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Chapitre II. Brioude (IV e XIII e siècle)

A. Une première communauté :

3. La protection des rois mérovingiens

a) La domination franque

(début du VI

e

siècle)

Après avoir résisté aux Wisigoths et aux Burgondes, l’Auvergne et Brioude ont dû affronter les Francs. Le clergé auvergnat et aquitain, ainsi que le peuple, étaient plutôt hostiles aux Wisigoths. Depuis la conversion de Clovis, la victoire du catholicisme dans l’Occident barbare, malgré des fluctuations, semblait assurée78. Les campagnes de Clovis, en 507-509, suite à la défaite de Vouillé, soumettaient la province et

toute l’Aquitaine79. Mais la domination franque n’était pas encore acquise. Après la mort de Clovis (511),

son fils Thierry († 533) obtint Albi, Rodez, Le Puy, Clermont ainsi que Cahors et Limoges. Les bouleversements territoriaux eurent des répercussions dans la géographie ecclésiastique80. La quasi-

autonomie des sénateurs et des évêques qui trouvait son origine au moins partiellement dans l’éloignement des cours mérovingiennes favorisa les complots de la noblesse sénatoriale nouvellement acquise aux Wisigoths81. Suite à un véritable « coup d’état » organisé par la famille de Sidoine Apollinaire, plusieurs

chefs arvernes se révoltèrent, sous la conduite d’Arcadius petit-fils de ce dernier82.

Ce second complot visait à offrir l’Auvergne à Childebert, frère de Thierry. Vers 532, ce dernier ordonna alors une expédition de représailles en Auvergne. Un raid fut poussé jusqu’à Brioude. Il estimait que l’Auvergne lui était infidèle. Cette dernière « vidée de ses richesses, de son or et de ses hommes » fut donc considérablement affaiblie83. Les excès furent si grands, que le roi Thierry dut mettre fin à la folie

meurtrière de ses troupes. Quoiqu’il en soit cette expédition punitive avait provoqué la haine de l’Auvergne pour les Francs. S’il voulait la soumission du pays, le roi aurait dû se montrer magnanime. Ainsi, il épargna Clermont dans un rayon de huit milles. Cette grâce royale s’étendit aussi à Brioude84.

Indéniablement les souverains francs successifs et les élites franques s’étaient souciés de l’intégrité du lieu où sommeillait Julien en réinvestissant rapidement la place85. Jean Berger constate d’ailleurs que les

récentes fouilles dirigées par Fabrice Gauthier en 2003 et 2004, attestent de ce diligent réinvestissement du

78 L. Bréhier, R. Aigrain, « Grégoire le Grand, les États barbares et la conquête arabe (590-757), Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours, A. Fliche et V. Martin (dir.), Bloud et Gay, 1938, p. 329.

79 C. Lauranson-Rosaz, « Brioude et le Brivadois aux temps mérovingiens », op. cit., p. 122.

80 Cf. L. Bréhier, R. Aigrain, « Grégoire le Grand, les États barbares et la conquête arabe (590-757), Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours, op. cit., p. 329.

81 Idem, p. 122. 82 Ibidem.

83 M. Rouche, L’Aquitaine des wisigoths aux arabes, op. cit., p. 43. 84 Ibidem.

site par la notabilité franque. Les deux épitaphes de marbre se rapportent en effet au règne de Théodebald (548-555) et Théodebart II (595-612)86.

Finalement, la pacification a eu lieu sous le règne de Théodebert Ier, fils de Thierry, roi d’Austrasie de 533 à 548. Il cherchait à satisfaire les vœux des Aquitains et pratiquait donc une politique romanisante. La fusion proromaine avait aussi été saluée par Grégoire de Tours : « L’Auvergne s’était offerte à Thierry en 508 car elle comptait se soumettre à un maître orthodoxe et lointain et ainsi espérer pouvoir rester profondément romaine »87. L’Auvergne fit alors partie du royaume d’Austrasie, l’un des quatre royaumes

issus des partages successoraux des descendants de Clovis88. En définitive, Théodebert concilia et replaça

le système fiscal romain. La politique romanisante et méridionale qu’il mena, passa par des alliances matrimoniales avec les Gallo-romains89. L’Auvergne incorporée dans l’Austrasie fut de ce fait insérée dans

le royaume rhénan. L’Austrasie, loin de son épicentre, comprenait une large portion de la Gaule centrale et méridionale. La cour de Metz était un centre de culture latine. Le contact de l’aristocratie franque avec la culture latine fit de l’Austrasie un véritable foyer de culture et d’influences romaines90.

b) Une autonomie provisoire

(VII

e

-VIII

e

siècle)

L’Église se fortifiait avec l’aide avisée des aristocrates qui cherchaient son l’appui pour réaliser leurs ambitions temporelles. Les années 600 étaient assez mal connues faute de sources. La Gaule avait été réunifiée par Clotaire II roi de Neustrie et par Dagobert entre 613 et 639. Trois régions la composaient. Il y avait la Neustrie, l’Austrasie, et la Bourgogne, auxquelles il faut ajouter l’Aquitaine et la Provence considérées comme des annexes. L’Auvergne était ballotée entre la Neustrie et l’Austrasie. Elle fut même être incorporée à un troisième royaume d’Aquitaine, dirigé par le fils cadet de Clotaire Charibert II (629- 632) : symptôme du réveil du particularisme aquitain91. Une communauté fut peut-être crée à Brioude : la

chronique de Flodoard signale en 649 la présence d’un Félix nommé « abbé de Saint-Julien » qui eut des démêlés avec l’évêque de Reims au sujet des biens de l’Église rémoise en Brivadois92. Des clercs avaient de

ce fait, pu se réunir à Brioude afin de répondre à une dévotion croissante pour le saint sans suivre de règle prédéterminée. On sait que les évêques avaient établi dès le VIe siècle, des abbés à la tête du clergé

basilical. Ce titre d’abbé n’avait rien de monastique. Christian Lauranson-Rosaz propose de suivre l’hypothèse de l’abbé Cubizolles : ces hommes de foi avaient pu s’apparenter aux « ascètes orientaux ou aux disciples de saint Martin de Tours »93. Les évêques mérovingiens étaient au service des rois, ils étaient

86 F. Gauthier, « Inscriptions paléochrétiennes découvertes dans le baptistère de Saint-Julien de Brioude

(Haute-Loire) », Hortus Artium Medievalium, vol. 10, 2004, p. 211-215.

87 M. Rouche, op. cit., p. 44.

88 C. Lauranson-Rosaz, « Brioude et le Brivadois aux temps mérovingiens », op. cit., p. 123. 89 M. Rouche, op. cit., p. 56-57.

90 C. Lauranson-Rosaz, op. cit., p. 124. 91 M. Rouche, op. cit., p. 87.

92 C. Lauranson-Rosaz, op. cit., p. 127.

d’ailleurs souvent choisis parmi les fonctionnaires du palais94. Les manuscrits de la grande culture antique

sommeillaient alors dans des bibliothèques privées : telle celle d’Isidore de Séville (560/70 – 636)95. À la

fin du VIIe siècle, le paysage culturel et mental du sud de la Gaule restait bien antique. Pierre Riché

souligne : « Grégoire le Grand96 a été l’un des derniers élèves de l’école romaine »97. La culture classique, la

maîtrise des arts libéraux devaient être au service de l’intellect chrétien. On ne sait pas quel était le niveau culturel de Brioude durant cette période, mais les témoignages de l’an mil encourageaient à penser, avec Christian Lauranson-Rosaz, que Saint-Julien possédait sûrement un scriptorium depuis les plus hautes époques de son histoire98. De la sorte, la traduction et la protection des littératures antiques, dans un but

aussi bien conservatoire qu’admiratif des « belles choses du passé »99, avait pu s’exercer à Brioude.

Depuis la mort de Dagobert en 639, les monarchies de Neustrie, Bourgogne et Austrasie étaient entre les mains de jeunes princes. Les puissants cherchaient alors à grouper autour d’eux des fidèles nombreux. L’Église mérovingienne, très liée à la monarchie, dut ainsi subir le contrecoup de son affaiblissement100. L’aristocratie dut prendre en main l’Église. L’histoire de la société occidentale dans cette

deuxième moitié du VIIe siècle était dominée par les progrès de l’aristocratie aux dépens de la royauté101.

L’épiscopat devint une véritable puissance politique, de sorte que à la fin du VIIe siècle et au début du

VIIIe siècle, des évêques se façonnèrent de véritables principautés.

À partir de 660-670 malgré les efforts des rois du Nord pour la contrôler, l’Aquitaine se détacha du monde franc102. L’Auvergne suivit le même mouvement d’émancipation. Parallèlement, au début du VIIIe

siècle, l’Église mérovingienne de la Gaule muta103 : les évêchés furent confiés à des laïcs et certains

n’eurent même plus de titulaire. Le paganisme semblait renaître dans le nord et dans l’est de la Gaule. Durant la première moitié du VIIIe siècle, le pouvoir central, bientôt usurpé par les Carolingiens, vit

l’Aquitaine lui échapper. Cette dernière devint indépendante en 718 avec le duc Eudes104.

94 P. Riché, « De Grégoire le grand à Pépin le Bref (VIIe-milieu du VIIIe siècle) », Histoire du christianisme, J.-

M. Mayeur, Ch. Et L. Pietri, A. Vauchez, M. Venard (dir.), t.4, Évêques, moines et empereurs (610-1054), Desclée, 1993, p. 609.

95 Cf. P. de Labriolle, G. Bardy, L. Bréhier, G. de Plinval, « De la mort de Théodose à l’élection de

Grégoire le Grand », op. cit., p. 569.

96 L. Bréhier, R. Aigrain, « Grégoire le Grand, les états barbares et la conquête arabe (590-737), Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours, A. Fliche et V. Martin (dir.), Bloud & Gay, 1938, p. 19-20.

97 P. Riché, « De Grégoire le grand à Pépin le Bref (VIIe-milieu du VIIIe siècle) », op. cit., p. 670. 98 C. Lauranson-Rosaz, « Brioude et le Brivadois aux temps mérovingiens », op. cit., p. 128.

99 Cf. P. de Labriolle, G. Bardy, L. Bréhier, G. de Plinval, « De la mort de Théodose à l’élection de

Grégoire le Grand », op. cit., p. 570.

100 P. Riché, « De Grégoire le Grand à Pépin le Bref VIIe-milieu du VIIIe siècle), op. cit., p. 641. 101 Idem, p. 635.

102 C. Lauranson-Rosaz, « Brioude et le Brivadois aux temps mérovingiens », op. cit., p. 129. 103 P. Riché, « De Grégoire le Grand à Pépin le Bref VIIe-milieu du VIIIe siècle), op. cit., p. 648. 104 Ibidem.

B. Le succès de Brioude aux temps carolingiens