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Les complexes mono-métalliques

1.3 Les molécules aimants à base d’ions lanthanide trivalents

1.3.1 Les complexes mono-métalliques

Les ligands cycliques

Historiquement, le premier ligand cyclique à avoir été associé à un ion lanthanide trivalent et ayant conduit à un comportement de molécule aimant est le ligand phtalocyanine (Fig. 1.13). Le complexe de terbium ainsi obtenu par Ishikawa et al. [12, 47, 48] avec l’ion lanthanide trivalent est pris en sand-wich entre deux ligands, est en fait la première molécule aimant contenant un ion lanthanide trivalent à avoir été rapportée, mais également la première molécule aimant monométallique. Les ligands dérivés de la phtalocyanine engendrent un environnement N8de symétrie D4dautour de l’ion lanthanide triva-lent, avec une géométrie de type antiprisme à base carrée. Cette géométrie est d’ailleurs quasi-idéale

de par la rigidité du ligand. Ces ligands possèdent deux degrés d’oxydation stables : di-anionique (-2) et radical-anion (• -), conduisant à des complexes globalement chargés -1, 0 ou +1. En fonction de cette charge, l’antiprisme est en fait plus ou moins comprimé, avec une distance entre les deux ligands plus petite pour une charge globale +1 que -1.

FIGURE 1.13 – Représentation de la structure chimique du ligand phtalocyanine (à gauche) et de son mode de coordination à un ion lanthanide trivalent (au milieu), ainsi que du ligand TMTAA (à droite).

Suite au travail de Ishikawa [49, 50, 51, 52, 53], de nombreux complexes de lanthanide à base de ligands phtalocyanine plus ou moins substitués ont vu le jour [54, 55, 56, 57, 58], principalement avec les ions terbium(III) et dysprosium(III), mais également, pour de rares spécimens, avec des ions holmium(III) et ytterbium(III). Ces complexes possèdent généralement des barrières d’énergie pour le renversement du moment magnétique relativement élevées, allant d’environ 300 K à plus de 900 K. C’est d’ailleurs un complexe de ce type qui détient à l’heure actuelle le record de la plus grande barrière mesurée avec 930 K [56]. Pour finir, de par leur grande rigidité structurale et leur stabilité chimique, les complexes à base de ligands phtalocyanine sont parmi les premiers à avoir été étudiés sur surface [59].

Outre les ligands dérivés de la phtalocyanine, il existe d’autres exemples de ligands cycliques, tels que le ligand TMTAA [55] (Fig. 1.13), le ligand DOTA4− [60, 61, 62] ou encore les ligands de type pentamethylcyclopentadiene (Cp∗−) [63, 64, 65, 66, 67] et cyclooctatetraene (COT2−) [68, 69, 70].

Le ligand TMTAA2− [55] correspond au di-anion du 6,8,15,17-tetramethyl-dibenzotetraaza[14] annulène et possède une structure très proche de la phtalocyanine (Fig. 1.13). Il conduit d’ailleurs également à un environnement N8 autour de l’ion lanthanide trivalent, mais avec cette fois une géo-métrie cubique. Cette géogéo-métrie est rendue possible par la souplesse du ligand TMTAA2−. Les seules molécules aimants avec ces ligands ont été rapportées par Schelter et al [55].

Le ligand DOTA correspond lui à la forme tetra-anionique de l’acide 1,4,7,10 tetraazacyclodode cane-1,4,7,10-tetraacétique. Sa première utilisation avec des ions lanthanide trivalents dans le cadre du magnétisme moléculaire a été rapportée par Sessoli et al [62]. Dans ces complexes, l’ion lanthanide trivalent est en quelque sorte encapsulé par le ligand DOTA et possède un environnement N4O5 avec les 4 atomes d’azote et 4 des 5 atomes d’oxygène provenant du ligand DOTA. Le 5eoxygène est quant à lui apporté par une molécule d’eau, en position apicale de l’ion lanthanide trivalent (Fig. 1.14). L’environnement possède donc une symétrie D4dcaractérisée par un polyèdre en forme d’antiprisme à base carrée avec une face carrée coiffée. Le dérivé dysprosium est la première molécule aimant pour

laquelle l’orientation de l’axe d’anisotropie magnétique a pu être déterminée expérimentalement, par mesures de SQUID sur monocristal orienté [61]. Cet axe est trouvé dans le plan du ligand DOTA (Fig. 1.14). Le dérivé dysprosium est également l’une des premières molécules aimants monométalliques à avoir été caractérisée aussi bien expérimentalement que théoriquement, le calcul ayant d’ailleurs permis de mettre en évidence la rotation de l’axe facile d’anisotropie dans le plan du ligand DOTA entre deux directions privilégiées avec la rotation de la molécule d’eau apicale autour de l’axe Dy-OH2O.

La première utilisation des ligands Cp* et COT2−date du début des années 2010, avec le dérivé Cp*ErCOT proposé par Jiang et al. [65]. Dans ce complexe, l’ion erbium(III) est pris en sandwich entre les deux ligands qui sont parallèles. Ce complexe est le premier ne possédant pas une maille triclinique pour lequel il a été possible de déterminer expérimentalement l’orientation de l’axe facile de l’anisotropie magnétique ainsi que les composantes du tenseur associé [67, 64]. Cet axe s’oriente perpendiculairement aux deux ligands. Ce complexe a également été étendu aux dérivés terbium, dysprosium et holmium. A la même période, Murugesu et al. [70, 71] présentent un complexe où l’ion lanthanide trivalent est cette fois pris en sandwich entre deux ligands COT2− (Fig. 1.14). Pour le dérivé erbium de cette série, Long et al. [68] ont mis en évidence l’existence d’une hystérèse ouverte jusqu’à environ 10K.

FIGURE 1.14 – Représentation du complexe [Dy(DOTA)·H2O]avec les deux orientations possibles de l’axe facile associé à l’anisotropie magnétique (à gauche) et du complexe ErCOT2 (à droite). Pour le complexe [Dy(DOTA)·H2O], les atomes de carbone sont représentés en gris, les atomes d’azote, en bleu, les atomes d’oxygène, en rouge, les atomes de sodium, en orange, les atomes d’hydrogène de la molécule d’eau, en blanc - les autres ne sont pas représentés -, et l’atome de dysprosium, en vert. Pour le complexe ErCOT2, les atomes de carbone sont représentés en gris, les atomes d’hydrogène, en rose pâle, et l’atome d’erbium, en vert. La représentation du complexe [Dy(DOTA)·H2O]est tirée de la référence [61].

Les ligands β-dikétonates

Après les ligands cycliques, les ligands β-dikétonates sont certainement les plus utilisés pour la préparation de molécules aimants à base d’ions lanthanide trivalents. Parmi ces ligands, on peut notamment citer les ligands acac(acetylacetonate), hfac(hexafluoroacetylacetonate) ou encore tta (thenoyltrifluoroacetonate) (Fig. 1.15). Ces ligands sont obtenus par déprotonation d’un groupement dicarbonyl. Ils possèdent donc une charge négative. Trois ligands β-dikétonates sont généralement présents avec les ions lanthanide trivalents permettant une compensation complète de leur charge (Fig. 1.15).

FIGURE1.15 – Exemples de ligands β-dikétonates, avec, de gauche à droite, acac, hfacet tta.

Dans la majorité des cas, la première sphère de coordination est complétée (coordinence 8) par un ligand bidente neutre de type bipyridine (Fig. 1.16), [72, 73, 74, 75] ou par deux ligands monodentes de type nitronyl nitroxyde (voir chapitre 10 pour plus de détails). L’ion lanthanide trivalent possède alors, quasi-systématiquement, un environnement de symétrie D4d (antiprisme à base carrée). Dans ce contexte, l’ion lanthanide trivalent le plus utilisé est l’ion dysprosium(III), [76, 77, 78, 79] puisque dans un tel environnement il est assuré de conduire à une anisotropie fortement axiale.

Ces complexes à base de ligands β-dikétonates sont pour l’instant les seuls utilisés pour la pré-paration de molécules aimants multifonctionnelles, avec le fonctionalisation du ligand bidente. Dans ce contexte, Pointillart et al. [80] ont montré que l’utilisation d’un groupement de type tétrathiafulva-lène permet d’apporter des propriétés de luminescence, de conductivité électronique et/ou d’oxydo-réduction, en plus des propriétés magnétiques.

FIGURE1.16 – Exemples de ligands de type bipyridine, avec leur mode de coordination aux ions lan-thanide trivalents. De gauche à droite, le ligand 1,10-phenanthroline, le ligand dipyrido[3,2-d :2’,3’-f]-quinoxaline et le ligand dipyrido[3,2-d :2’,3’-f]phenazine. Représentation tirée de la référence [75].

Enfin, dans les molécules aimants à base de ligands β-dikétonates, il a été montré à plusieurs reprises que le remplacement des ligands hfacpar des ligands tta, permet d’améliorer les propriétés de relaxation de la molécule aimant, notamment avec l’augmentation de la barrière énergétique [78, 76].

Autres familles de ligands

En plus des ligands cycliques et β-dikétonates, il existe d’autres ligands pour lesquels un com-portement de molécule aimant, ou au moins une relaxation lente du moment magnétique, ont pu être observés pour des complexes monométalliques de lanthanide.

On peut notamment citer les ligands de type trensal [85, 86], pyrazolyl- et imidazolyl-borate [87, 88], murexide [89] ou [N(SiMe3)2] [90] qui conduisent à des complexes avec une symétrie d’ordre 3 pour des coordinences 3, 6, 7 et 9 et des environnements N3, N6, N4O3, N3O6 et N9 (Fig. 1.17). Ces complexes ont la particularité de conduire aussi bien à une anisotropie axiale que planaire, mais tous ne possèdent pas un comportement de molécule aimant.

FIGURE 1.17 – Représentation de la structure chimique (i) du complexe Ln(Trensal) avec Ln = Tb, Dy et Er (les atomes de carbone sont représentés en gris, les atomes d’azote, en bleu pâle, les atomes d’oxygène, en rouge et le lanthanide, en vert ; les atomes d’hydrogène ne sont pas représentés) ; (ii) du complexe NdTp3 avec Tp = trispyrazolylborate (les atomes de carbone sont représentés en gris, les atomes d’azote, en bleu pâle, les atomes de bore, en violet et l’atome de néodyms, en orange ; les atomes d’hydrogène ne sont pas représentés) ; (iii) du complexe Ln(Murex)3avec Ln = Dy et Yb (les atomes de carbone sont représentés en gris, les atomes d’azote, en bleu, les atomes d’oxygène, en rouge et le lanthanide, en rose ; les atomes d’hydrogène ne sont pas représentés) ; et (iv) du complexe Dy[N(SiMe3)2]3 avec Ln = Dy et Er (les atomes de carbone sont représentés en noir, les atomes d’azote, en bleu clair, les atomes de silicium, en bleu foncé et le lanthanide, en rose ; les atomes d’hydrogène ne sont pas représentés)

84] à la fin des années 2000, avec le complexe [ErW10O36]9− (Fig. 1.18). Ces ligands génèrent un environnement O8 autour de l’ion lanthanide trivalent avec une symétrie D4d (antiprisme à base car-rée) quasi-idéale. [81, 82] Ces ligands offrent des perspectives intéressantes en terme d’applications, surtout dans le domaine de la spintronique et des ordinateurs quantiques, où ce complexe pourrait être utilisé comme bit ou porte logique quantique [83].

FIGURE 1.18 – Représentation de la structure chimique du complexe [ErW10O36]9− et du polyèdre de première coordination associé. Les atomes d’oxygène sont représentés en rouge, les atomes de tungstène, en gris, et l’atome d’erbium en vert. Figure tirée de la référence [81]

Enfin, il existe toute une gamme de ligands de taille relativement imposante et pouvant se co-ordiner aux ions lanthanide trivalents jusqu’à 6 fois. Ces ligands sont souvent accompagnés de li-gands NO3, conduisant ainsi à des coordinences élevées, et à des environnements composés d’atomes d’azote et d’oxygène (Fig. 1.19). Pour ces complexes, la symétrie de l’environnement dépend de la flexibilité du ligand, qui elle-même dépend de son degré de conjugaison.

FIGURE 1.19 – Représentation de la structure chimique du complexe [Dy(H2L)(NO3)3]·2MeOH (à gauche), avec L = N,N’,N”-trimethyl-N,N”-bis(2-hydroxy-3-methoxy- 5-methylbenzyl) diethylene triamine [91], et du complexe [Dy(L)(NO3)2] (à droite) avec L = N,N’-bis-pyridin-2-yl-methelene-1,8-dia- mino-3,6-dioxaoctane. [92, 93] Les atomes de carbone sont représentés en blanc, les atomes d’azote, en bleu, les atomes d’oxygène, en rouge et les atomes de dysprosium en rose. Les atomes d’hydrogène ne sont pas représentés par soucis de clarté. Représentation tirée de la référence [42].