• Aucun résultat trouvé

La préoccupation de la population vis-à-vis des risques liés à la pollution atmosphérique est en contradiction avec les évaluations statistiques des risques comme le montre l’histogramme suivant qui présente la mortalité attribuable à certains facteurs de risque, exprimée en pourcentage du nombre total de décès en 2000 dans les pays développés107 :

105 Source : Toyota

106 Syndicat des Transports d’Île-de-France, Le covoiturage en Île-de-France, février 1999, 22 p.

107 Dans le rapport source de l’OMS (« Rapport sur la Santé dans le Monde 2002 »), le tableau, plus complet,

renseigne sur la mortalité attribuable par facteur de risque, par niveau de développement (pays en développement à forte / faible mortalité / pays développés) et par sexe.

54 18,0 16,0 10,5 7,5 6,3 3,9 1,1 1,1 0,6 0,5 0,4 0,2 0,2 0,1 0,1 22,0 0 5 10 15 20 25 Hypertension Tabagisme Hypercholestérolémie Surcharge pondérale Apport insuffisant en fruits et légumes Sédentarité Abus d’alcool Pollution de l’air urbain Risques professionnels Exposition au plomb Usage de drogues illicites Pratiques sexuelles à risque Eau non potable Sous-alimentation mère enfant Fumée combustibles intérieur habitations Changement climatique

% du nombre total de décès (pays développés)

Figure 7 – Mortalité attribuable par facteur de risque (pays développés) (source : OMS 2002)

Somme inférieure à 100% : certains facteurs de risque ne sont pas répertoriés (accidents routiers et domestiques, suicides…)

La comparaison entre les diagrammes « perceptions des Français » (figure 6 ci-avant) et « mortalité » (figure 7 ci-dessus) illustre parfaitement l’opposition récurrente savoir savant / savoir profane : les risques « pollution de l’air » et « effet de serre », en tête des préoccupations environnementales des Français, sont très nettement en retrait lorsqu’il s’agit de prendre en compte le nombre de décès qu’ils provoquent.

La question de l’évaluation des risques pour la santé et l’environnement oppose souvent (et depuis longtemps) les raisonnements scientifiques aux peurs irrationnelles, comme s’il y avait d’un côté une réalité, de l’autre côté des impressions.

Le risque a pris de nos jours une place prépondérante dans le débat public. L’air, les aliments, l’eau et d’autres produits de la vie courante sont déclarés suspects, et le public est persuadé que des dangers insidieux et multiples, fruits des technologies nouvelles, menacent sa santé, alors qu’au contraire les données statistiques montrent que celle-ci s’améliore régulièrement.108

108 TUBIANA Maurice et VROUSOS Constantin, « Avant-propos », In Maurice TUBIANA, et. al. (dir.) Risque

55

The public tolerates levels of risk from some hazards (eg, radiation from medical X-rays) that they do not tolerate from nuclear power plants.109

L’effet de serre est un phénomène dont les effets majeurs ne se feront pas sentir avant plusieurs décennies, ce qui explique le faible nombre de décès relatifs en 2002. Les mesures de lutte contre cet effet planétaire de la pollution sont discutées au niveau international depuis une dizaine d’années (conférence de Rio 1992, de Kyoto 1997, de La Haye 2002…) et sont largement médiatisées110. Les Français expriment sans doute leur inquiétude pour l’avenir quand ils placent « l’effet de serre » en deuxième position des préoccupations environnementales.

En ce qui concerne la pollution de l’air, l’opposition entre la perception du risque et les données statistiques peut s’expliquer par des modes d’évaluation des risques différents : - d’un côté les scientifiques, qui utilisent des outils sophistiqués comme l’épidémiologie, la

toxicologie, le calcul probabiliste… ;

- de l’autre les profanes qui ont des critères qui leurs sont propres : nouveauté du risque, visibilité, complexité…111.

Certains scientifiques considèrent alors que « seule la science peut dicter la solution »112 et dans ce cas « il faut éclairer et éduquer l’opinion publique »113.

L’autre option, à laquelle nous adhérons, consiste à « accepter que le savoir des spécialistes ne soit pas le seul possible et, par voie de conséquence, reconnaître la richesse et la pertinence des savoirs élaborés par les profanes »114, ce que Serge Moscovici avait très tôt souligné :

109 SLOVIC Paul, FISCHHOFF Baruch et LICHTENSTEIN Sarah, « Cognitive Processes ans Societal Risk

Taking », In Paul SLOVIC, The Perception of Risk, London : Earthscan, 2000 (1e édition en 1976), p.46

110 À ce propos, nous montrerons dans le chapitre H-POLLUTION ET MÉDIATISATION que les thèmes liés à

l’effet de serre ne sont abordés dans les médias qu’à l’occasion de ces événements extérieurs qui attirent le regard des journalistes.

111 Ce sont les « dimensions implicites de la perception sociale des risques » [POUMADÈRE Marc, « Enjeux de

la communication publique des risques pour la santé et l’environnement », Revue Européenne de Psychologie

Appliquée, 1er trimestre 1995, vol.45, n°1, p.8]

112 PLANQUE Gail de, « Bon sens, analyse de risque et réglementation », Annales des Mines, « Responsabilité

& Environnement », n°4, octobre 1996, p.51

113 LECOMTE Pierre et SUETY Jean-Pierre, « Le risque acceptable : opinion publique et idéologie », Annales

des Mines, « Responsabilité & Environnement », n°19, juillet 2000, p.84

114 CALLON Michel, LASCOUMES Pierre et BARTHE Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la

56

Assurément ces « savants amateurs », et nous le sommes tous dans un domaine ou un autre, habitent le monde de la conversation, avec leurs habitudes de documentalistes – un brin autodidactes, un brin encyclopédiques –, restent souvent prisonniers des préjugés, de visions toutes faites, dialectes empruntés au monde du discours – le fameux jargon si détesté et si nécessaire –, et il ne nous reste qu’à nous incliner. Ils nous révèlent cependant que les individus, dans leur vie quotidienne, ne sont pas uniquement ces machines passives à obéir aux appareils, à enregistrer des messages et à réagir aux stimulations extérieurs, en quoi les change une psychologie sociale sommaire, réduite à accueillir des opinions et des images. Au contraire, ils possèdent la fraîcheur de l’imagination et le désir de donner un sens à la société et à l’univers qui sont les leurs.115

La différence de hiérarchisation des risques entre les profanes et les scientifiques peut aussi s’expliquer par la théorie de l’amplification (ou de l’atténuation) sociale. Roger Kasperson postule que les profanes expriment, à travers l’évaluation d’un risque, une certaine vision du monde :

Social amplification of risk denotes the phenomenon by which information processes, institutional structures, social-group behavior and individual responses shape the social experience of risk, thereby contributing to risk consequences [...]. The interaction between risk events and social processes makes clear that, as used in this framework, risk has meaning only to the extent that it treats how people think about the world and its relationships. Thus, there is no such thing as ‘true’ (absolute) and ‘distorted’ (socially determined) risk.116

C’est en effet cet aspect que souligne, Bernard Festy, président de l’Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA), à propos de la pollution de l’air en milieu urbain :

La qualité de l’air en zone urbaine attire l’attention du corps social dans son ensemble sur notre façon de vivre et sur ses désordres, ainsi que sur notre capacité à nous respecter les uns les autres, à respecter l’environnement autrement que par des paroles vertueuses. De la ville « laboratoire » se dégage notre aptitude à traiter sérieusement et à terme de problèmes d’environnement au sens large, aux plans technologique, institutionnel, économique et sociopolitique.117

115 MOSCOVICI Serge, La psychanalyse, son image et son public., Paris : PUF, 1976 (1e édition 1961), p.54

116 KASPERSON Roger, et. al., « The Social Amplification of Risk : A Conceptual Framework », In Paul

SLOVIC The Perception of Risk, London: Earthscan, 2000 (1e édition 1988), p.237

117 Préface du livre de William Dab et Isabelle Roussel, (L’air et la ville, Paris : Hachettes Littératures, 2001,

57

Plusieurs questions émergent de ces réflexions autour de la perception du risque par les profanes :

- comment l’expertise scientifique apparaît-elle dans les médias ? pour quels motifs ? - l’opposition savoir savant / savoir profane est-elle présente dans les médias et, si oui, de

quelle manière ? est-elle alors perçue par le public ?

- le problème de la pollution de l’air permet à la population d’exprimer d’autres craintes : comment les identifier ?

4- LES QUESTIONS DE RECHERCHE

Dans ce chapitre, nous avons analysé notre objet d’étude selon trois directions différentes. Du point de vue scientifique, nous avons montré l’évolution du problème : d’une pollution majoritairement industrielle dans les années 1950 à une prédominance des transports routiers aujourd’hui. Du point de vue législatif, les lois, les réglementations et les sommets internationaux illustrent la prise de conscience collective de la nécessité de lutter contre la pollution atmosphérique au niveau local, régional et global. Du point de vue social, nous avons souligné la complexité des perceptions des risques liés à la pollution en milieu urbain avec notamment la contradiction entre l’inquiétude, la motivation et l’action.

Grâce à ces analyses, de nombreuses questions de recherche ont été soulevées en relation avec les pôles « émission » et « réception » de la communication : le traitement multimédiatique et les perceptions et comportements de la population.