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Propriétés magnétiques des ions lanthanide trivalents

1.2 Les ions lanthanide dans le magnétisme moléculaire

1.2.4 Propriétés magnétiques des ions lanthanide trivalents

Le comportement magnétique des complexes à base d’ions lanthanide trivalents est directement lié à la nature (en terme d’états |J, MJi, par abus, aussi noté MJi) et à l’énergie des micro-états du multiplet fondamental 2S+1LJ de chaque ion [27, 28]. En terme de propriétés, les ions lanthanide trivalents possèdent en effet un moment magnétique intense (par rapport aux métaux 3d) ainsi qu’une forte anisotropie intrinsèque (sauf pour le gadolinium(III) qui est isotrope et l’europium(III), dont l’état fondamental est non magnétique) pouvant conduire à des complexes avec une forte anisotropie magnétique, indispensable pour pouvoir observer un comportement de molécule aimant.

Cette anisotropie intrinsèque des ions lanthanide trivalents trouve son origine dans le couplage spin-orbite, et plus particulièrement dans le fait que cette interaction entraine l’apparition d’un mo-ment angulaire total−→

J , par couplage des moments angulaires orbital et de spin (−→ J =−→

L +−→

S ), qui n’est pas colinéaire au moment magnétique qui lui est associé,−µ

J (Fig. 1.10). De plus, du fait de la quan-tification du moment angulaire totale−→

J par ses projections suivant l’axe de quantification Z, chaque micro-état d’un multiplet 2S+1LJ possède une anisotropie intrinsèque qui lui est propre. Plus la va-leur de MJ (i.e. la valeur propre de l’opérateur de projection −→

JZ) est grande (i.e. proche de J ), plus l’anisotropie du micro-état en question est axiale.

Du point de vue mathématique, pour un ion et un multiplet 2S+1LJ donnés, l’anisotropie intrin-sèque est caractérisée par le tenseur symétrique d’ordre 2 appelé tenseur g ou tenseur de Landé et qui relie entre eux le moment angulaire total et le moment magnétique, tel que :

−→

µJ = −gµβ−→

J (1.20)

Les valeurs principales du tenseur g (i.e. gX, gY et gZ) caractérisent la forme ainsi que l’amplitude de l’anisotropie : si gX ≈ gY > gZ ≈ 0, l’anisotropie est planaire ; si gX ≈ gY ≈ 0 < gZ, l’anisotropie est axiale ; enfin si gX ≈ gY ≈ gZ, il n’y a pas d’anisotropie (Fig. 1.3).

Malgré la non colinéarité du moment magnétique−µ

J et du moment angulaire total−→

J , il est pos-sible d’évaluer, de façon effective, l’intensité du moment magnétique en projetant ce dernier dans la direction de−→

J (Fig. 1.10). Le moment magnétique effectif est ainsi donné par : −

µef f = −gJµβ−→

avec

gJ = 3 2 +

S(S + 1) − L(L + 1)

2J (J + 1) (1.22)

et son intensité, pare :

µef f ≈ gJµβpJ (J + 1) (1.23) Le tableau 1.3 donne les valeurs de gJ et les intensités des moments magnétiques effectifs de l’ion cérium(III) à l’ion ytterbium(III).

FIGURE 1.10 – Représentation schématique des moments angulaires ~S, ~L et ~J , et des moments ma-gnétiques associés.

A partir de l’expression (1.21) pour le moment magnétique effectif il est également possible de déterminer une valeur effective pour la composante gZ du tenseur d’anisotropie, telle quef:

gef fZ ≈ 2 · gJ · |MJ| (1.24) Plus la valeur de gZef f est importante, plus l’anisotropie est axiale. Pour les ions lanthanide trivalents, les anisotropies les plus axiales sont d’ailleurs obtenues pour le terbium(III), le dysprosium(III) et l’erbium(III), avec des valeurs de gZef f respectivement de 18, 20 et 18.

e. Les valeurs propres de l’opérateur ˆJ2sont de la forme J(J+1) et correspondent à la somme des carrés des compo-santes suivant X, Y et Z de−→

J (annexe p. 46). Les valeurs propres du vecteur opérateurJ peuvent donc être approximées parpJ(J + 1).

f. En considérant la projection du moment magnétique effectif dans la direction Z, on obtient−→µef f

Z = −gJµβ

−→ JZ et donc µef fZ ≈ gJµβMJ. Dans ce contexte, gZef f peut être définie telle que gZef f = geµef fZ β, avec ge≈ 2.

Tableau 1.3 – Pour chaque ion lanthanide trivalent, le terme spectroscopique du multiplet fondamental ainsi que les valeurs associées de gJ (1.22), du moment magnétique effectif µef f (1.23) et du produit χMT (1.30) [1]. Symbole Terme gJ µ ef f χMT spectroscopique (µβ) (cm3.K.mol−1) Ce3+ 2F5/2 6/7 2.54 0.80 Pr3+ 3H4 4/5 3.58 1.60 Nd3+ 4I9/2 8/11 3.62 1.64 Pm3+ 5I4 3/5 2.68 0.90 Sm3+ 6H5/2 2/7 0.85 0.09 Eu3+ 7F0 0 0 0.00 Gd3+ 8S7/2 2 7.94 7.88 Tb3+ 7F6 3/2 9.72 11.82 Dy3+ 6H15/2 4/3 10.65 14.17 Ho3+ 5I8 5/4 10.61 14.07 Er3+ 4I15/2 6/5 9.58 11.48 Tm3+ 3H6 7/6 7.56 7.15 Yb3+ 2F7/2 8/7 4.54 2.57

En plus de posséder une forte anisotropie intrinsèque, les ions lanthanide trivalents possèdent également une forte anisotropie de leur densité 4f (Fig. 1.11). En fonction de sa forme ‘en obus’ ou ‘en disque’, cette dernière est caractérisée d’oblate ou de prolate [3].

FIGURE 1.11 – Représentation schématique de la densité électronique 4f des ions lanthanide triva-lents. Pour les ions à gauche (CeIIIet TbIII), la densité est dite oblate et pour les ions à droite (SmIIIet TmIII), elle est dite prolate. Pour le GdIII et le LuIII, la densité 4f est isotrope. Représentation tirée de la référence [3].

Lorsqu’un ion lanthanide trivalent se retrouve impliqué dans un complexe, sous l’effet du champ électrostatique généré par les ligands qui l’entourent, son anisotropie intrinsèque conduit à l’appari-tion d’une anisotropie magnétique dans le complexe. Plus précisément, en foncl’appari-tion de la façon dont cette densité 4f s’accommode de la perturbation provoquée par le champ des ligands, un état propre

|J, MJi se retrouve stabilisé d’avantage que les autres,gde même que l’anisotropie qui lui est associé. L’anisotropie magnétique est donc intrinsèquement liée à une anisotropie de la densité 4f. L’ani-sotropie magnétique du complexe reste donc caractérisée par le tenseur g qui possède maintenant une orientation bien définie dans le repère de la molécule considérée. Comme pour l’anisotropie in-trinsèque, on parle d’anisotropie axiale et planaire. D’ailleurs, dans le cas d’une anisotropie axiale (planaire), la direction associée à la composante gZ (aux composantes gX et gY) du tenseur est appe-lée axe (plan) facile d’aimantation, et correspond à la direction suivant laquelle la molécule peut le plus facilement acquérir une aimantation sous l’effet d’un champ magnétique externe. L’orientation du tenseur d’anisotropie dans la molécule peut être déterminée expérimentalement, en effectuant des mesures de susceptibilité magnétique sur monocristal [61].

Dans le cas d’un complexe, il est finalement possible de déterminer une expression effective de la susceptibilité magnétique en utilisant l’opérateur de Zeeman pour obtenir une expression de En (en terme de calcul, l’approche est identique). Pour un opérateur de Zeeman tel que :

ˆ

HZeeman = −−−→

µef f ·H (1.25)

les valeurs propres sont de la forme :

En = µβ · gJ · MJ · H (1.26)

conduisant ainsi à

En(0) = 0 (1.27)

En(1) = µβ · gJ · MJ (1.28)

En(2) = 0 (1.29)

En injectant ces valeurs dans la formule de Van Vleck (1.17), et en sachant que MJ varie entre J et −J, la valeur moyenne de la susceptibilité magnétique pour le multiplet2S+1LJ est donc donnée par :

ef fi = N .g

2 J2

β

kBT J (J + 1) (1.30)

Cette expression ne tient cependant pas compte de l’anisotropie du tenseur g associé à chacun des micro-états du multiplet2S+1LJ. Les valeurs ainsi calculées ne sont donc comparables à l’expérience que dans la limite où tous les micro-états sont peuplés, i.e. à relativement haute température, et dans la limite où les moments magnétiques associés à ces micro-états se compensent, i.e. pour une mesure sur poudre.

En tenant compte de l’anisotropie du tenseur g, c’est-à-dire en utilisant l’expression du moment magnétique −µ

J (1.20) plutôt que celle du moment magnétique effectif (1.21) dans l’opérateur de Zeeman (1.25), on obtient :

χu = N .g2 u2

β

4kBT (1.31)

g. Chaque état propre |J, MJi possède une anisotropie de la densité 4f qui lui est propre car il correspond à une occupation différente des orbitales 4f

avec u = x, y ou z. Sur poudre on a donc : hχi = 1

3x+ χy + χz) (1.32)

Cette formulation implique cependant de connaitre l’évolution des valeurs de gX, gY et gZ avec la température, ce qui est loin d’être trivial. Néanmoins, à basse température, i.e. dans la limite où seul le micro-état ou le doublet de plus basse énergie est peuplé, et dans l’hypothèse d’une anisotropie fortement axiale, il est possible d’utiliser l’approximation du pseudo-spinhS = 1/2˜ i pour évaluer de façon efficace la valeur de la susceptibilité magnétique. Sachant que :

g2 = 1 3(g

2

X + gY2 + gZ2) (1.33)

avec gZ = gZef f et gX = gY = 0, on obtient en effet : hχi = N .µ 2 β 4kBT. (gZef f)2 3 (1.34)

Au final, les ions lanthanide trivalents constituent de bons candidats pour le magnétisme molécu-laire, puisqu’ils possèdent (i) un moment magnétique relativement intense, (ii) une forte anisotropie intrinsèque pouvant conduire à une forte anisotropie magnétique, et enfin (iii) une barrière importante pour le renversement du moment magnétique. Il existe d’ailleurs déjà un très large panel de molécule aimant à base d’ions lanthanide trivalents.