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Progression de l’urbain et politique du logement à l’origine d’une occupation accélerée des espaces ouverts

Chapitre 1 LES ESPACES OUVERTS : NI RURAUX NI URBAINS

Carte 8. Evolution de la part des terres agricoles dans la région centrale du Chili entre 2001 et

B. Progression de l’urbain et politique du logement à l’origine d’une occupation accélerée des espaces ouverts

Ces chiffres ne nous parlent que d’un point de vue très matériel de ce qu’est la ville et moins de c’est qu’est plus fondamentalement l’urbain : un droit et un droit au logement en particulier. Selon M.-F. Prévôt-Schapira15

D’abord en raison d’un contexte démographique et économique spécifique qui n’a pas connu la crise des années 2000 comme l’Argentine par exemple et car les réflexions sur le droit au logement doivent toujours être repensées dans un cadre national, l’Etat étant un acteur principal des questions d’habitat social. Cette question de l’habitat social mérite d’être traitée également dans la mesure où elle a des conséquences spatiales importantes sur les périphéries métropolitaines plus ou moins proches de Santiago en particulier, le modèle de la ville étalée ayant été choisi très tôt au Chili et parce qu’elle nous renseigne bien souvent sur la façon qu’une société a de s’organiser. Ainsi, le principe qui préside fondamentalement à la question de l’habitat au Chili depuis le début du XXe siècle est celui du droit au logement et plus spécifiquement à la propriété avec trois groupes d’acteurs plus ou moins puissants dans le temps, les hommes politiques et les entrepreneurs, l’Eglise catholique et les Jésuites en particulier et les sans-logis ou les mal-logés eux-mêmes.

, après le « droit au pain » des années 1980, le « droit au travail » des années 1990, les années 2010 voient entrer l’Amérique latine dans un nouveau cycle de revendications : celui du droit au logement et au logement décent plus spécifiquement. En effet, la croissance immobilière dans le cadre de la bulle des années 1990 s’est faite très largement au détriment des besoins des plus pauvres. Cependant cette situation mérite d’être nuancée dans le cas du Chili.

Dès les années 1940, des populations s’installent en périphérie de Santiago sur des terrains inoccupés généralement avec le consentement des propriétaires absentéistes et l’un des objectifs de l’Eglise catholique notamment est vite de les régulariser rapidement et de les relier aux services d’eau et aux connections électriques. C’est le cas des quartiers de La Victoria et de José Maria Caro du nom du Cardinal qui œuvra pour ces quartiers. Ces actions créent alors des précédents et marquent le passage du concept de l’habitat digne à celui de solution politique

75 pour le logement couronnée par la création du MINVU, Ministerio de la Vivienda y del

Urbanismo16

De nombreux modèles ont été établis pour tenter de décrire et d’analyser la configuration spatiale des villes latino-américaines. C’est une façon de saisir la complexité du système métropolitain. Celui qui prévaut au Chili est le modèle néolibéral et celui qui le matérialise est celui de la ville étalée. En effet, si Santiago du Chili est le prototype de la ville libérale (PFLIEGER, G., 2011), le pays est le parangon de ce modèle économique (HARVEY, D., 2008). Cette doctrine est généralement définie comme une « philosophie économique et politique qui

remet en question et dans certains cas rejette, les interventions de l’Etat sur le marché et les relations de la société à l’économie et évite les contrôles par la société et les instances collectives des agissements et des pratiques des entreprises privées, du mouvement des capitaux et de la régulation des relations socioéconomiques » (HEYNEN, N., et allii, 2007) en prétextant

principalement du coût et de l’inefficacité des interventions d’Etat. Le Chili a fait le choix de cette doctrine en l’appliquant particulièrement au marché foncier urbain et à l’environnement et donc aux espaces ouverts a fortiori puisqu’ils s’y trouvent à l’interface.

en 1965. Le logement est alors considéré comme « un bien nécessaire auquel chaque famille quel que soit son statut socioéconomique a le droit d’avoir accès ». Mais les

invasions de terrains se multiplient plus vite que les projets de construction jusqu’en 1973 et le coup d’Etat militaire qui prend parmi ses toutes premières mesures celle de les éradiquer particulièrement celles qui étaient situées sur des terrains proches du centre et donc avec un prix potentiellement élevé.

Selon le principe que les terrains urbains constructibles ne sont pas une ressource rare et que libérer le marché permet de répartir au mieux les terres entre les usages urbains et agricoles notamment, le gouvernement militaire prend une série de mesures dès l’année 1979 : décret-loi 420 supprimant la limite urbaine et multipliant par deux la surface constructible ; suppression de taxes comme celle sur les terres vacantes ou de lois comme celle interdisant la construction de maisons avec une seule chambre à coucher ; vente de terres publiques en périphérie ; régularisation de logements modestes et éradication de l’habitat informel. Cette réforme du marché foncier, urbain en particulier, est un des piliers de l’économie chilienne et explique le succès des entreprises du secteur du BTP depuis ces années autant qu’une forte ségrégation socio-spatiale (SMOLKA, M., SABATINI, F., 2000 ; TRIVELLI, P. 2010). Le choix du modèle urbain,

ouvertement celui de la ville étalée néolibérale, implique en effet un mitage très important des espaces agricoles maraîchers situés en première ou en deuxième couronne.

A priori, le marché de la terre devient donc libre mais en pratique seuls les plus riches

peuvent l’acquérir. De plus, on assiste également et en même temps à une libéralisation de l’environnement (PECK, J., TICKELL, A., 2002 ; ROBERTSON, M., 2004). « Les effets

environnementaux du néolibéralisme sont à la fois directs et indirects, positifs et négatifs. Même si Milton Friedman n’incluait pas l’environnement dans sa vision du monde, il est inextricablement lié aux politiques néolibérales dans la mesure où de nombreux secteurs économiques sont directement dépendants de l’environnement naturel comme l’eau ou les déchets et dans la mesure également où une intervention réduite de l’Etat signifie une moindre régulation environnementale. De plus, la nature et l’environnement offrent de nouvelles opportunités à la marchandisation et à la privatisation et donc à l’accumulation du capital dans la mesure où même la conservation de la nature devient une source de profit pour le secteur privé » (LIVERMAN, D., VILAS, S., 2006).

Le nouveau leitmotiv de la politique du logement devient alors : « le logement est un droit

que chaque famille acquièrt grâce à son épargne qui est reconnu et partagé par l’Etat » qui n’y

jouera plus désormais qu’un rôle subsidiaire. Les outils de cette nouvelle politique sont désormais : le recours à l’hypothèque généralisée, la privatisation des fonds de pension ainsi que l’encouragement de l’épargne à long terme. On met par ailleurs en place dès 1975 une subvention au logement à laquelle on peut postuler à partir d’un certain nombre de points conférés principalement en fonction de son épargne. Tous ces éléments ajoutés à la régionalisation du MINVU et à la réforme bancaire libérale de 1982 font que l’Etat se dessaisit dès lors très largement de la question du logement et du logement social en particulier qui devient alors l’apanage du secteur immobilier et de la construction d’autant plus que ce marché est un marché captif par excellence. La plupart des projets vont alors avoir un objectif : la rentabilité.

Pour ce faire, les « projets ont souvent été guidés par le critère de la minimisation du coût

du terrain dans le budget total. La conséquence est que ces projets se sont développés dans les périphéries les plus éloignées, avec les conditions urbaines les plus mauvaises. Tout cela a pour effet de créer un cercle vicieux de concentration spatiale de la pauvreté en périphérie urbaine »

77 (TRIVELLI, P, 2010). De plus même si les demandeurs de logement pouvaient demander une commune en particulier, rien n’obligeait le programme à respecter leurs vœux. Une troisième étape de la politique de logement au Chili commence au début des années 1990 avec les gouvernements de la Concertation et derrière la bannière de « la croissance équitable» qui vont en fait poursuivre la politique du gouvernement militaire en l’améliorant quelque peu notamment en essayant de faire bénéficier les plus pauvres et en rendant possible la postulation de groupe et plus simplement individuelle ce qui va permettre de conserver des liens entre anciens habitants d’une même localité au moment du relogement.

Les objectifs quantitatifs sont atteints dans les années 2000 (couverture en eau potable, en téléphone, en électricité ; accès aux services scolaires et de santé ; régularisation de terrains ; collecte des déchets…). Cependant en termes qualitatifs, on voit que le succès de l’ensemble de ces programmes est à nuancer notamment au regard de l’accessibilité sur les périphéries les plus éloignées.

En effet, on voit bien sur la Figure 7 comment la part relative de la valeur du terrain (en gris) et des coûts d’urbanisation (en vert foncé) a augmenté entre 1994 et 2004 par rapport aux coûts de construction et d’équipement qui augmentent peu. Dans une logique de rentabilité, les promoteurs vont donc avoir tendance à choisir deux types de localisation privilégié : des communes de plus en plus loin du centre pour un prix du terrain plus bas et des zones rurales ce qui explique l’augmentation relative dans les années 2002-2004 du coût d’urbanisation liée à la nécessité d’asphalter, de faire des adductions d’eau… Sur la Figure 8 on voit d’ailleurs que la distance moyenne au centre-ville de Santiago ou aux centres de second rang peut atteindre jusqu’à 40 kilomètres sans la possibilité d’avoir accès au Transantiago (encadré 4) et/ou au réseau de métro.

Figure 7. Evolution des coûts du logement social dans la Région métropolitaine (1994 ; 1998- 1999 ; 2002-2004), (TRIVELLI, P., 2010).

Ils sont répartis en coûts de construction (en noir), valeur du terrain (en gris), en coût d’urbanisation (en vert foncé), en coût d’équipement (en vert clair).

Figure 8. Distance moyenne des ensembles de logement social au centre (en vert) et aux centres secondaires (en noir). La commune de Lampa est dans la province de Chacabuco (TRIVELLI, P., 2010)

79 A tous ces titres, il convient de mentionner le programme « Un techo para Chile »17

En 1997, à l’initiative du jésuite Felipe Berríos, 350 maisons sont construites dans un village du sud du pays, Curanilahue. Il s’entoure d’une dizaine de bénévoles, des étudiants en général, et propose alors comme objectif de construire 2000 maisons à l’horizon 2000 pour des populations défavorisées sur l’ensemble du territoire national ce qui est réalisé en 1999. Le programme est animé par trois principes - l’auto construction facilitée par la présence des bénévoles, la propriété pour le bénéficiaire et le fait que ce logement soit définitif - et un slogan - « Un Chili sans campements, avec des quartiers qui durent et des familles intégrées à la

société ». En 2010, il dénombre plus de 3000 bénévoles et des donateurs aussi prestigieux que

l’Anglo American Cie, leader chilien de l’extraction de cuivre ou que Bridgestone. La fondation intervient à 5 niveaux dans le logement social : la recherche de terrains disponibles pour la construction, l’élaboration des plans d’urbanisme, la postulation aux subventions, la construction des nouveaux quartiers et la livraison des nouveaux logements. Cette même année, 57 des 117 projets du pays étaient réalisés dans la Région métropolitaine et la Région de Valparaiso ainsi que plus de 50% des 9638 familles bénéficiaires du programme.

dont le logo (une petite maison aux couleurs du pays) est devenu le symbole de la politique de l’habitat dans le pays depuis la fin des années 1990 tout en reprenant des fondamentaux de la politique chilienne (entretien avec B. Valdés, mai 2012).

On peut prendre l’exemple des deux nouveaux ensembles résidentiels « Matías Vidaurre » (1) et « Nuevo Amanecer » (2) inaugurés à Lampa en janvier 2010. Ce sont alors 140 familles qui sont relogées en provenance des campements de Central Lo Vargas et de Copa de Lampa, deux autres localités de la commune. Les 18 000 m² qui leurs sont conférées étaient encore cultivés en 2004. On peut observer également que l’avenue Isabel Riquelme a été asphaltée entre les deux dates (Figure 9).

Figure 9. Impact spatial de deux projets de logement social « Techo para Chile » dans la zone rurale de la commune de Lampa (source : Google Earth)

C. FALIES, 2013

A travers l’histoire du logement social au Chili et à Santiago en particulier ainsi que par l’exemple étudié, on voit bien en quoi il existe une certaine assimilation entre marges spatiales de l’agglomération et marges sociales. Vues depuis la ville, ces marges ne sont certes plus décrites comme des « espèces d’égouts d’infections et de vice, de criminalité et de maladie, ces

camps de la mort habités par des sauvages sans morale intellectuellement incapables de sortir de leurs conditions » comme le faisait le maire de Santiago B. Vicuña Mackenna à la fin du XIXe

siècle (cité par TRIVELLI, P., 2010).

1

81 Par contre, on voit bien qu’elles continuent de fournir un exutoire à la croissance urbaine continue que connaissent les plus grandes agglomérations du pays depuis les années 1950 ce qui a un coût social (isolement, relégation, entre-soi) et environnemental (pression sur la ressource en eau, sur les terres agricoles et les « espaces naturels »,…) quoi qu’en disent certains analystes comme F. Sabatini qui parle d’un frein à l’étalement urbain depuis la fin des années 2000 avec un retour au centre (SABATINI, F., 2007).

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