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Une des caractéristiques des pays émergents : la montée en puissance des classes moyennes

Chapitre 4 DE L’ÉPAISSEUR DES ESPACES OUVERTS

B. Une des caractéristiques des pays émergents : la montée en puissance des classes moyennes

Dans un pays émergent comme le Chili, qui possède certes une classe moyenne ancienne, « la classe moyenne ne correspond pas au centre de la société », (BAROZET, E., FIERRO, J., 2011). Toutes les études évaluent sa part entre 30 et 49% de la société mais elles se basent en général sur l’accès à des biens de consommation (cf. encadré 8).

Ainsi, bien que cette typologie nous renseigne en détail sur certaines pratiques propres aux classes sociales chiliennes basée sur des signes extérieurs d’appartenance (avoir sa résidence principale dans telle ou telle commune de Santiago, scolariser ses enfants dans tel ou tel collège et partir en vacances dans telle ou telle station balnéaire) et de manière plus générale à l’échelle de la métropole santiaguine en ce qui concerne la dichotomie socio-économique entre un est (Oriente) très aisé (le piémont de la Cordillère avec des communes comme Vitacura ou Las Condes) et un ouest plus populaire (le Poniente avec les communes de La Pintana ou de Quilicura), on voit bien qu’il faut tenter d’analyser plus finement – à la fois en termes de critères et d’échelles- la composition de la société chilienne.

V. Jara décrivait déjà bien cette situation sur les hauteurs de la capitale dans sa chanson « Las casitas del barrio alto »63 en 1972 « Les belles petites maisons du Barrio Alto avec leurs

grilles et leur patio ont une belle place de parking qui attend leurs Peugeot. Il y en a des roses, des vertes, des blanches, des bleu ciel, les belles petites maisons du Barrio Alto toutes faites au Resipol64. Et les gens des belles petites maisons se sourient et se rendent visite, vont ensemble au

supermarket65

63 Adaptation chilienne de la chanson « Little boxes » écrite en 1962 par Malvina Reynolds pour parodier et contester le développement des banlieues pavillonnaires pour des classes moyennes conformistes dans la Californie des années 50.

et ont tous une télé. Il y a des dentistes, des commerçants, des latifundistes et des trafiquants, des avocats et des rentiers. Ils s’habillent tous pareil, jouent au bridge, boivent du Martini Dry. Et leurs enfants sont tous blondinets et avec d’autres blondinets vont dans les collèges high. Et le fifils à son papa va ensuite à l’université ».

64 Résine d’importation utilisée dans le bâtiment dans les années 1960. 65 En anglais dans le texte espagnol

Encadré n° 8. Les classes socioprofessionnelles au Chili : une définition par le pouvoir d’achat (source : MANZUR, E., MENDOZA, M., dir., 2001)

Dès les années 1970, est mis en place un indice de classification socio-économique prenant en compte sept critères : le revenu du foyer ; l’habitation ; le quartier ; la commune ; l’automobile ; la domesticité ; le téléphone. Se sont ajoutés par la suite d’autres critères tels que le niveau d’éducation du chef de famille, l’équipement de la maison, les vacances et même l’apparence physique,… En tout on distingue donc 8 niveaux de richesse classés de A à F, A correspondant aux très riches et F aux indigents. La catégorie C qui correspond à ce qu’on peut appeler les classes moyennes est quant à elle divisée en trois C1, C2, C3. On ne doit pas en être surpris dans la mesure où cette typologie aux critères parfois très subjectifs (style vestimentaire, qualité de la dentition, coupe de cheveux) pourtant mise en place par un économiste est réalisée par des sociétés chargées de réaliser des études de marché pour les grands groupes chiliens et les chaines de supermarchés en particulier intéressés par le ciblage de ses consommateurs. Par catégorie professionnelle, on distingue les très riches (A), les grands entrepreneurs (B), les cadres supérieurs (C1), les cadres et professions libérales (C2), les techniciens spécialisés (C3), les ouvriers spécialisés (D), les ouvriers (E) et les indigents (F). Ainsi des agro-entrepreneurs enregistrés comme agriculteurs peuvent se retrouver dans la catégorie B voire A, de même que des cadres sans emploi momentanément hébergés chez des proches peuvent être enregistrés dans la catégorie D ou E,… Même le ministère des Transports utilise cette catégorie afin de planifier la construction de futures routes dans la région de Valparaíso. Notons, qu’une carte est consacrée à la catégorie C2 car c’est celle qui a l’horizon 2015 est la plus susceptible d’accéder à l’achat d’une voiture, les catégories supérieures en ayant déjà une ou plusieurs par foyer et les catégories inférieures dépendant de voitures qui leurs sont prêtées ou ne pouvant consentir à payer des autoroutes payantes.

En effet, la « moyennisation » des périphéries métropolitaines est surtout perceptible à travers un changement très visible dans l’accès aux biens de consommation caractéristiques du mode de vie urbain. Ainsi, les foyers ruraux recensés possédaient en 2002 à 90% des téléviseurs couleur contre 92% dans les foyers urbains, à 63% des téléphones portables contre 53% en zone urbaine, à 87% des réfrigérateurs contre 85% en zone urbaine, à 15% des jeeps, vans ou pick-up contre 6,5% en ville (INE, 2002). Ces objets du quotidien, outre leur utilité, sont également les marqueurs de l’introduction symbolique d’une certaine urbanité dans les espaces périurbains ou même ruraux plus périphériques. La télévision a par exemple unifié le langage des ruraux, appelé dans les campagnes du Chili central le huaso, sur celui de leurs concitoyens urbains ; les pick-up, appelés camionetas, particulièrement visibles dans les campagnes et commodes pour accéder à des parcelles reculées et mal desservies par le système viaire, sont également des marqueurs de réussite sociale, dont J.-C. Tulet, a révélé l’importance dans le cas des campagnes maraîchères des Andes vénézuéliennes (TULET J.-C., 2002). C’est la même chose pour le téléphone portable. Mais ces biens de consommation, s’ils se sont répandus en une dizaine d’années, ne sont pas accessibles à tous : certains ouvriers agricoles continuent de faire vingt kilomètres quotidiennement en vélo pour se rendre sur leur lieu de travail et d’autres s’endettent auprès

171 des banques ou d’organismes de crédit dépendant des malls eux-mêmes comme la Banque Ripley ou Falabella.

Ainsi, une homogénéisation des modes de vie est perceptible dans la zone d’étude mais on ne peut pas parler, surtout dans un contexte de développement, d’hégémonie des classes moyennes ne serait-ce que parce qu’elles s’avèrent très fragiles dans leur constitution. Qui plus est pour l’historien marxiste G. Salazar, une nouvelle catégorie sociale est en train de naître : après le nouveau riche, c’est du nouveau pauvre qu’il faut parler. La pauvreté ne serait plus liée à un déficit économique mais à un déficit en matière de civisme notamment dans ces espaces périphériques en rapide mutation qui manquent d’espaces publics. « Avant les pauvres faisaient

la manche, allaient nu-pieds, étaient sales… et tu les rendais heureux en leur donnant une chemise. Aujourd’hui, le flaite 66

C’est donc plus à une juxtaposition de catégories extrêmes et de récente constitution que l’on assiste dans les périphéries métropolitaines et sur les espaces ouverts en particulier qu’à l’émergence d’une société mixte.

qui n’a pas fait d’études, est une espèce de désœuvré qui porte des jeans de marque, des chaussures de marque, un t-shirt de marque, un portable, qui passe du temps à se demander comment se coiffer avec le plus de style. Et par conséquent, il ne se sent pas pauvre » (SALAZAR, G., 2010). L’auteur établit par là la distinction entre pauvreté absolue –

qui considère le minimum alimentaire comme indispensable au maintien de la vie- et pauvreté relative - qui considère non seulement le minimum vital, mais également les manques indispensables pour une vie "normale", relativement à une société donnée (à son niveau de développement et à son époque).

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