux bandes magnétiques, donc aux voix des personnes ;

− l’idée d’inverser les interprétations - les Blancs jouant les Noirs et réciproquement - va surgir dans les premiers temps de l’exploration du projet, comme une idée supplémentaire pour travailler sur le croisement des regards et pour éviter le risque d’une interprétation (et d’une réception) de l’ordre de l’identification ;

− l’édition complète de la collecte a été remise au metteur en scène et aux comédiens, après brouillage des identités.

A l’aide du réseau de la Maison des Citoyens du Monde et des contacts personnels des chercheurs, la liste des personnes interviewées va se constituer. La composition en terme de sexe et d’âge des interprètes pour chacune des compagnies va dicter les « profils » :

− le Fol Ordinaire : 6 comédiens (trois hommes et trois femmes) ; − le Kozö zö théâtre : 4 comédiens (trois hommes et une femme).

En respectant au maximum la différence de genre, d’âge, de situation sociale et d’origine (Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Burkina, Guinée), et les diverses positions qui peuvent

72 Maison de la Culture d’Amiens et Université (sociologie). Le travail partait d’un entretien filmé, le texte issu de l’entretien était pris en charge par un metteur en scène différent à chaque fois et par un comédien. Au final, les spectateurs découvraient successivement la version théâtrale et vidéo, en présence des interviewés. Cette expérience reprenait elle-même pour partie un travail de création de F. Buisson basé sur une enquête en vue de l’établissement d’une scène nationale en banlieue parisienne.

conduire des Nantais dans des projets de développement (coopération, missions d’expertise, actions militantes), seize entretiens seront réalisés au total, d’une durée allant de une à deux heures. La manifestation Regards sur… travaillant sur l’Afrique de l’Ouest, la diversification des pays d’origine avait pour double fonction de « représenter » chaque communauté vivant à Nantes et de tenter de percevoir des différences ou des proximités entre elles. Le choix des dix entretiens (sur les seize effectués) se fera sur la qualité du contenu, la diversité de l’ensemble et la cohérence en matière d’interprétation. Ne prendre que dix entretiens, plutôt que réécrire un texte à partir d’un échantillon plus large, revient à privilégier la notion de trajectoire et de récit : « Au lieu de se consacrer à

expliquer la situation des émigrés (en réalité des immigrés), entièrement et seulement, par l’histoire de leur séjour en France, c’est l’ensemble des mécanismes auxquels ils sont soumis du fait de l’émigration, qui demande à être élucidé » 73. Ce choix s’est également justifié pour les Nantais impliqués dans les relations internationales, quand les récits permettent de comprendre l’origine des liens avec l’Afrique : histoire familiale, importance de la première expérience de coopération, rêve d’aventure lié à l’enfance…

L’ensemble du protocole repose sur la mise en question de la notion de centre du monde et de périphérie et sur le postulat selon lequel les processus de transformation métisse concernent aujourd’hui tout le monde. Il pose comme enjeu de rompre avec le dualisme habituellement reconduit entre la division des communautarismes d’une part et l’indivision du modèle républicain d’autre part, pour privilégier l’attention aux processus fragiles, précaires, éphémères, aux espaces de jeu et aux temporalités d’oscillation décrits par François Laplantine 74, théoricien du métissage culturel, qui oppose aux deux modèles de la syntaxe de la conjonction du « et » et de la disjonction du « ou », la syntaxe de l’alternance et de l’entre-deux dans laquelle s’effectue le travail de la mémoire et du langage.