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Chapitre II. Brioude (IV e XIII e siècle)

B. Le succès de Brioude aux temps carolingiens

3. La fin des princes

a) Toulouse, Poitiers et l’Auvergne

Brioude fit toujours l’objet de disputes et d’une course au prestige. Le monument roman en garde assurément la trace. La rivalité entre les familles de Toulouse et de Poitiers constitua en réalité une incontestable guerre de succession d’Auvergne qui commença avec la mort du duc Acfred dernier des Guilhemides238. La rivalité des princes ne se joua plus par rapport au roi, mais par rapports aux rivalités

des chefs locaux. La prise de Brioude par le vicomte Dalmas était la première preuve attestée de la faiblesse du pouvoir royal239. À partir du IXe siècle, des vicomtes, aux titres devenus aussitôt

héréditaires240, apparurent en Aquitaine comme dans toute la partie occidentale de l’Empire carolingien.

Peut-être qu’en Auvergne ce titre avait été utilisé par les Guilhemides eux-mêmes, créant de ce fait des

232 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 72. 233 P. Cubizolles (Abbé), Le Noble chapitre […], op. cit., p. 510-511. 234 C. Lauranson-Rosaz, op. cit., p. 73.

235 Idem, p. 75. 236 Id., p. 77.

237 P. Cubizolles (Abbé), op. cit., p. 511.

238 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 78. 239 Idem, p. 79.

240 C. Laurenson-Rosaz, « Vicomtes et vicomtés en Auvergne et dans ses marges (IXe-XIe s.) », H. Débax

agents locaux délégués du comte en Aquitaine241. Le vicomte était donc un délégué général du comte dans

le cadre du pagus242. Le vicomte Dalmas243, membre de la noblesse d’Auvergne, prit l’abbatiat et reconnut

la royauté de Raoul. Son père était déjà vicomte de Guillaume le Pieux, mais il s’était aussi déjà rapproché du duc Robert pour combattre les Normands. Les grands d’Aquitaine tenaient de plus en plus le devant de la scène. Ils prêtèrent l’hommage au roi Raoul qui succéda à son beau-père Robert Ier en 923 (890-936)244.

Il faut dire que pendant la trentaine d’année qui suivit la fin des Guilhemides, l’anarchie s’était installée en Aquitaine. Les titres et les faveurs royales n’avaient plus de sens. Les chartes de Brioude ne portaient d’ailleurs plus le nom du comte de 927 à 955 hormis dans l’épisode de 936245. C’est ainsi que

l’interrègne justifia la présence tolérée du roi en Aquitaine. Le roi Raoul intervint jusqu’en Limousin, pour bouter les Normands de la Loire. Les indigènes préférèrent alors avoir à faire directement au roi, plutôt que d’avoir un nouveau duc : ils se partagèrent davantage les territoires. Le chapitre de Brioude avait reconnu et daté ses chartes du règne de Raoul, Conques également, et ce dès la mort de Charles le Simple. À la mort de Charles le Simple, les prétendants au duché d’Aquitaine ne se s’étaient pas manifestés très rapidement. Chaque clan ou chaque famille avait préféré garder ses acquis. En conséquence, la famille de Toulouse qui régnait sur le sud et l’est de l’Aquitaine avait attendu des évènements déclencheurs avant de se lancer dans la course au pouvoir246. Postérieurement, en janvier 936, Raoul mourut et Louis IV de

France, dit d’Outremer (920/921-954), fils de Charles III le Simple, devint roi, ce qui rétablit la succession carolingienne sur la Francia occidentalis.247.

En août 936, le fier Dalmas vicomte et abbé de Brioude assista à la fondation de l’abbaye de Chanteuges réalisée par Cunabertus prévôt du chapitre Saint-Julien248. À cette occasion, des personnages

importants dévoilèrent leurs intentions et imposent leurs titres. Raymond Pons (de Toulouse) vint promptement à Saint-Julien de Brioude, et se para du titre de duc d’Aquitaine ; sont aussi présents les évêques Godechaud du Puy et Arnaud de Clermont, le vicomte de Clermont Robert, l’abbé Eudes de Cluny et son coadjuteur Arnoux d’Aurillac, ainsi que les provinciales d’Auvergne249. Cet acte avait été écrit à

l’intérieur de la basilique de Brioude « devant l’autel de St Estienne »250. Les nombreux prétendants au

contrôle de l’Aquitaine et de la prestigieuse basilique Saint-Julien de Brioude étaient présents : chaque dignitaire espérait jouer un rôle sérieux dans la direction du chapitre.

241 Idem, p. 216. 242 Id., p. 221-222.

243 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 90 ; Christian Settipani, La Noblesse du midi carolingien. Études que quelques grandes familles d’Aquitaine et du Languedoc du IXe au XIe siècles. Toulousain. Périgord.

Limousin. Poitou. Auvergne, Prosopographica et genealogica, vol. 5, Oxford, 2004, p. 293-302.

244 À la mort de Robert I, à la bataille de Soissons le 15 juin 923, les grands du royaume, ne voulant pas

rendre la couronne à Charles III le Simple, le choisissent pour roi.

245 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 79. 246 Idem, p. 80.

247 W. Falkowski, « La monarchie en crise permanente. Les carolingiens après la mort de Charles le

Chauve », op. cit., p. 355.

248 Charte n°337, Grand Cartulaire Saint-Julien de Brioude, essai de restitution par Anne et Marcel Baudot,

Éditions générales de Bussac, Clermont-Ferrand, 1935.

249 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 80. 250 A. de Combres de Bressoles de Laurie, op. cit., ch. III.

Aussi, sous l’abbatiat de Dalmas, les donations en faveur des chanoines ont été nombreuses. Cette période d’apogée, après lui révolue, fut remplacée par une période de décroissance des dons. Le Brivadois était déjà inséré dans des jeux d’alliances complexes tissés par les familles de Mercœur, de Chapteuil ou de Polignac251. En conséquence, Raymond Pons devenu duc d’Aquitaine, voulut être considéré comme

l’épigone des Guilhemides, mais il disparut vers 940 sans être parvenu à ses fins.

Pendant cette période favorable, le nombre de chanoines aurait pu augmenter et passer de 54 tel qu’il était (?) à l’origine en 825 (34 chanoines à Saint-Julien et 20 chanoines dans l’église du castrum252), à

80 avant 1049253. La manse commune qui avait pu répondre à l’accroissement du nombre de canonicats

était devenue insuffisante au XIe siècle et les chanoines appelèrent le pape Léon IX pour trouver un

remède à la situation. Ce n’est pas une augmentation de la mense mais une diminution du nombre de chanoines que le saint Père opéra en 1049254. Toutefois il nous faut signaler une incertitude pour toute

cette période, car la charte de 874 ne mentionne qu’une vingtaine de chanoines255.

À la suite de Raymond Pons, deux personnages se disputèrent l’Aquitaine : Raymond de Rouergue (chef du clan toulousain) et Guillaume tête d’Étoupe (possédant le Poitou). L’Auvergne fut coupée en deux : la partie nord était plutôt pro-poitevine et l’Auvergne du Sud (avec le Brivadois, le Velay et le Gévaudan) était essentiellement tournée vers Toulouse et le grand Midi256. Le désordre régna dans les

années 950 car les seniores auvergnats édifièrent des seigneuries banales et pour ce faire, ils prirent les biens d’Église. Les domaines de Brioude furent ravagés par l’abbé (laïque) lui même, en 951257. Lorsque le comte

Guillaume tête d’Étoupe (Guillaume III de Poitiers) profita de la disparition du roi Louis IV d’Outremer (920/921-954), dans le but de se débarrasser de la tutelle royale, le 10 septembre 954, ses partisans se réunirent autour de lui et du vicomte-abbé Dalmas de Brioude258. Déjà en 950, lorsque Louis reçut

l’hommage du comte de Poitiers et de l’évêque de Clermont, les grands d’Aquitaine n’étaient plus présents depuis longtemps au conseil du roi. Les évêques rendirent toujours hommage au roi, mais ils cherchèrent une autre autorité259. Ils se tournèrent vers Cluny et vers Rome pour assurer la « Paix ».

Le lien institutionnel entre le roi et les comtes a vu sa nature profondément modifiée. Les ambitions aquitaines des Robertiens se réveillaient. Le jeune roi Lothaire restaura le royaume d’Aquitaine. Il fut confié au duc de France Hugues le Grand, avec la Bourgogne. Dans le conflit entre le roi et le comte de

251 M. Estienne, Le pouvoir partagé […], op. cit., p. 54.

252 G. Fournier, Le peuplement rural en basse Auvergne […], op. cit., p. 165.

253 Domni Dionysii Sammarthani, presbyteri & monachi Ordinis Sancti Benedicti, e Congregatione sancti

mauri, « De nobili ecclesia collegiata S. Juliani Brivatensis », Gallia Christiana in provincias ecclesiasticas distributa ; qua

series et historia archiepiscoporum episcoporum et abbatum franciæ vicinarumque dictionum ab origine ecclesiarum ad nostra tempora deducitur, & probatur ex authenticis instrumentis ad calcem appositis, t.2, Parisiis, ex typographia regia, 1720,

col. 469 : « […] quod ad octoginta redacti fuerint a S. Leone hujus nominis nono, bulla data anno 1049 […] »

254 J.-J. Lachenal, Une église historique d’Auvergne […], op. cit., p. 30.

255 G. Fournier, Le peuplement rural en basse Auvergne […], op. cit., note n°22 bis, p. 165. 256 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 82.

257 Ibidem.

258 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 83. 259 Idem, p. 84

Poitiers, Guillaume prit le titre de duc d’Aquitaine260 (Guillaume III de Poitiers dit Guillaume Tête

d’Étoupe), mais sa principauté fut bouleversée par l’anarchie. En 958, la rébellion des seniores arvernici put être interprétée comme une prise de position des grands en faveur du duc contre la royauté et ses partisans. Ses partisans quels étaient-ils ? Il s’agissait de l’évêque de Clermont Étienne, de l’abbaye de Cluny. Dans le monde carolingien l’épiscopat partageait avec le roi cette proximité particulière qu’était le sacré : ils étaient au cœur du processus de construction de la société261. Toujours est-il que l’explosion

générale troublait les esprits de chaque clan. Les terres de Cluny et du chapitre de Clermont étaient mises à mal.

Autour de 961, après la mort du duc, le roi de France n’intervint plus dans les affaires d’Aquitaine. En Auvergne, à l’image de ce qui se passait dans toute l’Aquitaine, l’évêque essaya de maintenir un ordre fragile, sans cesse contredit par les seniores. Après une courte accalmie, la crise reprit : le pape Jean XIII recommanda à tous les prélats d’Aquitaine, de protéger les biens clunisiens et de punir les usurpations des terres d’Église. Les anciennes possessions de Guillaume le Pieux, relevant théoriquement de Guillaume IV d’Aquitaine (comte de Poitiers fils de Guillaume III de Poitiers), étaient désormais dominées par l’aristocratie locale. Au nord, les vicomtes de Clermont furent associés aux poitevins. Au sud, la noblesse pro-toulousaine devint de plus en plus autonome. Le chef de file de cette noblesse, n’était plus l’abbé- vicomte de Brioude Dalmas, mais Étienne, descendant de fidèles des Guilhemides. Cet Étienne se maria avec la fille de l’une des plus anciennes familles du royaume, Azalaïs, fille du comte d’Anjou262. Cette

alliance entre une famille auvergnate et un illustre lignage du royaume attisa encore les conflits locaux. Autour de Brioude, dans les troubles de l’Auvergne, de nouveaux pouvoirs se dessinèrent pour créer des territoires toujours plus fractionnés. Les angevins avaient ainsi pu mettre le pied en Aquitaine pour combattre les comtes de Poitiers.

b) Une Auvergne coupée en deux

Le comte d’Anjou voulut réaliser une tenaille afin de favoriser le retour en force de la royauté. Il s’agissait pour lui de mettre la main sur une région importante du royaume, en combinant les forces carolingiennes tenues par Lothaire et les forces nouvelles acquises dans le Midi, pour contenir et dominer le duc des Francs Hugues Capet et son beau-frère Guillaume IV, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers263.

Azalaïs épousa une première fois Étienne (vers 960), puis à sa mort en 975-976, elle épousa Raymond comte de Toulouse, mort en 978. Elle épousa en troisième mariage Louis, fils du roi Lothaire, pour annulation de mariage et enfin épouser deux ans plus tard Guillaume marquis de Provence. Par son premier mariage, elle put gouverner Brioude et posséder une large influence sur le Puy. Cette région du sud de l’Auvergne, était importante puisqu’elle était le lieu de refuge des comtes d’Auvergne, ducs d’Aquitaine issus de Bernard Plantevelue. C’est à Brioude qu’ils se faisaient enterrer, c’est là aussi qu’ils

260 Id., p. 85.

261 G. Bührer-Thierry, « Épiscopat et royauté dans le monde carolingien », op. cit., p. 147. 262 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 85-87

battaient monnaie et possédaient une chancellerie. C’est aussi à Brioude que mourut Acfred. Il avait été duc d'Aquitaine et comte de l’Auvergne suite au trépas de son frère Guillaume II le Jeune en 926. C’est le dernier des Guilhemides. Nous l’avons dit plus haut, après sa mort éclata une guerre de succession qui opposa pendant vingt ans les comtes de Toulouse et de Poitiers pour le titre de duc d'Aquitaine.

Ainsi Brioude a été confiée à Dalmas, vicomte et parent d’Acfred. Étienne, le mari d’Azalaïs, fait partie de la famille de Dalmas et donc des anciens ducs d’Aquitaine. Il est l’héritier de leur puissance et règne sur toute l’Auvergne méridionale264. Par le mariage avec Raymond comte de Toulouse, marquis de

Gothie et fils de Raymond Pons, Azalais accède au Midi Toulousain. Un grand pouvoir se concentre sur sa personne. Le comte d’Anjou réunit les fils des deux défunts, Étienne et Raymond, pour marcher contre les fils de Guillaume Tête d’Étoupe265. Il relança une révolte contre les Carolingiens. Par ses fils, Azalaïs

domina toute l’Aquitaine, de Brioude à Toulouse. Néanmoins, pour cette principauté à la Guilhemide, il fallut un roi. D’après Christian Lauranson-Rosaz, c’est ainsi qu’Azalaïs avait épousé le futur Louis V pour qui son père Lothaire ressuscita le royaume d’Aquitaine266.

Pour s’assurer le Nord de l’Auvergne, le roi accorda le titre comtal au vicomte de Clermont267 qui

était le principal vassal théorique du duc d’Aquitaine. Ce dernier venait d’établir une coalition avec le duc des francs pour riposter à l’alliance de la monarchie avec les Angevins268. De ce fait, la stratégie politique

pour unifier le grand Midi n’allait pas aboutir. Le mariage fut bien vite annulé et Azalaïs se remaria avec le comte Guillaume d’Arles. L’ambitieux projet, n’était plus réalisable dans une période en pleine « révolution féodale »269. Par le mariage de son fils Louis, le roi Lothaire, pensait pouvoir soumettre le pays. Mais le

pouvoir échappa déjà aux grands « féodaux ». L’Auvergne fut de la sorte coupée en deux. Les vicomtes de Clermont suivirent le parti du roi, mais redonnèrent leur fidélité au duc d’Aquitaine réconcilié, lequel en retour, ratifia leur prise du titre comtal270. Le comte de Clermont essaya en 985 de prendre Mende,

forteresse des comtes de Brioude-Gévaudan. Mais, ce dernier fut tué. Ces mariages ratés et ces attaques partisanes plongent l’Auvergne dans une véritable crise. L’Auvergne carolingienne n’existait plus. La lutte était dorénavant spécialement accrue entre les sires et non plus contre les princes : « les principes arvernenses lutt[ai]ent pour leur propre compte »271.

Théoriquement pourtant, depuis que l’Auvergne avait réintégré la principauté aquitaine avec les Guilhemides, les comtes de Poitiers, leurs successeurs (d’origine auvergnate) dès 936, assumaient ces terres272. Ces derniers « couronnés » à Limoges associèrent jusqu’à la fin du XIIe siècle, le titre de ducs

d’Aquitaine et de comtes de Poitiers, qui comprenait la suzeraineté de l’Auvergne.

264 Id., p. 89. 265 Id., p. 90. 266 Id., p. 91.

267 M. Estienne, Le pouvoir partagé […], op. cit., p. 50-52.

268 C. Lauranson-Rosaz, L’Auvergne et ses marges […], op. cit., p. 91. 269 Idem, p. 92.

270 Id., p. 94. 271 Id., p. 96.

272 J.-L. Fray, « L’échec des principautés : tableau des pouvoirs à la fin du XIIe siècle », L’identité de l’Auvergne […], op. cit., p. 233.