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Le projet culturel et artistique

DANS LES PROJETS ARTISTIQUES DES POLITIQUES URBAINES ACTUELLES

C’est bien le vivre ensemble qui fonde l’expérience de la citadinité, même si ce n’est pas dans les espaces publics, et qui contribue à produire non pas de la socialité seulement mais une société, c'est-à-dire une capacité collective à faire tenir ensemble des groupes fortement différenciés

Marie-Claire Jaillet « Peut-on parler de sécession urbaine à propos des villes européennes ?» Certains projets théâtraux que nous avons étudiés ici, notamment Paroles équitables (cf.

Document 4), ont été construits sur l’idée qu’il est nécessaire de faire attention aux

silences de la ville, de se méfier des pseudo-consensus, de donner la parole à des gens qui généralement ne la prennent pas, pour la faire entendre dans l’espace public. Ces démarches inscrivent dans le sillon du "théâtre documentaire", qui engage la question du réalisme.

Etroitement liée aux préoccupations esthétiques qui ont marqué la fin du XIXème siècle, l’idée de réalisme pourrait aujourd’hui sembler obsolète ; le rapport au réel, en particulier

historique, emprunte pourtant des voies originales dans le théâtre du XXème siècle. Piscator mettait en scène l’histoire révolutionnaire à travers un montage de scènes dramatiques, faisant intervenir des personnages historiques et des documents. Ce théâtre documentaire, dont Peter Weiss se réclamait l’héritier, fait « usage d’un matériau documentaire authentique qu’il diffuse à partir de la scène sans en modifier le contenu, mais en structurant la forme. Cette notion de théâtre documentaire conduit à différents usages » 217. Elle est à étudier.

L’inquiétude des hérons, dont les textes sont issus des carnets d’écriture des habitants

subissant le Grand Projet de Ville (déplacement et démolition) s’inscrit hors de l’institution, dans un espace dit "réel", la tour Portugal du quartier Malakoff. Cette pièce théâtrale a rendu visible les conflits et les tensions niées par la municipalité nantaise. Elle a travaillé à faire exister un espace public entre des habitants, les artistes impliqués, les spectateurs dans toute leur pluralité (habitants, techniciens, acteurs sociaux culturels, citadins), via un dialogue social véritable qui accepte le disensus, pour construire ensemble et contradictoirement d'autres possibles.

La relation entre l’art et l’anthropologie inaugure la lecture de la ville à l’échelle de la vie quotidienne, longtemps occultée par les programmateurs de la planification urbaine (cause sans doute de l’échec actuel de ce modèle théorique).

Depuis trente ans, face aux mutations urbaines, les artistes sont sollicités « pour apporter des repères, générer du lien social et réconcilier les citoyens ». Certaines propositions artistiques (arts plastiques, théâtre, danse…) rendent visibles, déplacent et travaillent des fragments de la vie quotidienne ou des rites d’interaction, des rituels relevant de l’ethnométhodologie ou de l’anthropologie. Elles les décontextualisent et valorisent les relations d’échange en soulignant leur dimension symbolique par leur mise en scène. Comme on l'a dit dans l'analyse de L'inquiétude des Hérons à partir des réflexions du critique d’art américain Hal Foster (cf. Document 5, notes 30-31), un certain nombre de pratiques artistiques seraient influencées par l’ethnographie qui connaît depuis une dizaine d’années un certain prestige dans l’art contemporain, en tant que science de l’altérité, et qui est réputée capable d’un discours critique et autocritique, intégrant des dimensions contextuelles et osant l’interdisciplinarité.

Une partie des activités du Théâtre de la Parole pourrait être consacrée aux projets artistiques qui sont initiés dans le cadre des politiques culturelles urbaines par le milieu associatif, et qui engagent une population, un autre individuel et collectif, en empruntant des concepts (dimension intersubjective de la recherche, dialogue chercheur / objet observé, fiction et récit…), des méthodes (processus d’écoute et d’observation, entretiens, documents,...) et d'autres outils de l’ethnographie ou de l’anthropologie.

Il s’agira de définir les projets, en étant particulièrement conscient de leur contexte, des moyens utilisés, de la manifestation du signe artistique et des effets produits pour évaluer leurs caractéristiques, leurs objectifs et leur "efficacité". Un certain nombre d’hypothèses sur les liens entre l’art et l’anthropologie pourront alors être émises (cf. le projet Parole et territoire de Peuple et culture 44 décrit dans le document 4).

L’enjeu des projets qu’il pourrait initier tient à la manière dont ceux-ci questionneraient le rapport à l’autre et envisageraient le rôle cognitif et la dimension politique de l’art dans la ville (en tant qu’urbs et polis).

La description de l’autre est devenue indissociable du rapport d’altérité entre l’observé et l’observateur. Cette relation d’échange suppose le repérage des a priori intériorisés et une réciprocité complexe. La démarche ethnographique stipule que l’artiste évalue le

regard qu'il porte sur les réalités qu’il décrit et le cadre de référence qui soutient un tel regard. La situation de rencontre est un espace de négociation des points de vue, un espace de tension et de compromis entre deux sujets inscrits dans deux types différents d’historicité. De cette manière, l’artiste se donne les bases pour penser de façon critique les relations entre "eux" et "nous". « Inventer l’autre c'est se comprendre soi-même comme vivant dans un monde, dont on peut par contraste avec celui de l’autre, dessiner les contours » 218. La distance avec l’autre, au lieu d’être négligée par l’expérience de l’artiste, agit dans sa singularité et dans son opacité.

Le Théâtre de (pour, par) la parole pourrait permettre à des gens qui jusqu’ici n’ont guère participé aux décisions collectives de penser les affaires et la chose commune. Ce lieu de fabrique, lieu de production, pourrait alors créer des espaces qui invitent à observer la réalité sociale et urbaine mêlée que l’on a sous les yeux, et à arrêter de mettre en marge des phénomènes récurrents, donnant ainsi des moyens pour une politisation réelle.

Il pourrait :

penser et discuter des enjeux fondamentaux de ces territoires physiques et métaphoriques que sont une société, une ville, un quartier, un site, un lieu, il est tenu par là d’en accueillir toutes les complexités ;

repérer des représentations culturelles marginalisées ;

initier des projets artistiques menés en milieu urbain (in situ 219), qui ne

considèrent pas seulement leur objet comme quelque chose de déjà donné mais qui le construisent dans le cadre de relations qui les relient aux acteurs sociaux ;

mettre en valeur les moyens d’intervention, les stratégies socio-esthétiques, le mode d’apparition des œuvres dans des lieux publics non consacrés à l’art ;

susciter les expérimentations ;

réfléchir au champ de l’éducation populaire c'est-à-dire comme une contribution concrète à la formation et à la culture du citoyen ;

redéfinir ce que l’on appelle "politique culturelle", en développent des actions qui poussent à penser la polis et le problème politique, définis comme choses communes et vivre ensemble ;

étudier la participation d’ethnographes et anthropologues (etc.) à des projets

artistiques.

Cela peut se traduire de différentes manières, à travers des projets et des créations qui impliquent des questionnements variés.

Le projet du Théâtre de (pour, par) la parole affirmerait alors la nécessité de penser les choses ensemble en cessant d’opposer social, culture, art. Il inviterait à ne pas prédéfinir les territoires de ces différentes notions mais à les réinventer constamment du fait des mutations sociales. Il mettrait en évidence la nécessité de produire du symbolique pour réfléchir aux rapports au monde.

Cette direction, que pourrait prendre le Théâtre de la Parole, n’implique pas qu’elle soit la seule. L’intérêt de ce lieu tient à ce qu’il pourrait accueillir des recherches différentes, des partis pris esthétiques variés (qui pourraient s’éloigner des questions de la ville,...), pour ne pas tomber dans un systématisme et poser à leur manière la question de la forme théâtrale (mise en scène, espace, du texte, du jeu des acteurs, …).

218 Kilani M., L’invention de l’autre – Essais sur le discours anthropologique, Lausanne, Payot, 2000, p.15

219 Sur la question de l’in situ, voir Poinsot J.M., Quand l’oeuvre a lieu, Genève, MAMCO, 1999, p 75. « Il faut en finir avec l’idée selon laquelle le site, le cadre d’implantation voire même le contexte contiendraient l’oeuvre, C’est bien au contraire l’oeuvre qui contient les traits ou fragments du site dans lequel elle est implantée ».

L’affirmation de cette position conduira à la mise en place de projets et d’actions variés (ateliers, mise en scène, résidences d’artistes….) qui travaillent, chacun à sa manière, les enjeux de la diversité culturelle et esthétique.

Remarque. Le Théâtre de la Parole pourrait également être un espace qui ne soit pas réservé au théâtre : les frontières entre les "disciplines" sont désormais ténues, il convient de s’intéresser et d’étudier ces formes. Dans cette optique, il est nécessaire de déplacer, de transposer les termes et les concepts. L’hétérogénéité et l’hybridité de certaines pratiques artistiques modernes et contemporaines, l’utilisation des médiums variés (sons, images, langage, objets, espace) ont complexifié le signe artistique 220.

3. la question de la parole

D’après nos échanges, les objectifs du Théâtre de la Parole sont, entre autres, de : − faire travailler la parole (c'est le rôle de l'interprétation et de la mise en scène) ; − donner la parole, prendre la parole, dévoiler la parole (c'est la question d'un théâtre

documentaire) ;

− réfléchir aux processus d’énonciation, de verbalisation et d’écoute. (c'est l'idée d'un repérage et d'une mise en perspective de travaux de référence)

TRAVAIL D’INTERPRÉTATION, DE MISE EN SCÈNE DES TEXTES