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Une fermeture à l’échelle locale qui nuit à l’accessibilité des espaces ouverts

Chapitre 2 LES ESPACES OUVERTS : DES ESPACES PIONNIERS ?

Carte 13. Accessibilité dans la région centrale du Chil

D. Une fermeture à l’échelle locale qui nuit à l’accessibilité des espaces ouverts

A la consigne « Dessine le parcours entre chez toi et le collège ainsi que les espaces à l’air

libre par lesquels tu passes et que tu fréquentes » formulée à 94 élèves au total, seulement 2 ont

indiqué un parcours fléché entre le domicile de leurs parents et leur collège. Par contre, les éléments structurants qui ont le plus été représentés sont les routes asphaltés, différenciés en couleur ou en épaisseur, des chemins de terre et dans certains secteurs, la ligne de chemin de fer. En fait, le moyen de locomotion utilisé pour se rendre à l’école influe beaucoup sur les représentations que les enfants ont de la mobilité. Si leur âge (entre 11 et 13 ans) a été choisi pour permettre d’évaluer leur propre rapport à l’espace, puisqu’ils commencent alors à sortir seuls ou entre amis, le fait d’habiter loin de leur collège en l’absence de carte scolaire au Chili ou de venir en navette ou en automobile au collège ne permet pas de bien mémoriser le trajet ou en ayant conscience seulement de la hiérarchie des axes de communication ou de la plus ou moins bonne accessibilité aux espaces traversés.

Dans Le sens du mouvement (1997), le neuropsychologue A. Berthoz démontre que c’est la perception du corps en mouvement qui permet de se rappeler un parcours et pas des repères ponctuels. Y. Cochet reprend cette idée dans son Antimanuel d’écologie (2009) et écrit : « aller

traverse est aboli en tant qu’espace singulier, vivant, sensible. Il devient un pur espace, sans signification. Dans les transports rapides, nous perdons l’expérience sensorielle du mouvement. Ne reste qu’un vague passage virtuel à travers un paysage anonyme, telle la projection d’un film sur un écran. L’horizon fantasmatique du déplacement productiviste est la téléportation instantanée, sans temps ou espaces intermédiaires. »

Un des deux seuls élèves à avoir représenté le trajet domicile-collège évoque sans le nommer la question de l’accessibilité des espaces laissés ouvert par l’urbanisation des espaces marginaux de la métropolisation (annexe 6). Sur son dessin, il consacre un élément de la légende, le premier, à représenter des grilles, un autre à représenter son trajet, et enfin un à représenter son collège. En moyenne, sur les quatre collèges, un élève sur trois représente des grilles, barrières, portails servant à délimiter la propriété privée. Dans les moments de discussion qui suivaient les dessins et dans les deux écoles étudiées sur la commune de Lampa, l’école rurale Santa Sara et le collège privé Amankay, le secteur de Lo Fontecilla est évoqué car il avait été très représenté par les élèves. A la question « Qu’est-ce que la Fontecilla ? Où cela se trouve-

t-il ? », un élève a répondu : « Là-haut sur la colline, près de Santa Barbara, et bien à l’intérieur, c’est Lo Fontecilla » Un autre ajoute : « Mais maintenant c’est un domaine privé, ils ne nous laissent plus entrer. Et à côté, ça appartient aux militaires ». Pour conclure finalement : « Moi, avant, j’y allais pour les Fiestas Patrias en pick-up avec toute ma famille pour faire des barbecues mais tout le monde y jetait ses bouteilles de vin, ses canettes, sa poubelle… C’était devenu trop sale. L’an dernier, ils ont dû fermer.» Avec leurs mots les enfants évoquent le phénomène de

119 Carte 14. Espaces ouverts et accessibilité au quotidien à Lampa (secteur Batuco)

Or précisément Lo Fontecilla est le quartier qui se trouve à l’ouest du triangle de moindre accessibilité de la commune de Lampa dans le secteur de Batuco comme on a pu le repérer sur la carte 13 dans la zone 3. La carte 14 est un zoom sur ce « triangle » de moindre accessibilité et représente les espaces à l’air libre les plus souvent représentés par les élèves (en rose sur la carte) ainsi que les éléments structurants représentés ou non et ayant trait à l’accessibilité (altitude, routes en terre ou asphaltées, chemin de fer, péage pour se rendre à Santiago).

Les surfaces correspondent à l’occupation du sol en 2010 basée sur la photo-interprétation d’une image satellite de la zone. J’y ai distingué les parcelles anciennement bâties (en orange) des parcelles construites dans la décennie 2000 (en rouge) car elles n’ont pas les mêmes attributs et les mêmes conséquences en termes d’accessibilité : les secondes possèdent presque toutes des piscines et des haies en limitant l’accès alors que les anciennes sont moins densément bâties et n’ont pas d’accès restreint. De plus, leur taille diffère puisque les plus anciennes ont été redivisées suite à la Réforme agraire afin d’assurer une parcelle à l’ensemble des membres de la famille alors que les nouvelles parcelles ne sont apparues que dans la décennie 2000 pour des urbains en quête d’espace.

On voit bien ce qui attirait les élèves et leurs familles dans cette zone : panorama sur la dépression centrale et la zone humide, tranquillité à l’écart des grands axes de communication notamment de la Panaméricaine et végétation endémique. Ce qui semble paradoxal, et c’est le nœud gordien des espaces ouverts, c’est que leur attrait réside principalement dans le fait de se trouver relativement éloignés des centres les plus denses au moins en termes d’accessibilité. Mais dès lors qu’ils apparaissent et qu’ils commencent à être fréquentés, des intérêts privés émergent finissant par se les approprier généralement par l’achat et la parcellisation. L’encadré 5 propose une brève chronique de ce paradoxe.

Encadré n° 5. L’accessibilité des espaces ouverts en trois temps : « chronique d’une mort annoncée » ?

1. Espaces de moindre densité faiblement mis en valeur, difficilement accessibles 2. La métropolisation implique trois phénomènes conjoints mais contradictoires :

a. avancée du front d’urbanisation lâche

b. amélioration de l’accessibilité par la création de routes

c. nouvelles conceptions de l’espace et de l’environnement qui donnent une importance nouvelle à des espaces laissés libres de construction qui apparaissent par contraste comme ouverts.

3. Fermeture totale par la privatisation et la parcellisation même si cela peut entraîner une conservation des espaces en tant que tels quand la fermeture prend la forme de parcs naturels par exemple.

C’est ce qu’exprime une des enquêtés qui vit sur une parcela de agrado sur les hauteurs de Mantagua quand elle affirme : « Avant avec ma fille, quand elle avait treize ans, on allait

ramasser des mûres, il y avait des activités avec les enfants des voisins. Mais plus maintenant. Maintenant qu’on a fermé l’accès des maisons, les gens ne se croisent plus et depuis qu’on a fermé l’entrée du condominio, l’an dernier, plus personne n’entre. A cause de la délinquance qu’il y a, nous devons nous enfermer. Mais contre notre gré. » (Marta, Mantagua).

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- Conclusion du chapitre 2 - Les espaces ouverts : des espaces en marche

Si l’ouverture des espaces étudiés est relative dans le temps et également aux moyens respectifs des groupes étudiés, on a vu dans ce chapitre en quoi les espaces ouverts sont pourtant inscrits structurellement au cœur de la métropole. S’ils sont des lieux privilégiés de changement c’est bien sûr car ils sont encore peu bâtis et par nature peu consolidés ne serait-ce que d’un point de vue foncier. La mobilité et le changement sont donc omniprésents dans la région centrale du Chili ce qui peut sembler assez évident pour la région métropolitaine d’un pays émergent et ils s’inscrivent particulièrement sur les espaces ouverts. Les espaces ouverts existent donc même si leurs usages changent rapidement, que leur accessibilité est limitée et surtout même s’ils sont en perpétuel déplacement au rythme de la croissance métropolitaine.

Photo 5. Un « paysage cimarrón » au nord de Quintero

La CODELCO est la Corporation Nationale du Cuivre. C’est une entreprise d’Etat créée en 1955 qui est le plus grand producteur de cuivre au monde. Il s’agit d’une entreprise particulièrement puissante qui emploie plus de 30 000 personnes principalement dans les grandes mines du nord du pays mais aussi dans des sites secondaires de raffinerie comme ici à Quintero.

Dans plusieurs rapports et lors d’une visite sur le terrain avec eux, les agronomes de la

Pontificia Universidad Católica de Valparaíso dont F. Cosio et L. Veras, ont évoqué le concept de

« paysage cimarrón ». Faute de pouvoir traduire ce terme, je ne peux que l’associer à la photo 8 prise sur le terrain c'est-à-dire à un paysage visiblement dégradé par plusieurs années d’activité polluante (ici le traitement du cuivre) et qui ne peut faire l’objet d’une nouvelle mise en valeur que longtemps après.

Si les sols sont incultivables et la végétation quasi inexistante, le paysage n’est pas mort pour autant. C’est en voyant ce paysage et en entendant l’expression de « paysage cimarrón » que j’ai pu commencer à envisager l’avenir paradoxal des espaces ouverts entre création et disparition comme la quatrième étape de la « chronique d’une mort annoncée » (encadré 5). En effet, le changement s’y imprime et dans un contexte d’abondance de l’espace peut même le dégrader puisqu’il existe de nombreux espaces alternatifs à la même utilisation avant que le temps et les sociétés ne lui trouvent un autre usage. Mais en tout cas, à l’image de ce paysage, les espaces ouverts peuvent changer, se déplacer, mais meurent-ils ?

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- Chapitre 3 - DES ESPACES EN VOIE DE DISPARITION OU DES ESPACES

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