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Au début de l’année 2000, le gouvernement de Lionel Jospin prépare un plan national de lutte contre l’effet de serre. Les grandes lignes doivent être annoncées officiellement le 19 janvier mais les premières informations filtrent dans la presse une semaine avant249 :

- le 10 janvier : un article dans Le Figaro et Les Échos ;

- le 11 janvier : un article dans Le Parisien, Le Figaro, Le Monde, Les Échos, La Croix et

Le Journal du Dimanche.

Nous allons nous intéresser à la manière dont les conséquences pratiques pour les Français sont décrites. Les répercussions pour les industriels et les pouvoirs publics nous intéressent moins dans la mesure où c’est la question de l’action individuelle qui est au centre de nos préoccupations.

Les mesures prévues sont dénoncées par de nombreux articles : l’esprit du plan est de faire payer les automobilistes comme le dit Le Figaro dans son article du 10 janvier 2000 (P2-11) : « Effet de serre : ceux qui vont payer ».

« Pour dissuader le Français moyen de sortir à tout bout de champ sa chère voiture, les carburants devraient être eux aussi encore plus taxés qu’ils ne le sont. D’une part par l'amplification du rattrapage de la fiscalité du gazole sur l'essence sans plomb [...]. D’autre part, « à condition que les transports collectifs soient performants, d'égaliser le prix d'usage de la voiture et celui des transports collectifs » indique encore Thierry Wahl [directeur adjoint du cabinet de Dominique Voynet]. Traduction : les particuliers vont subventionner les transports publics en payant leur essence au prix fort ». Le principe de la taxe individuelle au bénéfice du collectif est mise en cause.

249 Comme nous le verrons clairement sur les graphiques qui présentent l’évolution temporelle du traitement

médiatique (chapitre H-POLLUTION ET MÉDIATISATION), le contenu des communications gouvernementales est souvent connu des journalistes quelques jours avant leur divulgation officielle. Ces fuites sont parfois savamment orchestrées pour tester les réactions des médias et du public à telle ou telle mesure innovante…

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Le Figaro tourne en dérision les actions du gouvernement : « à quelque chose malheur est bon. En attendant la découverte du millénaire en matière d’énergie propre, le gouvernement a eu une idée : une partie des millions d’arbres abattus par la tempête alimenteront les réseaux de chaleur des chaudières à bois mises en œuvre dans certains réseaux, comme les écoles. L’imagination est au pouvoir, affirme-t-on au ministère de l’Écologie ».

Le lendemain Le Figaro annonce : « Les voitures ne seront pas bridées » (P2-19). Le ton se veut rassurant : « le plan gouvernemental de lutte contre l’effet de serre [...] ne prévoit aucune mesure coercitive pour obliger les constructeurs à brider la vitesse des voitures ». Même si le gouvernement pense que cela aurait des répercussions positives, « ce plan se contentera d’une simple recommandation aux constructeurs Français ».

Pour Les Échos (P5-15), les « citoyens seront aussi appelés à participer à l’effort national » :

« une écotaxe pourrait peser à terme sur leur facture d’électricité et de gaz, et la TIPP sur l’essence pourrait encore augmenter. "Pour les consommateurs, l’écotaxe sur l’énergie représenterait 35 centimes par litre d’essence à l’horizon 2010", a indiqué à l’AFP un porte parole du ministère de l’Environnement ». Une grande distance est mise entre le lecteur et le porte parole du gouvernement qui n’est même pas interviewé par le journal mais dont une citation est reprise.

Heureusement, le journaliste rappelle que « dans un entretien accordé aux « Échos », le président de la MIES avait souligné que la montée en puissance des écotaxes serait compensées « au franc le franc » par l’allègement d’autres charges ».

Dans l’article suivant, Les Échos reviennent sur la limitation de vitesse : « la "voiture sage" n’est sans doute pas pour demain » (P5-25). En effet, le « programme contre l’effet de serre [...] ne prévoit pas d’obliger les constructeurs à brider les moteurs des voitures ». « Dans l’immédiat, aucune vitesse limite n’a été fixée, ni aucun dispositif (boîte noire, « mouchard »…) afin de la faire respecter ».

Le point de vue des constructeurs automobiles, principaux acteurs économiques du dossier, est rapporté : « Pour leur part, PSA et Renault affirment qu’ils ne seraient pas opposés à l’adoption de mesures limitant la vitesse des véhicules lors de leur construction, à condition qu’elles soient prises à l’échelon européen ».

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La spécialité économique du quotidien transparaît dans l’énonciation des faits : dans les deux articles, l’aspect économique des mesures annoncées est présenté, aussi bien pour l’individu (hausse des carburants, facture électricité et gaz) que pour les entreprises (allègement de charges, contraintes du marché européen de l’automobile).

L’article du Parisien (P1-16) paru le 11 janvier 2000 commence par annoncer la principale

mesure du plan, sur un ton propre à l’alerte au pic de pollution : « Les automobilistes devront lever le pied » : « le gouvernement étudierait la possibilité, au nom de la lutte contre la pollution automobile et de la mortalité routière, de « brider » les moteurs à 140 km/h maximum. Voire de placer sous le capot des voitures, à l’instar des avions, une « boîte noire » qui permettrait aux forces de l’ordre, preuves chiffrées à l’appui, de confondre les conducteurs trop pressés ».

Ces mesures annoncées comme « radicales », sur le ton de l’alerte sont ensuite tempérées : « Mais pas de panique. Car l’information a été prestement démentie hier, et au plus haut niveau. En matière automobile, toujours dans cette logique antipollution, la France n’envisagerait aucune disposition contraignante. Tout juste devrait elle recommander à ses propres constructeurs, comme à leurs homologues européens, d’équiper les véhicules d’un avertisseur sonore se déclenchant dès le seuil choisi… par le conducteur lui-même. »

Finalement, « on est loin [...] du bridage des moteurs à 140 km/h, et encore plus de l’hypothèse du "mouchard" renseignant les gendarmes à l’insu de l’automobiliste ». « Certains habitués de la file de gauche sur l’autoroute vont sans doute mieux respirer. Jusqu’à la prochaine alerte ! ». Comme si Le Parisien souhaitait garder ses électeurs vigilants ou, plus exactement, s’il montrait que ses journalistes restaient à l’affût, prêts à défendre les intérêts des automobilistes de la capitale…

Dans son article du 11 janvier, intitulé « Faut-il brider les moteurs à 140 km/h ? » (P8-28),

La Croix déplace le problème sur le plan de la lutte contre l’insécurité routière : « pour limiter

l’effet de serre, mais surtout pour améliorer la sécurité routière, le gouvernement étudie la possibilité de brider la vitesse des voitures à 140 km/h ».

La conclusion de l’interview de Jean-Pierre Cauzard, chercheur au laboratoire de psychologie de la conduite de [l’INRETS], est mitigée : « cette mesure pourrait diminuer le nombre d’accidents, mais il faut régler aussi le problème des vitesses excessives en ville ».

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La réduction des gaz à effet de serre n’est pas mentionnée, pourquoi ? est-ce que la réduction de la vitesse n’est pas jugée assez efficace ? La lutte contre l’insécurité routière est-elle mieux à même de mobiliser les lecteurs du quotidien ?

L’article du Monde en date du 11 janvier (P3-21) place les mesures prévues dans le contexte

de la lutte contre l’effet de serre : « Lionel Jospin devrait présenter, mercredi 19 janvier, un programme de lutte contre l’effet de serre. À cette occasion, le premier ministre annoncera les mesures destinées à limiter les émissions de gaz à effet de serre, au premier rang desquels le gaz carbonique ».

L’allusion aux tempêtes de décembre donne du sens au concept abstrait de réchauffement de la planète : il faut se mobiliser sous peine de subir encore les assauts du climat. « Imputée pour partie aux changements climatiques provoqués par l’effet de serre, la récente tempête qui a ravagé la France a donné du poids à ceux qui, au sein du gouvernement, militent en faveur de mesures réellement efficaces. Parmi celles-ci, plusieurs devraient concerner l’industrie automobile et les conducteurs. Sont envisagés une limitation de la puissance des véhicules, l’installation à leur bord de noires et un accroissement de la fiscalité sur l’essence. Autre projet : la création d’une écotaxe ».

Finalement, l’article du Monde insiste sur les raisons qui poussent le gouvernement à prendre des mesures et ne dramatise pas les conséquences pratiques pour chaque individu.

L’article du Journal du Dimanche (P9-29) met en perspective les mesures annoncées : sur le

plan de la lutte contre le réchauffement climatique mais également contre la pollution en milieu urbain : « Les courbes du trafic automobile et de ses pollutions sont en effet orientées à la hausse ». « Parmi les pistes d’action : le développement du stationnement payant et des transports collectifs dans les villes [...], le durcissement des normes en matière d’urbanisme et une politique beaucoup plus volontariste pour favoriser le transport du fret par le rail et le cabotage ».

La volonté politique du gouvernement face aux pressions des industriels est soulignée à plusieurs reprises : « les pétroliers également sont mécontents. Ils ont argumenté jusqu’au bout pour éviter d’être touchés, mais le gouvernement a décidé que les carburants seraient aussi mis à contribution » ; « Le gouvernement semble également déterminé à frapper fort dans le domaine des transports » ; « Mais la politique ayant besoin de symboles, Lionel Jospin s’est résolu à briser un tabou, malgré l’effroi des constructeurs automobiles ».

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Le point de vue de l’automobiliste n’est pas pris en compte par le journal : c’est la bataille politique qui d’abord mise en scène.