Chapitre II. Brioude (IV e XIII e siècle)
A. Quelle réforme ?
2. Une église différente
a) Une Église plus exigeante
(XII
esiècle)
Le XIIe siècle n’est pas un siècle apaisé : ni pour l’espace de Francie, ni pour l’Auvergne, ni pour
l’Église. Quelques grandes lignes, que nous avons choisi sciemment de mettre ici en lumière ont certainement imprégné la mise en forme des arts à Brioude comme ailleurs.
Le concordat de Worms avait permis à l’Église romaine d’atteindre les objectifs de la Réforme grégorienne387 : par l’indépendance de la papauté et son essor sur l’Église universelle388. Entre Calixte II
(élu en 1119) et Innocent III (élu en 1198), 13 papes s’étaient succédés tandis que 6 antipapes élus durant des schismes bousculèrent l’Église389. En 1123, le concile de Latran I qui comme son nom l’indique s’était
tenu à Saint-Jean du Latran renforça l’autorité des évêques390. Avec le soutien aux croisés, l’Église rappela
aussi son souhait de protéger les églises : réforme morale, affranchissement de l’Église, paix, croisade donnaient de grandes perspectives à ce concile391. Un canon de ce concile défendait aux prêtres et autres
diacres de vivre avec une épouse ou une concubine. Le célibat devint un motif de purification de l’Église392. Le concile de 1125 de Londres stipulait encore que les prêtres, diacres, sous-diacres, chanoines
devaient s’abstenir de leurs épouses ou de leurs concubines393. Dans le même ordre d’idée, le synode de
declaratur Romanæ immediate subditum, eique conceditur ut chrsma, oleum sanctum, consecrationes ecclesiarum aut altarium et clericorum ordinationes a quo maluerint episcopo suscipere possint », Gallia Christiana […], op. cit., Instrumenta ecclesiæ s. Flori, col. 132-133.
386 Ce droit accordé par Urbain II le 18 avril 1097 laissait encore la possibilité à des clercs extérieurs au
chapitre de donner son avis pour l’élection de l’évêque. Cf. Chagny-Sève, Le chapitre cathédral de Clermont du
XIe siècle à 1560, op. cit., p. 189.
387 A. Paravicini Bagliani, « L’Église romaine de Latran I à la fin du XIIe siècle », J.-Mayeur, ch. Et L. Pietri,
A. Vauchez, M. Venard, Histoire du Christianisme, t. 5, Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-
1274), Desclée, 1993, p. 180 ; R. Foreville, Latran I, II, III et Latran IV, Collection Histoire des conciles
œcuméniques n°6, Éditions de l’Orante, Paris, 1965, « Concordat de Worms (23 septembre 1122) », p. 168.
388 L’Église universelle du Moyen Âge a pour caractéristique d’être composée d’une série d’Églises
particulières insérées dans des systèmes politiques soumis à l’autorité du souverain, cf. R. Grosse, « L’Église impériale dans la tradition franque. Le temps des ottoniens et des premiers saliens », Revue
d’histoire de l’Église de France, t. 96, Paris, 2010, p. 11-27.
389 A. Paravicini Bagliani, « L’Église romaine de Latran I à la fin du XIIe siècle », op, cit., p. 179. 390 R. Foreville, Latran I, II, III et Latran IV, op. cit., p. 44-73.
391 A. Fliche, « La réforme grégorienne et la reconquête chrétienne (1057-1123) », A. Fliche et V. Martin
(dir.), Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours, Bloud & Gay, 1940, p. 391-395.
392 A. Fliche, « La réforme grégorienne et la reconquête chrétienne (1057-1123) », op. cit., p. 392.
393 A. Fliche, R. Foreville, J. Rousset, « Du premier Concile du Latran à l’avènement d’Innocent II (1123-
Clermont (novembre 1130) moralisait la vie aussi bien du moine que du laïc. Par exemple le tournoi, « fête populaire détestable », était condamné394. En 1139, le deuxième concile de Latran réaffirma sa volonté
disciplinaire au sujet des clercs et des moines, par la lutte contre la simonie, le concubinage395. La
modération de la politique ecclésiastique du roi Louis VI avait facilité l’introduction de la Réforme grégorienne dans l’espace de la Francie. La papauté avait eu intérêt à ménager le roi Louis VI dont l’appui s’était révélé précieux dans la lutte contre Henri V d’Allemagne396.
L’expansion clunisienne s’était poursuivie au début du XIIe siècle. Elle venait confirmer une
situation concurrentielle avec Brioude. Les prétentions clunisiennes investissaient le diocèse de Clermont en particulier dans sa partie orientale397. Cette expansion clunisienne était également politique : les moines
s’étaient infiltrés dans les chapitres avec l’appui de la papauté et de plus en plus, s’instituait l’usage de remettre des prébendes aux représentants des abbayes qui désormais pouvaient participer à l’élection de l’évêque398. Cet élément important rappelle que les moines ou mêmes les chanoines pouvaient posséder
plusieurs prébendes ou différentes charges dans plusieurs églises. Avec ce cumul, les enjeux politiques pouvaient être servis et de bons liens entre les communautés se trouvaient assurés. Le chapitre cathédral par exemple, possédait des chanoines « siégeant » également dans d’autres collégiales ou cathédrales : tels les chanoines de la cathédrale de Clermont qui s’étaient répartis sur le diocèse399. Les diverses charges que
les chanoines cathédraux avaient en dehors de leur église contribuaient sans aucun doute à accroître la réputation de leur chapitre. Mais les Cisterciens faisaient concurrence à Cluny. Saint Bernard dans son
Apologia en 1123-1125 s’était livré à son tour, à une critique des clunisiens400. Par la dénonciation de
l’abondante consommation de nourriture et de boisson des moines de Cluny, il leur rappela aussi que leur coutume de revêtir des habits de chevaliers ou des étoffes précieuses n’était pas compatible avec l’état de moine. Saint Bernard (1090-1153) évoqua l’ampleur des solennités clunisiennes qui attirait l’œil des fidèles et rappela les cérémonies judaïques. Pierre le Vénérable relança fortement la tradition bénédictine à Cluny : en 1132 l’abbé proposa à ses frères de rétablir la loi du jeûne et du silence401.
Saint Bernard insistait aussi pour la réforme des chapitres. Il dénonçait le cumul des bénéfices ecclésiastiques402. Le nombre de dignités accumulé était parfois incompatible avec la pratique liturgique
liée à ses fonctions : elles s’additionnaient pour certains grands personnages, de manière honorifique. Les
394 A. Paravicini Bagliani, « L’Église romaine de Latran I à la fin du XIIe siècle », op. cit., p. 190-191. 395 R. Foreville, Latran I, II, III et Latran IV, op. cit., p. 73-95.
396 A. Fliche, « La réforme grégorienne et la reconquête chrétienne (1057-1123) », op. cit., p. 401.
397 A. Maquet, Cluny en Auvergne : 910-1156, thèse de doctorat sous la direction de M. Parisse, Université
Paris 1, 2006.
398 A. Fliche, R. Foreville, J. Rousset, « Du premier Concile du Latran à l’avènement d’Innocent II (1123-
1198) », op. cit., p. 140.
399 Pour les XIIe et XIIIe siècle on retrouve des chanoines de Clermont à Cébazat, Ennezat, Artonne,
Billom, Gerzat, Lezoux, Orcival, Thiers, Vertaizon, Herment, Montbrison, Brioude, d’après Chagny-Sève,
Le chapitre cathédral de Clermont du XIe siècle à 1560, op. cit., p. 304.
400 A. Fliche, R. Foreville, J. Rousset, « Du premier Concile du Latran à l’avènement d’Innocent II (1123-
1198) », op. cit., p. 116. On pourrait discuter ce fait.
401 Idem, p. 121.
402 A. Fliche, R. Foreville, J. Rousset, « Du premier Concile du Latran à l’avènement d’Innocent II (1123-
chapitres séculiers permettaient des abus qui aux yeux des réformateurs ne pouvaient convenir avec l’exercice de l’office divin de même qu’aux devoirs attachés à l’état de clerc, d’où cette pression pour la régularisation des chapitres. La règle de saint Augustin, meilleure ligne à suivre pour ces séculiers, était parfois introduite dans le chapitre cathédral403. Les paroisses se multiplièrent et la vie chrétienne pénétra
dans les communautés rurales de manière plus intense. L’enseignement, déjà habituel dans les écoles monastiques puis dans les écoles épiscopales, prit un nouvel essor. Le troisième concile général de Latran (1179) se déroula dans un contexte plus calme. L’empereur était réconcilié avec le pontife Alexandre III qui était revenu à Rome404. Les pères conciliaires rappelèrent les prescriptions qui tendaient à protéger le
temporel des églises. La lutte contre la simonie et le nicolaïsme se poursuivait. À partir du XIIe siècle, des
statuts de réforme avaient été promulgués à l’intention des différents établissements canoniaux. Ils s’inscrivaient à la suite des mouvements des grands ordres tels Cluny, Cîteaux ou les Prémontrés405.
Le contexte important pour notre propos est aussi celui de l’offensive contre les infidèles : il a influencé les commanditaires et les artisan-artistes. Particulièrement à Brioude et peut-être en Auvergne, il a pu jouer un rôle dans les choix artistiques mis en place dans les édifices. Mieux encore, il a pu conditionner certaines liturgies. L’idée de croisade, depuis Urbain II, continua d’alimenter les esprits406.
Elle venait d’ailleurs de plus loin. Elle prit son essor au cours du XIe siècle. Durant la paix de Dieu les
églises avaient recruté des professionnels de la guerre, milites ecclesiae, défenseurs d’églises407. L’action
violente menée pour la bonne cause avait déjà dans les communautés, fait son chemin. Le châtiment y compris pour les reliques de saints qui ont déçu faisait partie de la vie408. À l’inverse, le saint pouvait être
violent : sainte Foy frappa et fit périr un clerc qui doutait des pouvoirs miraculeux de sa statue409. Jean
Flori évoque la sacralisation de la protection de l’église de Rome qui s’accroît encore contre l’ennemi mahométan. Cependant, l’Église n’accordait pas pour autant aux clercs ou aux moines le droit de prendre part à la croisade. À l’idée de combattre pour récupérer la terre où vécu le Christ, s’ajouta la notion de pèlerinage. Les pèlerins qui se rendaient à Jérusalem sur le tombeau du Christ Sauveur recevaient l’assurance de l’indulgence de leurs péchés confessés410. L’exaltation de la Croix, dévotion qui trouve son
403 Ibidem ; J. Becquet (Dom), « L’évolution des chapitres cathédraux : Régularisations et sécularisations », Le monde des chanoines (XIe-XIVe s.), Cahiers de Fanjeaux, Collection d’Histoire religieuse du Languedoc au
XIIIe et au début du XVIe siècle, CNRS, Éditions Privat, Toulouse, 1989, p. 19-39 ; J. Becquet (Dom),
« La réforme des chapitres cathédraux en France aux XIe et XIIe siècles », Vie canoniale en France aux Xe-
XIIe siècles, Variorum reprints, London, 1985, p. 32-41.
404 R. Foreville, Latran I, II, III et Latran IV, op. cit., p. 134-158.
405 J. Avril, « La participation du chapitre cathédral au gouvernement du diocèse », « Le monde des
chanoines (XIe-XIVe s.) », Cahiers de Fanjeaux, Collection d’Histoire religieuse du Languedoc au XIIIe et au
début du XIVe siècle, CNRS, Éditions Privat, Toulouse, 1989, p. 45-46.
406 Cf. J. Riley-Smith, « The idea of crusading in the charters of early crusaders, 1095-1102 », Le concile de Clermont de 1095 et l’appel à la croisade, Collection École française de Rome, 1997, p. 155-166.
407 J. Flori, La guerre sainte. La formation de l’idée de croisade dans l’Occident chrétien, Collection historique,
Éditions Aubier, Paris, 2001, p. 11.
408 P. Geary, « L’humiliation des saints », Annales, Économies, Société, Civilisations, vol. 34, n°1, 1979, p. 27-42. 409 B. d’Angers, Liber miraculorum sancte fidis, IV, 7 et III, 24, traduction A. Bouillet et L. Servière, Sainte
Foy, vierge et martyre, Rodez, 1900, p. 552, 564.
origine au Xe siècle, servait la propagande pour la guerre contre l’Islam411. La multiplication des reliques de
la vraie croix depuis le début du Xe siècle entraina un culte propre : avec ses reliques et ses pèlerinages. La
dévotion au Saint-Sépulcre peut donc se comprendre à travers celle de la Croix. Le Brivadois fournit un bon exemple de la réceptivité en milieu aristocratique aux enseignements de la liturgie de la Croix412.
Christian Lauranson-Rosaz rappelle que la famille des Brioude-Gévaudan se prétendait descendante d’Héraclius, rien de moins413. Ce dernier, empereur d’Orient au VIIe siècle, avait repris aux Perses la relique
de la vraie Croix volée seize ans plus tôt à Jérusalem. Saint Odilon, parent des Brioude, dit justement que cet Héraclius était à l’origine de la fête de l’Exaltation de la sainte Croix414. Les Polignac aussi allaient
adopter ce nom, Héracle. Il semble que la dévotion aristocratique mêle le culte de la Croix et le culte des ancêtres. Autour de l’an mil, le saint préféré de la reine Constance d’Arles, épouse de Robert le Pieux, était saint Savinien415, un abbé de Saint-Chaffre du Monastier également de Menat après saint Ménélée que l’on
disait descendant d’Heraclius. Cette dévotion est justifiée par Christian Lauranson-Rosaz par son ascendance : la comtesse Azalaïs-Blanche, sa mère, fut mariée premièrement à Étienne de Brioude- Gévaudan …
On ne connaîtra jamais le nombre des Auvergnats qui ont répondu aux appels invitant à se rendre en Terre Sainte entre les Xe-XIe siècles à causes de plusieurs critères416. Déjà à la veille de la première
croisade, les pèlerinages en Terre Sainte étaient une pratique établie en Auvergne, comme dans le reste de l’Occident d’ailleurs. La donation de Cornazat à Saint-Julien de Brioude datée de 925 dans le Cartulaire de Brioude en témoigne417. Pareillement en 1036, Hictor au retour d’un pèlerinage à Jérusalem, donna à l’église
cathédrale de Clermont, l’église du Saint-Sépulcre qu’il avait fondée sur une de ses terres situées près du château de Jaligny : il s’en réservait l’usufruit viager418. Plusieurs donations faites au monastère de
Sauxillanges furent réalisées dans ce contexte. Puis après l’appel d’Urbain II, ce sont les des grands féodaux qui partirent pour la Terre Sainte. Il y eut la haute aristocratie, représentée par ce qui restait de l’autorité publique et comtale : le prélat à la tête de l’Église d’Auvergne et le comte de Toulouse principale
411 A. Frolow, Le relique de la Vraie Croix. Recherches sur le développement d’un culte, Paris, 1961 ; D. Iognat-Prat,
« La Croix, le moine et l’empereur : dévotion à la Croix et théologie politique à Cluny autour de l’an Mil »,
haut Moyen Âge. Culture, éducation et société. Études offertes à Pierre Riché, Paris, 1990, p. 449-475.
412 D. Iognat-Prat, « La Croix, le moine et l’empereur : dévotion à la Croix et théologie politique à Cluny
autour de l’an Mil », op. cit., p. 449-475.
413 C. Lauranson-Rosaz, « Le Velay et la croisade », Le concile de Clermont de 1095 et l’appel à la croisade,
Collection de l’école française de Rome, Boccard, Paris, 1997, p. 38.
414 D. Iognat-Prat, « La Croix, le moine et l’empereur […]», op. cit., p. 460. 415 Cependant il existe saint Savinien de Sens.
416 Cf. G. Fournier, « Documents auvergnats relatifs aux pèlerinages en Terre Sainte et aux premières
croisades, XIe-XIIe siècles », Bulletin historique et scientifique d’Auvergne, t. XCVIII, Académie des Sciences,
Belles-Lettres et Arts de Clermont-Ferrand, 1996, p. 81-83.
417 H. Doniol, Cartulaire de Sauxillanges, 1861, n°838 à n°925 : « Donation faite par Hugues d’Usson à Saint-
Pierre et aux moines de Sauxillanges. Il leur a cédé, dans le cas où il décèderait au cours de son pèlerinage à Jérusalem, tous ses biens patrimoniaux légitimes, à l’exception de l’église d’Aulhat qu’il donne à Saint- Austremoine, de la terre qu’il possède dans le village de Cornazat qu’il donne à Saint-Julien, et du village qui est appelé Pomairol, qu’il donne à Saint-Sébastien ; quant à l’église de Brenat, il désire que, dès qu’il sera mort, les moines de Sauxillanges en jouissent sans délai ».
puissance de la France méridionale. À la première croisade, plusieurs barons, seigneurs féodaux guidèrent la marche : divers contingents s’étaient formés où figuraient des Provençaux, des Toulousains, des Gascons, des Auvergnats ou des Bourguignons419. Deux des principales familles de l’aristocratie
auvergnate ont été représentées à la première croisade avec Maurice de Montboissier et Héracle de Polignac. L’évêque de Clermont Guillaume de Baffie et le comte Guillaume VI participèrent l’un à une des arrière-croisades et l’autre aux opérations qui ont découlé de la prise de Jérusalem420. Maurice de
Montboissier, père de Pierre le Vénérable appartenait à un ancien lignage auvergnat. Cet homme revenu de Jérusalem serait mort entre 1116 et 1117 après avoir revêtu l’habit religieux à Sauxillanges, où il fut enseveli421. Héracle II de Polignac était parti à la croisade sans en revenir422. Les vicomtes de Polignac
étaient au XIe siècle la principale famille aristocratique du Velay423. Le porte-étendard de l’évêque du Puy,
mourut à Antioche. Le comte d’Auvergne et l’évêque de Clermont semblent avoir répondu tardivement à l’appel d’Urbain II : leur présence en Orient n’est attestée qu’à l’époque des arrière-croisades424. Raimond
de Saint-Gilles qui fit partie de l’expédition, avait entretenu des relations avec l’abbaye de la Chaise-Dieu. Il fit hommage de son comté au patron de l’abbaye et avant de partir en Terre Sainte vint prier sur son tombeau. Un moine casadéen fut désigné pour l’accompagner en Terre Sainte. Durant le siège de Tripoli, Raimond désigna le moine comme évêque de cette ville dont il désirait faire sa capitale. Il le chargea aussi de faire parvenir après sa mort des reliques et d’autres dons à l’abbaye auvergnate425. Pour les fidèles, les
croisades renvoient à plusieurs choses. Le pardon accordé aux chevaliers pillards qui décidaient de partir pour Jérusalem fut mis en œuvre par des moines. Ce fut le cas à Saint-Chaffre du Monastier426. D’après
Yves Carrias, au moins 105 seigneurs auvergnats ont participé à la première croisade dont Pierre de Mercœur, Pierre de Léotoing, Pons Ier de Polignac, Armand de Polignac, et Héracle de Polignac427. Les
liens entre l’Église du Puy et Cluny avaient aussi favorisé l’idée de croisade en Velay : « arrive d’ailleurs l’époque où les évêques du Puy sont eux-mêmes des pro-clunisiens – tels Théotard d’Aurillac et Frédol d’Anduze, successeurs de Gui d’Anjou -, puis franchement des Mercœur […] ». En effet, Étienne II de Mercœur élu en 1030, neveu d’Odilon de Mercœur, présidait en 1036 avec son oncle un concile de paix au
419 Sur ce point, C. Gaier, « La valeur militaire des armées de la première croisade », M. Rey-Delqué (dir.), Les croisades. L’orient et l’occident d’Urbain II à saint Louis 1096-1270, Electa, Milan, 1997, p. 183-187.
420 G. Fournier, « Documents auvergnats relatifs aux pèlerinages en Terre Sainte et aux premières
croisades, XIe-XIIe siècles », op. cit., p. 88.
421 G. Constable, The letters of Peter the Venerable, 1967, t. 1, lettre n°53 (1135), p. 159-160, t. 2, p. 134. 422 C. Lauranson-Rosaz, « le Velay et la croisade », Le concile de Clermont de 1095 et l’appel à la Croisade. Actes du Colloque universitaire international de Clermont-Ferrand (23-25 juin 1995), École française de Rome, 1997, p.
52.
423 G. Fournier, « Documents auvergnats relatifs aux pèlerinages en Terre Sainte et aux premières
croisades, XIe-XIIe siècles », op. cit., p. 92-93.
424 Il s’agit du nom donné aux renforts partis d’Occident à la nouvelle de la prise de Jérusalem.
425 G. Fournier, « Documents auvergnats relatifs aux pèlerinages en Terre Sainte et aux premières
croisades, XIe-XIIe siècles », op. cit., p. 94.
426 U. Chevalier, Cartulaire de Saint-Chaffre du Monastier, 1884, p. 139-141.
427 Y. Carrias, Chevaliers croisés. Auvergne, Bourbonnais, Velay, Armorial, cartes, tables héraldiques, Éditions Créer,
Puy. En 1051, le pape Léon IX l’honora du pallium et exempta le diocèse de l’autorité métropolitaine : l’Église du Puy relèvait désormais de Rome comme Cluny428.
La seconde croisade fut souhaitée par Eugène III. Il adressa au roi et aux princes de Francie une bulle qui les invitait à se porter au secours des chrétiens de Terre Sainte menacés par les Turcs429. Saint
Bernard délégué en quelque sorte par le pape, a prêché la croisade : par son intervention l’idée initiale d’une croisade « française et italienne » devint un projet international. Louis VII après avoir chargé Suger du gouvernement de son royaume, partit pour la croisade, mais cette dernière fut un échec, notamment du fait des liens diplomatiques complexes entretenus avec l’empire byzantin. Louis VII, démoralisé, rentra en 1149. Les deux croisades officielles du XIIe siècle semblent n’avoir rencontré qu’un écho limité en
Auvergne. Il faut dire qu’elle connait des troubles intérieurs importants pendant cette période comme le montrent les interventions de Louis VI en 1122 et 1126 pour régler les conflits entre le comte et l’évêque de Clermont puis les rivalités entre Capétiens et Plantagenets ou encore le partage du comté en deux vers 1146-1151. Parallèlement, plusieurs ecclésiastiques, comme Pierre le Vénérable, doutaient de la valeur des grands pèlerinages. Cependant les départs individuels pour la croisade étaient encore courants. L’expression « partir pour Jérusalem » fut remplacée par « prendre la croix »430. Vers 1120, période où la
contre-offensive musulmane menaçait Antioche et Édesse, Goufier de Jaligny sur le point de partir à Jérusalem renonça aux droits abusifs qu’il exerçait sur le village de Saint-Beauzire en faveur du chapitre cathédral. En échange, le chapitre lui donna un étendard consacré à la Vierge à porter dans les combats et une somme d’argent. Les chanoines promettaient ensuite de dire des prières pour lui et de célébrer son anniversaire après sa mort431. La croisade et le pèlerinage étaient naturellement des moyens d’assurer son
salut, mais les clunisiens l’avaient parfois contesté. Pierre le Vénérable revint à plusieurs reprises dans sa