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Chapitre 3. Recension des écrits sur les interventions éducatives 56

3.2   Modèles d’intervention en maladie chronique 60

3.2.1   Programmes de gestion de la maladie chronique 60

Au cours de la dernière décennie, la prévalence des maladies chroniques s’est accrue non seulement au Canada et aux États-Unis, mais aussi dans diverses autres régions du monde (B. B. Kelly et al., 2012; Yach et al., 2004). Cette augmentation a contribué à l’accroissement des coûts associés aux soins de santé (Cronin et al., 2017). C’est précisément à cette fin que certains gouvernements et compagnies privées ont investi massivement dans le développement de programmes de gestion de la maladie (Toles et al., 2017). Ultimement, leurs efforts ont permis le développement de programmes de gestion des maladies chroniques ayant plusieurs éléments en commun, tels qu’une structure de prestation des soins, des objectifs adaptés aux besoins de la personne et des soins dispensés par une équipe multidisciplinaire (Stock et al., 2014; Toles et al., 2017).

Dans cette recension des écrits, une attention particulière est portée sur les études touchant deux programmes largement utilisés aux États-Unis et en Allemagne, soit le programme de soins éprouvés (ProvenCare) et le programme de gestion de la maladie développé par le ministère de la Santé de l’Allemagne qui s’inspire du programme américain (Busse, 2004).

3.2.1.1 Programme de soins éprouvés

En 2005, la compagnie Geisinger, une compagnie privée, a développé le ProvenCare (Paulus, 2009). Il s’agit d’un programme de santé pour contrôler les dépenses du réseau de la santé

américaine. Ce programme s’appuie sur une structure administrative et il détermine le paiement à effectuer aux établissements de santé selon leur performance et suivant certains autres facteurs. Ce programme novateur encourage les cliniques et les professionnels de la santé à envisager un remaniement majeur de leurs services de soins, notamment en ce qui a trait aux personnes atteintes d’une maladie chronique.

Le ProvenCare propose des stratégies de prévention intégrées à une structure administrative. Selon ses créateurs, ce programme vise à améliorer la santé des personnes atteintes de maladies chroniques ou aiguës (Satin et Miles, 2009). À leur avis, cette amélioration de la santé est due au fait que le programme modifie les processus de prise en charge et de suivi des personnes atteintes, peu importe le professionnel impliqué dans les soins ou services. Cependant, leurs affirmations sont corroborées dans trois études (Berry et al., 2009, 2011; Katlic et al., 2011) et cinq études supplémentaires ont rapporté des impacts positifs de ce programme (Draper, 2011; Gionfriddo et al., 2018; Nolan et al., 2011; Paulus, 2009; Satin et Miles, 2009).

Concrètement, le programme ProvenCare comprend trois phases (Paulus, 2009). Dans un premier temps, un comité d’experts effectue un examen minutieux des pratiques cliniques. Ce même comité documente, par la suite, les bonnes pratiques cliniques (good clinical

practice) à effectuer selon le problème de santé de la personne qui consulte. Cette phase

permet de s’assurer, dans une certaine mesure, que les activités cliniques dispensées auprès des personnes malades reposent sur les bonnes pratiques cliniques. La dernière phase consiste à mettre en œuvre ce programme de gestion des maladies sur le terrain (Nolan et al., 2011). Les gestionnaires du programme doivent par ailleurs veiller à ce que celui-ci soit utilisable dans plusieurs centres de santé et qu’il puisse s’intégrer facilement à la pratique des soins de santé (Berry et al., 2009, 2011; Katlic et al., 2011).

Dans le développement de ce type de programme, et aussi dans sa mise en œuvre, les infirmières tiennent un rôle prépondérant. Les raisons de cette participation active des infirmières reposent essentiellement sur les assises philosophiques qui sous-tendent le programme et en vertu desquelles une gouvernance partagée est essentielle au déploiement de tout programme de santé (Nolan et al., 2011). Selon leur vision, un partenariat entre l’infirmière et la personne ou entre les professionnels de la santé et la personne permet de

couvrir plusieurs aspects du contrôle de la maladie. Toujours dans l’approche du ProvenCare, les activités étant sous la responsabilité de l’infirmière sont déterminées et par la suite, ces activités sont intégrées à sa description de tâches. Le même modus operandi est répété pour les médecins, les infirmières auxiliaires et les préposés aux bénéficiaires et tous les professionnels de la santé et intervenants impliqués dans les soins. Cette compréhension commune du processus de soins permet à chacun de connaître la trajectoire des soins, tant dans les centres hospitaliers que dans la communauté.

Dans la pratique, ce programme ne fait pas consensus. Plusieurs auteurs estiment que cette approche comporte certaines lacunes (Draper, 2011; Jan, 2019; Rijken et al., 2014; Rosenthal, 2008; Satin et Miles, 2009; Werner et al., 2008). Globalement, il est possible de les regrouper sous deux volets : 1) les limites d’ordre structurel; et 2) celles d’ordre administratif. Structurellement, les professionnels de la santé ne peuvent pas adapter, changer ou encore se soustraire au programme puisqu’il est sous l’égide de droits exclusifs de diffusion et d’utilisation et que leur rémunération dépend de l’application de celui-ci. Parmi les autres critiques structurelles émises, mentionnons également le manque d’uniformisation du processus de détermination des bonnes pratiques cliniques dans une structure où les ressources humaines sont parfois limitées. Selon Szecsenyi et al. (2008), les bonnes pratiques retenues par les experts peuvent différer, voire même être contradictoires lors de l’évaluation de la littérature scientifique sur le sujet (Szecsenyi et al., 2008).

Les lacunes administratives du programme ont trait au système de paiement basé sur la performance. Dans un tel système, l’agent payeur – le gouvernement ou l’assureur – effectue un versement unique en fonction d’un diagnostic précis. Les paiements dépendent donc globalement de résultats liés à la productivité et à la qualité des soins (Berry et al., 2009; Pluye, 2012; Shakir et al., 2018). Selon Rosenthal (2008), le programme a surtout pour fonction de contrôler les coûts associés à certaines pathologies ou aux interventions. Or, toujours selon Rosenthal (2008) et Satin et Miles (2009) et Jan (2019), cela engendre des problèmes lorsque le système ne permet pas d’offrir tous les services. Ainsi, quand la personne présente une complication, que son état de santé est jugé complexe ou qu’elle est atteinte de comorbidités, cette situation pourrait affecter négativement la rémunération des professionnels si cette situation n’est pas considérée. Dans un programme où la rémunération

des services est basée sur la performance, les professionnels de la santé ont parfois tendance à sous-diagnostiquer ou même à sous-évaluer l’importance d’un problème de santé concomitant, car celui-ci pose un risque de diminution de la rémunération ou encore sa prise en charge entraîne une surcharge de travail pour laquelle la rémunération n’est pas prévue (Rosenthal, 2008). Cette attitude biaisée est due à la structure même du programme qui considère que tout diagnostic d’un trouble concomitant signifie que les soins prodigués étaient de mauvaise qualité (Shakir et al., 2018). Cette mentalité administrative n’encourage pas les professionnels de la santé à diagnostiquer et à prendre en charge des pathologies concomitantes. Certains démontrent au contraire que les programmes de soins intégrés ont le potentiel d’être rentables, d’obtenir de meilleurs avantages pour la santé et sont moins coûteux que les soins habituels (Cronin et al., 2017).

C’est un fait reconnu que des déterminants sociaux comme la pauvreté ont un rôle à jouer dans le développement de certaines maladies chroniques (Cockerham et al., 2017), qui par ailleurs sont souvent associées à des soins plus exigeants. Toutefois, selon Werner et al. (2008) et Shakir et al. (2018), les programmes comme ProvenCare ne tiennent pas compte des soins supplémentaires que requièrent les clientèles dont la condition de santé est complexe. Le programme ProvenCare a un impact limité sur la modification des comportements, notamment en raison de sa structure rigide axée sur le traitement de la maladie, plutôt que la prévention de celle-ci. Il importe de noter que ce type de programme escamote la personnalisation des soins et des services pour rencontrer des prérogatives étant plus d’ordre administratif et structurel. Il s’agit d’un programme construit et orienté vers des situations vécues par la majorité des gens et il a été démontré efficace dans ce contexte (Mendelson et al., 2017).

3.2.1.2 Programme allemand de gestion de la maladie

Cette section présente un autre modèle de gestion de la maladie, soit un programme également axé sur le rendement offert en Allemagne (Busse, 2004; Mehring et al., 2013). Le modèle allemand y est examiné et comparé au programme américain, en étudiant ses impacts sur la santé.

Structurellement, le programme allemand reprend pour l’essentiel les éléments du programme américain décrit ci-haut (Busse, 2004). Bien qu’ayant des similitudes avec ce dernier, il comporte également des différences structurelles significatives. Parmi ces différences, on note principalement celles liées à la détermination des bonnes pratiques cliniques (Busse, 2004). En effet, dans le programme allemand, les lignes de conduite sont adoptées à la suite des recommandations d’un comité d’experts, puis sont transmises au gouvernement (Szecsenyi et al., 2008). Celui-ci est responsable de leur diffusion aux fournisseurs de soins publics et privés. Ultimement, cette centralisation permet d’assurer l’uniformité des prises de décisions et de la prise en charge. Contrairement au programme américain, où l’administration du programme dans les cliniques est assurée par des gestionnaires, en Allemagne c’est le médecin généraliste qui en est responsable (Szecsenyi

et al., 2008). La vision multidisciplinaire est ainsi remplacée par une vision plus hiérarchisée

où le médecin est l’acteur principal de l’épisode de soins (Mehring et al., 2013). Abstraction faite du cadre logistique, diverses études suggèrent que le programme allemand de gestion de la maladie améliore la qualité des soins dispensés aux personnes diabétiques (Stock et al., 2010; Szecsenyi et al., 2008). Ce programme a démontré son efficacité dans la gestion et dans l’organisation des structures de soins (Forstner et al., 2019).

En conclusion, on peut affirmer que tant le programme américain que le programme allemand ont été développés par des décideurs, publics et privés, qui souhaitaient contrôler l’escalade des coûts financiers associés à la maladie chronique. Nonobstant leur développement et leur opérationnalisation, leurs bénéfices actuels ou potentiels, ces programmes présentent certaines limites eu égard à la participation au programme, à l’autogestion de la maladie et à la satisfaction des besoins de la personne (Satin et Miles, 2009). Ce manque de considération pour l’être humain derrière la maladie est particulièrement visible dans les soins dispensés aux personnes âgées fragiles ou aux prises avec des problèmes fonctionnels (Cazale et al., 2009). Ces programmes cherchent néanmoins à s’améliorer en incluant des éléments issus des valeurs et de l’expérience des patients (Slotkin et al., 2017).

Pour certains, la santé et la maladie sont aux antipodes l’une de l’autre. Dans cette vision, la santé ne peut coexister en présence de la maladie. Selon sa compréhension du concept « santé-maladie », le professionnel de la santé peut considérer qu’une personne est malade

alors que celle-ci se perçoit en bonne santé (Pender et al., 2011; Schieber et al., 2013). Afin d’éviter ce type de situation, Schieber et al. (2013) recommandent à tout professionnel de prendre un moment pour réfléchir à sa perception du concept de santé-maladie, et à celle de la personne qu’ils soignent. Il lui sera alors plus facile d’accepter que des personnes puissent avoir une conception de la santé différente de la sienne. Une telle ouverture d’esprit aidera les professionnels de la santé à choisir un programme d’accompagnement orienté vers la personne et non seulement vers la maladie (Pender et al., 2011). Sur ce sujet, le modèle de Neuman propose de considérer la personne comme participant aux soins, mais aussi comme un partenaire de soins.